Se préparer pour une planète à 70 % urbaine

Jérôme Delgado Collaboration spéciale
Le Dr Joan Clos dans le bidonville de Kibera à Nairobi, au Kenya
Photo: ONU-Habitat julius Mwelu Le Dr Joan Clos dans le bidonville de Kibera à Nairobi, au Kenya

Ce texte fait partie du cahier spécial Régions métropolitaines

Du haut de son bureau au siège de l’ONU, à New York, Joan Clos avait les yeux tournés vers la Catalogne. La veille, la victoire des indépendantistes sonnait comme le jour 1 d’un nouveau paradigme en terres ibériques. L’ancien maire de Barcelone (1997-2006) ne pouvait cependant commenter l’actualité de sa région natale : son poste de diplomate aux Nations unies lui impose un devoir de réserve.

Le directeur exécutif de ONU-Habitat, agence qui veille au développement durable des villes, a cependant d’autres priorités que de s’occuper de l’avenir de l’Espagne, aussi fragile soit-il. C’est le monde qui préoccupe ce médecin de formation, un monde dont le futur est compromis en grande partie par l’urbanisation toujours galopante de la planète.

Les chiffres de l’ONU sont alarmants : 4 milliards de personnes habitent dans des villes, soit plus de la moitié de la population mondiale, une réalité somme toute nouvelle. En 2050, on estime que près de 70 % des Terriens seront urbains.

« Les villes des pays développés ne sont pas arrivées à réduire suffisamment les émissions de gaz à effet de serre pour stopper la courbe de la pollution. Les villes sont responsables de 70 % de l’émission de ces gaz. Ce qui n’est pas rien », fait remarquer Joan Clos.

Mieux penser et mieux organiser les villes, voilà une des priorités des Nations unies. ONU-Habitat est en bonne partie l’entité responsable du plan d’action. La Conférence de Montréal, qui se tiendra dans la seule antenne onusienne située au Canada, l’Organisation de l’aviation civile internationale, établira les grandes lignes concernant les « aires métropolitaines ». La déclarationqui en résultera fera ensuite partie des discussions d’Habitat III, la grande conférence sur le logement et le développement urbain durable prévue à Quito, capitale de l’Équateur, en 2016.

Juridiction, environnement et migration

 

Les défis qui accaparent les grandes régions métropolitaines sont multiples, selon Joan Clos. Ils varient certes d’un continent à l’autre, mais, en règle générale, il note trois principaux éléments : la question de la juridiction, ou de la gouvernance, la situation environnementale et la gestion du flux migratoire, ce dernier point étant mis en relief par l’actuel et massif mouvement de populations vers l’Europe occidentale.

La croissance rapide des conglomérations urbaines met au jour des inégalités entre des villes voisines. Or, lorsqu’il est question de transport, de gestion des déchets ou d’accès à l’eau, mieux vaut travailler ensemble que s’affronter.

« Dans certaines parties du monde, les villes n’arrivent pas à adapter leur juridiction à la réalité urbaine. Leurs frontières ont un poids politique, juridique et parfois sentimental si important que dans l’actuelle conjoncture de la grande croissance, [elles ne cadrent plus]. La réalité juridique et administrative est dépassée par la réalité urbaine. »

« Des problèmes concrets surgissent alors, tels que des services moins efficaces », constate l’ancien premier magistrat barcelonais.

Si les villes appelées à croître encore plus sont situées dans les pays en voie de développement, les métropoles des nations riches, plus stables, doivent aussi apprendre à mieux se concerter. Joan Clos aime donner en exemple l’ouragan Sandy. Le cyclone d’octobre 2012 a mis à l’épreuve la solidarité dans la grande région new-yorkaise, qui touche, rappelle-t-il, cinq États.

« Ce n’est pas seulement un problème de frontières entre des municipalités, mais de relations entre les États. Sandy a exigé des interventions extramunicipales, y compris du gouvernement fédéral. Il a fallu innover dans ce type de collaboration, soutient M. Clos. C’est arrivé dans un pays où la gouvernance est en place depuis longtemps. Imaginez ce qui arriverait si ça se produisait là où il n’y a pas une telle expérience. »

La rencontre de Montréal servira à mettre en lumière plus d’un problème. Mais pas seulement. Il s’agira aussi d’évoquer les points bénéfiques apportés par les régions métropolitaines. L’ancien membre du Parti socialiste espagnol signale notamment le rôle économique qu’elles jouent.

« Les aires métropolitaines deviennent les zones les plus dynamiques de la créativité et du développement économique, parce qu’elles sont celles qui génèrent le plus d’emplois. Mais c’est une médaille à deux faces », reconnaît-il, car la lourdeur administrative est inévitable.

« Dans beaucoup de cas, un bon aménagement urbain, incluant la zone métropolitaine, est une voie qui accélère le développement, clairement. C’est un des outils pour les gouvernements qui cherchent la prospérité », poursuit-il.

L’ONU mise sur Habitat III pour établir les nouvelles orientations en matière de développement urbain. Il s’agira aussi de constater à quel point les prévisions d’Habitat II, tenu à Istanbul en 1995, ont été justes. Ou pas. Joan Clos sait déjà que la crise immobilière de 2008 et les vagues migratoires, autant celles en Europe que la question toujours non résolue des sans-papiers aux États-Unis, imposent une large révision du plan établi.

« Nous sommes à un moment où la migration des populations, politique ou économique, se complexifiera avec la migration provoquée par des raisons environnementales. Par conséquent, il faut évaluer pour les 20 prochaines années la capacité des villes à absorber de manière sécuritaire ce flux migratoire. »

Or, la situation, rappelle-t-il, ne concerne pas que les municipalités. « C’est un ensemble vaste de thèmes qui exigent la collaboration non seulement des villes, mais aussi de l’État, qui est celui qui au bout du compte établit les règles du jeu. Il ne peut pas prétendre ne pas être préoccupé par les problèmes de l’urbanisation. L’État est un acteur fondamental, et même principal de ces questions », dit celui qui, lorsqu’il était administrateur barcelonais, a eu son lot de conflits avec l’État catalan.

Aujourd’hui, promet Joan Clos, on ne cherche pas à entrer en conflit avec les gouvernements régionaux, mais à les inclure dans les dialogues.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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