En chantier pendant 10 ans

Les Montréalais qui pestent contre les cônes orange dans les rues de la métropole n’ont encore rien vu. À compter de l’an prochain, la Ville de Montréal compte doubler la quantité de travaux qu’elle effectuera pour retaper ses rues, ses aqueducs et ses égouts. Et d’ici 10 ans, elle prévoit d’investir 6,9 milliards de dollars.
À Montréal, 45 % des rues, soit l’équivalent de 1800 kilomètres, sont dans un état de délabrement avancé et 22 % des égouts suscitent d’importantes préoccupations, certains d’entre eux présentant des risques d’effondrement. Quant aux aqueducs, on évalue à 13 % la part du réseau qui nécessite des travaux urgents.
À la lumière de ce diagnostic, l’administration Coderre prévoit de refaire 5070 kilomètres de rues au cours des dix prochaines années, pour des investissements totaux de 6,9 milliards. Ainsi, les chantiers qui font rager les automobilistes cette année seront encore plus nombreux à compter de l’an prochain, et ce, pour dix ans.
« Il n’y a rien de sexy à annoncer un programme de réfection d’égouts, d’aqueducs et de chaussées. Je n’ai aucun gain politique à aller chercher en annonçant ceci un an avant les élections municipales. Mais on le fait parce que c’est notre responsabilité en tant qu’administration publique. C’est fini, le pelletage par en avant », a expliqué le maire lors d’une allocution prononcée mercredi devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM).
En raison des festivités du 375e anniversaire de Montréal, le centre-ville devrait toutefois connaître un répit l’an prochain, a promis le maire.
Étendue doublée
Alors que, pour 2016, Montréal a consacré 371 millions à ses chantiers, elle estime qu’elle devra investir 702 millions par année jusqu’en 2021 à compter de l’an prochain. Le nombre de kilomètres de chantiers augmentera ainsi de 129 %.
Par la suite, le taux d’investissements diminuera à 672 millions par année jusqu’en 2026, ce qui correspond à 466 kilomètres restaurés annuellement. « Si, en 2014, on a mis les bouchées doubles, en 2017, il va falloir mettre les bouchées triples. Mais on ne va pas s’étouffer. On va le faire de façon intelligente et ordonnée », a affirmé le maire, qui dit comprendre la frustration des Montréalais et celle des commerçants.
Pour les cinq prochaines années, la Ville se contentera, dans 90 % des cas, de faire du réasphaltage de chaussées afin d’éliminer les nids-de-poule sans faire une reconstruction complète. De même, elle privilégiera le gainage des conduites d’aqueduc pour prolonger leur durée de vie sans les inconvénients d’un remplacement.
La maire a aussi évoqué la possibilité de compensations financières, comme une « fiscalité modulée », pour les commerçants qui subiraient des pertes de revenus liées à ces chantiers. « On va attendre la Loi de la métropole, qui va nous permettre de trouver ces mesures de compensation », a-t-il dit.
Comme l’ensemble des Montréalais, les gens d’affaires ne se réjouissent pas des chantiers à venir, mais ils prendront leur mal en patience, croit le président de la CCMM, Michel Leblanc. « Le milieu des affaires est bien conscient que, dans le passé, on a négligé nos infrastructures. »
Catastrophe appréhendée
S’il reconnaît que le déficit d’entretien des infrastructures nécessite d’importants travaux, le maire de Rosemont–La Petite-Patrie, François Croteau, n’est pas rassuré. « Si on se réfère à l’année en cours et qu’on ne change rien dans la planification, la coordination et l’évaluation des ressources disponibles, ça va être la catastrophe », croit-il.
Selon lui, Montréal est trop dépendante des entrepreneurs privés et n’a pas suffisamment d’expertise interne en matière d’ingénierie et de surveillance des chantiers pour encadrer les travaux. « On se remet dans la même situation qu’avant la commission Charbonneau si on va de l’avant sans avoir un plan d’action réaliste », avance-t-il.
Outre l’embauche de nouvelles ressources, Montréal aurait avantage à confier des travaux d’asphaltage à ses cols bleus, dit-il.
Dans son arrondissement, la trentaine de chantiers accusent des retards et les pénalités de 500 $ par jour imposées aux entrepreneurs n’y changent rien, soutient M. Croteau. « On est pris en otages par le secteur privé. Si la Ville veut reprendre le plein contrôle sur sa destinée, elle doit reconstruire son expertise interne. »