Les Forges de Montréal menacées d’expulsion

Les Forges offrent de la formation aux apprentis forgerons, accueillent des visiteurs et sensibilisent le public à cet art millénaire.
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir Les Forges offrent de la formation aux apprentis forgerons, accueillent des visiteurs et sensibilisent le public à cet art millénaire.

Les Forges de Montréal sont en péril. L’organisme qui, depuis plus de 15 ans, perpétue le savoir-faire du métier de forgeron, a reçu un avis d’expulsion de la Ville de Montréal. Celle-ci allègue qu’une clause du bail n’a pas été respectée et exige que les Forges quittent leur immeuble de la rue Riverside en décembre.

C’est à l’ombre de l’autoroute Bonaventure, dans la première station de pompage de Montréal que Mathieu Collette a installé Les Forges de Montréal, un organisme à but non lucratif (OBNL) qu’il a fondé en 2000 sous l’impulsion de la Fondation du maire de Montréal à l’ère de Pierre Bourque. L’immeuble construit en 1887 et situé au 227, rue Riverside, abrite tous les équipements nécessaires à la pratique traditionnelle des travaux de forge, un métier que l’industrialisation a relégué dans l’oubli.

L’organisme loue depuis 15 ans l’immeuble de propriété municipale qui occupe un terrain appartenant à l’Administration portuaire de Montréal. Au fil du temps, il en a assuré la restauration et l’entretien.

En mettant Les Forges dehors, non seulement la Ville démontre qu’elle ne considère pas le patrimoine immatériel, mais elle porte préjudice à ce patrimoine

 

Formé en France auprès d’un maître-forgeron, Mathieu Collette a entrepris de préserver et de diffuser le savoir-faire traditionnel de la ferronnerie. Les Forges offrent de la formation aux apprentis forgerons, accueillent des visiteurs et sensibilisent le public à cet art millénaire.

Un million en rénovations

 

En février dernier, la mauvaise nouvelle est tombée. La Ville fait savoir qu’elle désire résilier le bail — qui devait prendre fin en 2021 —, car elle reproche à l’OBNL de ne pas avoir respecté l’une des clauses du contrat qui l’obligeait à investir au moins un million de dollars dans la rénovation de l’immeuble entre 2006 et 2008.

Mathieu Collette reconnaît que les investissements n’ont pas été réalisés dans leur totalité, mais il explique que des événements, comme le projet de démolition de l’autoroute Bonaventure, ont créé une incertitude qui l’empêchait de faire des investissements massifs. Au moment de reconduire le bail en 2006, l’organisme avait déjà investi 454 000 $ et a accepté de s’engager pour un autre bail malgré les exigences de la Ville. « Je venais d’investir près de 500 000 $ et je ne voulais pas perdre tout ce que j’avais fait », explique Mathieu Collette.

Les Forges travaillaient aussi sur un projet d’écomusée pour les métiers du feu, dont la forge, le travail du verre et la céramique, ainsi qu’une école pour forgerons et une halte pour les cyclistes. Le projet, auquel souhaitaient participer Parcs Canada et une entreprise privée, n’a jamais pu se concrétiser.

Résiliation du contrat

 

Depuis 2008, Les Forges ont eu plusieurs discussions avec les fonctionnaires au sujet des investissements exigés dans le bail. La Ville n’a jamais réclamé la fin du contrat et Les Forges ont été autorisées à rester dans leurs locaux, soutient Mathieu Collette. « On a toujours été de bonne foi. On a travaillé en bonne collaboration. On était sûrs que les gens étaient sensés et comprenaient l’importance du projet », explique-t-il.

Les Forges estiment que la Ville a renoncé à la clause 6.3 du bail en 2006 et ne peut, huit ans plus tard, exiger la résiliation du contrat. C’est ce que leur avocat a fait valoir dans une lettre qu’il a fait parvenir récemment à la Ville.

La Ville a décliné la demande d’entrevue du Devoir et n’a pas voulu indiquer quel usage elle comptait faire de l’immeuble advenant le départ des Forges. « Cet organisme est un locataire de la Ville de Montréal. Il se trouve en défaut relativement à ses obligations contractuelles avec la Ville. Le dossier suit son cours », a indiqué Jacques-Alain Lavallée, chargé de communication à la Ville.

Pour Les Forges, déménager constitue un casse-tête. Leurs locaux actuels, situés dans un secteur industriel à l’écart des habitations, permettent les activités de la forge sans déranger le voisinage.

Mathieu Collette rappelle que la Loi sur le patrimoine culturel adoptée en 2012 exige des municipalités qu’elles favorisent l’implantation de lieux de diffusion du patrimoine immatériel. « Nous, on le fait gratuitement. On ne demande pas une cenne. On a pris un bâtiment en ruine pour le réparer à nos frais et pour faire ce que la Ville est obligée de faire », dit-il.

Patrimoine immatériel

 

Directeur des programmes chez Héritage Montréal, Dinu Bumbaru presse l’administration Coderre de trouver une solution « pragmatique » au litige. Malgré l’importance de l’éthique dans les contrats, la Ville doit aussi tenir compte des enjeux du patrimoine bâti et du patrimoine immatériel comme celui de la forge, croit M. Bumbaru. « Il s’agit bien d’un bâtiment municipal d’intérêt patrimonial et la recommandation internationale pour la sauvegarde du patrimoine bâti est de leur trouver un usage compatible, ce qui est bien le cas avec Les Forges de Montréal », estime M. Bumbaru. « Il faudrait qu’un tel cas ne soit pas jugé qu’à l’aune des chiffres et des écritures juridiques des contrats. […] Car un bâtiment patrimonial municipal abandonné n’est pas [plus avantageux] qu’un contrat détourné. »

En vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, ce sont désormais aux municipalités de prendre en charge les dossiers visant la reconnaissance d’un patrimoine immatériel auprès du ministère de la Culture.

Titulaire d’un doctorat en ethnologie et patrimoine de l’Université Laval, Monique Provost a bien tenté de sensibiliser l’administration Coderre au métier de la forge comme patrimoine immatériel, mais sans succès. « En mettant Les Forges dehors, non seulement la Ville démontre qu’elle ne considère pas le patrimoine immatériel, mais elle porte préjudice à ce patrimoine. C’est ça qui est odieux. La Ville aurait pu essayer de trouver des solutions. »

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