La collusion perdure à Montréal

En 2013, le vérificateur général, Jacques Bergeron, avait signalé que des indices laissaient croire à l'existence de collusion dans les opérations de déneigement à Montréal. 
Photo: Pedro Ruiz Archives Le Devoir En 2013, le vérificateur général, Jacques Bergeron, avait signalé que des indices laissaient croire à l'existence de collusion dans les opérations de déneigement à Montréal. 

Les révélations de la commission Charbonneau ont beau avoir assaini les moeurs en matière d’octroi de contrats publics, la collusion serait encore bien présente dans le domaine du déneigement à Montréal, a confirmé le Bureau de l’inspecteur général (BIG) Denis Gallant, dans un rapport rendu public lundi. Après avoir entendu les témoignages d’une soixantaine d’entrepreneurs, le BIG a alerté le Bureau de la concurrence du Canada afin qu’il fasse enquête.

En 2014, le vérificateur général, Jacques Bergeron, avait signalé que des indices laissaient croire à l’existence de collusion dans les opérations de déneigement à Montréal. Il avait relevé que, dans neuf arrondissements, dix entrepreneurs décrochaient systématiquement tous les contrats.

Après avoir examiné des contrats de déneigement et de transport de la neige ayant cours de 2005 à 2015 et entendu de nombreux témoignages dans le cadre de son enquête, l’inspecteur général Denis Gallant confirme ces soupçons.

Les témoins que le BIG a rencontrés ont nommé une vingtaine d’entrepreneurs ayant, à divers degrés, participé à des activités de nature collusoire, souligne-t-il.

Dans son rapport, le BIG décrit les notions de « respect mutuel » entre entrepreneurs, de pactes de non-agression, de soumissions de complaisance et de partage du territoire. Il relate aussi des événements de menaces, d’intimidation et de vandalisme.

Il décrit aussi le système de cessions de contrats entre entrepreneurs qui permettent à certains d’entre eux de contrôler le marché. D’autres confient leurs contrats en sous-traitance, une stratégie risquée pour la Ville et les arrondissements.

Mais l’inspecteur général ne nomme aucun entrepreneur afin, dit-il, de protéger l’identité des témoins collaborateurs et de ne pas nuire à l’enquête que pourrait mener le Bureau de la concurrence.

« Les stratagèmes employés […] démontrent que le marché est sous l’influence d’un groupe restreint d’entrepreneurs et que la concurrence en souffre », écrit le BIG.

Dans onze arrondissements, certains entrepreneurs obtiennent, année après année, les contrats de déneigement « clés en main », dont Ahuntsic-Cartierville, Anjou, Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, le Plateau-Mont-Royal, Saint-Léonard et Rosemont–La Petite-Patrie, note le BIG.

Ententes conclues au restaurant

 

Plusieurs pactes entre entrepreneurs se sont conclus autour d’une table de restaurant ou au téléphone, précise le BIG avant d’ajouter la précision suivante : « Depuis la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, les entrepreneurs seraient plus vigilants et les rencontres ne se feraient plus par téléphone, par courriel ou au restaurant, mais plutôt au coin d’une rue ou dans un véhicule afin de ne pas attirer l’attention. Les rencontres de l’Association des entrepreneurs en déneigement du Québec sont d’ailleurs identifiées par certains témoins, dans une moindre mesure, comme un lieu de rencontre des entrepreneurs collusionaires », explique-t-il.

Le BIG formule une série de recommandations afin que la Ville encadre mieux l’octroi de contrats en déneigement. Il presse notamment la Ville de centraliser la définition d’exigences techniques communes à tous les arrondissements et de lancer un seul appel d’offres pour l’ensemble des secteurs où les contrats viennent à échéance.

Le Bureau de la concurrence du Canada confirme avoir reçu des informations au sujet de ce dossier, mais refuse de préciser si une enquête est en cours.

 

Processus trop long ?

Le maire a salué la recommandation du BIG visant une harmonisation des opérations de déneigement à l’échelle de la Ville. Selon le maire, les normes imposées à tous les arrondissements dans la politique adoptée par son administration en août dernier respectent cette recommandation. « On est en train de se donner des paramètres. La simplification et l’harmonisation sont aussi un gage pour se protéger contre la collusion », a-t-il dit.

Pour l’instant, le maire ignore si des contrats en cours seront résiliés. La commission sur l’inspecteur général devra d’abord se pencher sur le dossier, a-t-il indiqué.

Le chef de l’opposition, Luc Ferrandez, ne croit pas que le transfert du dossier au Bureau de la concurrence servira la Ville, car l’enquête pourrait prendre des années. « Ça va prendre des années avant qu’il y ait des pénalités. Ce n’est pas comme ça qu’on va régler le problème », dit-il, suggérant plutôt que la Ville invoque la loi 26 visant à récupérer l’argent de la fraude pour inciter les entreprises à faire une dénonciation volontaire et à rembourser les montants payés en trop par la Ville.

Le maire de Rosemont-La Petite-Patrie, François Croteau, déplore que, dans l’immédiat, les élus n’aient pas en main les outils pour lutter contre la collusion. Il a rappelé qu’en décembre 2012, son arrondissement avait dû octroyer des contrats de déneigement alors que les soupçons de collusion étaient grands. Le dossier avait été envoyé à l’UPAC, mais sans résultat. « Nous sommes pris dans des situations où nous n’avons pas le choix de donner des contrats si on veut déneiger », a-t-il dit.

L’opposition croit que la politique de déneigement, qui oblige tous les arrondissements à lancer les opérations de déneigement au même moment, ne fera qu’empirer la situation puisque tous les camions seront sollicités en même temps.

Depuis la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, les entrepreneurs seraient plus vigilants et les rencontres ne se feraient plus par téléphone, par courriel ou au restaurant, mais plutôt au coin d’une rue ou dans un véhicule afin de ne pas attirer l’attention.

Dans un rapport rendu public lundi, l’inspecteur général Denis Gallant a confirmé ces soupçons après avoir examiné des contrats survenus entre 2005 et 2015 et après avoir entendu de nombreux témoignages dans le cadre de son enquête.


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