

Montréal, la cité des dieux
Les citoyens d’Outremont se prononceront dimanche sur l’interdiction des lieux de culte sur leurs artères commerciales....
L’histoire est connue. Le grand écrivain satiriste Mark Twain, en visite à Montréal en 1881, accueilli par ce poète national qu’était Louis Fréchette, affirme dans son discours que c’est la première fois qu’il se trouve dans une ville où il apparaît impossible de lancer une pierre sans casser une fenêtre d’église.
Après les révolutions manquées de 1837-1838, Mgr Ignace Bourget (1799-1885) contribue à l’arrivée et au développement de plusieurs nouvelles communautés religieuses. Les tensions au nom de la religion sont plus palpables que jamais. L’émeute qui éclate au soir du 9 juin 1853 à Montréal en est un exemple éloquent. C’est la venue d’Alessandro Gavazzi, un prêcheur italien vêtu de sa longue robe noire agrémentée des deux croix tricolores, qui met le feu à un espace social déjà très inflammable.
Émeute
Gavazzi parle à l’église Zion, dans la côte du Beaver Hall, où il prend la parole, non loin de ce qui est aujourd’hui le Palais des congrès. Les Irlandais de Griffintown font le pied de grue tout en chahutant devant l’édifice. La police dépêchée sur les lieux ne suffit pas à la tâche. Plusieurs coups de feu sont entendus. Des hommes sont tués. Le maire de Montréal, qui fait intervenir un détachement de l’armée, voit les hommes en armes éprouver beaucoup de difficulté à disperser la foule.
Selon Louis Rousseau, professeur associé au Département de science religieuse à l’UQAM, cette période du milieu du XIXe siècle est riche en tensions, lesquelles s’expriment notamment par des articles acrimonieux dans la presse du temps. « Les catholiques considèrent qu’avec l’église Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal, ils sont chez eux, que c’est un espace sacralisé en leur faveur. Mais, à partir de 1860, les nouvelles églises s’établissent vers ce que nous appelons l’ouest de Montréal. »
Les lieux de culte se déplacent et les tensions se résorbent en partie à cause de cette nouvelle spatialisation, explique M. Rousseau, auteur avec Frank Remiggi de l’Atlas historique des pratiques religieuses.
Vexatoires
Selon l’historienne Lucia Ferretti, il y a tout de même peu de chicanes religieuses à Montréal, sinon à l’intérieur même des confessions. « À Pointe-Saint-Charles, on va trouver deux immenses églises avec leur presbytère, l’une à côté de l’autre, parce que les Irlandais et les Canadiens français n’arrivent pas à s’entendre pour des questions linguistiques. Même chose en face de Radio-Canada, où Saint-Pierre-Apôtre et Sainte-Brigide sont deux bâtiments très importants construits à cause de problèmes du même genre. » Il y aura aussi des tensions, par exemple au sein de la communauté juive.
Des mesures vexatoires pour empêcher le libre exercice d’une religion qui n’est pas dominante parsèment l’histoire. Cas célèbre : l’affaire Roncarelli, du nom de ce restaurateur qui s’était vu refuser par Maurice Duplessis un permis d’alcool pour son établissement parce qu’il payait les cautionnements de ses coreligionnaires Témoins de Jéhovah. L’affaire se rendra en Cour suprême, à l’avantage de Roncarelli.
Avant 1970, explique Louis Rousseau, « on sait que les gamins se battaient entre eux à cause de la langue et de la religion. Mais est-ce que ça s’est joué sur une scène plus grande ? Il faudrait l’étudier davantage. Pour les anciens cultes, les problèmes sont moins grands. Mais on voit aujourd’hui que, pour les lieux de culte musulmans et même évangéliques dans certains cas, les réactions sont émotives. Il y a un sentiment de “venez pas nous déranger” dans un territoire religieux où, par ailleurs, les vieilles églises sont vides. »
Les citoyens d’Outremont se prononceront dimanche sur l’interdiction des lieux de culte sur leurs artères commerciales....
Dans Rosemont-La Petite-Patrie, le vieux patrimoine religieux côtoie les églises de devanture.
Les résidants se prononceront dimanche sur un règlement interdisant les lieux de culte sur les rues commerciales.
Peu de problèmes liés aux lieux de culte ont marqué l’histoire de Montréal.