Montréal n’est pas prête pour les compteurs d’eau résidentiels

Montréal gaspille encore trop d’eau et devrait envisager l’installation de compteurs d’eau dans toutes les résidences de son territoire, estime la Commission de l’écofiscalité du Canada dans une étude publiée mardi. À l’Hôtel de Ville cependant, la suggestion a reçu un accueil tiède.
En 2009, Montréal consommait deux fois plus d’eau par habitant que la moyenne des autres grandes villes, soit 978 litres par personne par jour. La Commission de l’écofiscalité du Canada, qui regroupe des économistes indépendants de tout le pays, est d’avis que la Ville devrait s’inspirer d’autres municipalités canadiennes et installer des compteurs d’eau résidentiels. Selon des données fournies par Environnement Canada, en 2009, les ménages canadiens ayant un compteur d’eau ont utilisé 73 % moins d’eau que les ménages qui n’en possédaient pas.
« Les compteurs d’eau ont fait leurs preuves ailleurs au Canada et dans d’autres pays. Je pense que c’est vraiment la voie de l’avenir pour une gestion efficiente et efficace de l’eau », avance France St-Hilaire, vice-présidente à la recherche de l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), qui a participé à l’étude. « Ça incite [les citoyens à adopter] une consommation responsable et ça permet aux services d’eau de mieux prévoir les besoins à venir et de mieux gérer les investissements en infrastructures. »
Dans son étude, la Commission de l’écofiscalité du Canada a analysé l’état de la gestion de l’eau dans l’ensemble du Canada et s’est attardée sur le cas de cinq villes, dont Montréal, où les citoyens paient une taxe d’eau calculée en fonction de la valeur foncière de leur immeuble. « On sait que les Canadiens sont parmi les plus gros consommateurs d’eau au monde. D’après Environnement Canada, presque la moitié de l’eau potable consommée au Canada représente du gaspillage. C’est assez étonnant », observe Mme St-Hilaire.
Montréal est d’ailleurs l’une des villes canadiennes où les infrastructures d’aqueducs et d’égouts sont les plus anciennes, et il est de notoriété publique que les fuites dans le réseau sont importantes, soit 30 % de la production d’eau. Pour rattraper son déficit d’entretien, Montréal investit d’ailleurs massivement dans ses infrastructures souterraines.
Mais les économistes de la Commission de l’écofiscalité jugent que Montréal doit aller plus loin. À l’heure actuelle, seuls les résidents de l’arrondissement de Saint-Laurent possèdent des compteurs d’eau. Quelques villes de l’île de Montréal, dont Beaconsfield, en ont aussi, mais les compteurs demeurent rares.
À ceux qui craindraient les impacts des compteurs d’eau sur les ménages à faible revenu, la commission suggère de prévoir un système de redevances ou d’offrir des crédits d’impôt. « À Toronto par exemple, ils ont mis en place un système de ristournes pour les ménages à faible revenu », souligne Mme St-Hilaire.
Montréal en réflexion
Selon les données de Statistique Canada, 13 % des ménages québécois possédaient un compteur d’eau en 2015, contre 62 % en Ontario.
Montréal a déjà entrepris de doter les industries, les commerces et les institutions (ICI) de compteurs d’eau. Après le fiasco du contrat accordé à Génieau, la Ville est revenue à la charge en 2012 avec un plan de 16 200 compteurs d’eau, au lieu de 30 500. Près de la moitié d’entre eux auraient été installés à ce jour.
Jusqu’à maintenant, la Ville a toutefois écarté l’idée d’installer des compteurs dans les résidences, estimant que cette opération ne lui ferait pas réaliser suffisamment d’économies pour compenser les coûts d’implantation. Elle a préféré miser sur les campagnes de sensibilisation. La consommation d’eau par habitant a d’ailleurs chuté de 26,5 % depuis 2001.

L’an dernier, un comité d’étude sur la fiscalité non résidentielle avait recommandé l’installation de compteurs résidentiels à l’administration Coderre. « La question continue d’être étudiée, mais on n’en est pas là pour le moment. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte avant de pouvoir statuer sur cette question », a-t-on indiqué au cabinet du maire lundi.
Selon l’opposition, l’installation de compteurs d’eau pour le secteur résidentiel n’en vaut pas la peine. « La situation de Montréal est très enviable. On n’est pas en pénurie d’eau et les usines de Montréal ne sont pas à capacité », explique le conseiller de Projet Montréal Sylvain Ouellet. « Et de toutes les villes du Québec, c’est à Montréal où l’eau coûte le moins cher à produire. »
En plus d’être extrêmement coûteuse, l’installation de compteurs d’eau pourrait engendrer des problèmes de santé publique, comme ce fut le cas en Grande-Bretagne où les plus démunis ont réduit le nombre de douches, indique Sylvain Ouellet : « Si quelqu’un ne paie pas sa facture d’eau, est-ce que nous, comme Ville, on va le débrancher ? Ça amène toutes sortes de problématiques sociales qui sont vraiment inutiles, et [c’est un plan] coûteux pour des gains limités. »
Pourquoi ce qui est bon pour Toronto ne le serait-il pas pour Montréal ? Parce que « Montréal a l’un des plus forts taux de locataires au Canada », répond l’élu.
La Coalition Eau Secours s’oppose aussi aux compteurs d’eau résidentiels. « Ce n’est pas vrai que c’est efficace », avance sa directrice générale, Alice-Anne Simard. « Des études ont démontré qu’on observe une baisse de consommation d’eau dans les premiers mois, mais que, par la suite, on revient au taux initial. »
Et selon elle, l’installation de compteurs d’eau ouvre aussi la porte à la privatisation de la gestion de l’eau.