Le Village des Tanneries sera détruit

Des experts du gouvernement ont expliqué que les éléments retrouvés sur le site du nouvel échangeur Turcot n’avaient qu’une importance relative.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Des experts du gouvernement ont expliqué que les éléments retrouvés sur le site du nouvel échangeur Turcot n’avaient qu’une importance relative.

Québec demeure inflexible dans le dossier du Village des Tanneries. Les vestiges retrouvés sur le site du nouvel échangeur Turcot seront « fouillés », « numérisés », et « répertoriés », mais disparaîtront bel et bien sous les bulldozers. Une « erreur » lourde de conséquences, selon l’un des archéologues ayant exploré le site.

En dépit du mécontentement populaire, malgré les avis d’experts, pas question pour le gouvernement Couillard de chercher à préserver les ruines du lieu de naissance de ce qui devint Saint-Henri, ont confirmé dimanche le ministre des Transports, Robert Poëti, et sa collègue de la Culture, Hélène David. Flanqués du maire Denis Coderre, ils ont toutefois annoncé que des milliers d’artefacts seraient cédés à la Ville de Montréal à l’issue des travaux. Un comité chargé de « mettre en valeur » les artefacts de l’ancien Village des Tanneries sera également créé.

Pendant quelques heures, dimanche, des experts des ministères de la Culture et des Transports ont expliqué aux journalistes que les éléments retrouvés sur le site des Tanneries n’avaient qu’une importance relative, essentiellement de documentation. Après qu’on aura terminé d’effectuer ces fouilles, à la fin septembre, les ruines restantes de nombreux édifices seront démolies plutôt que d’être enfouies à nouveau comme c’est habituellement le cas, car au ministère des Transports, on craint pour la stabilité des sols du secteur du nouvel échangeur.

« C’est sûr que le site revêt un certain intérêt de l’histoire d’un quartier de Montréal. On ne peut pas passer à côté, mais il n’en demeure pas moins que ce genre de site, il y a en a plusieurs comparables. […] c’est un site comparable à d’autres », a répété Jean-Jacques Adjizian, le directeur de l’archéologie au ministère de la Culture, précisant que la plupart des éléments retrouvés ne datent pas de l’époque de la fondation des premières tanneries, mais plutôt des XIXe et XXe siècles.

« Destruction »

Président du comité de défense de l’intérêt public de l’Association canadienne d’archéologie, Christian Gates voit néanmoins dans cette analyse du ministère de la Culture une « erreur » de jugement.

Le projet de l’échangeur Turcot a été conçu en tenant pour acquis qu’on ne retrouverait aucun élément archéologique d’intérêt sur le site, estime-t-il, ce qui rend aujourd’hui la tâche des autorités fort complexe. « Là, on se retrouve avec des vestiges beaucoup plus intéressants de prévu. On a retrouvé un quartier complet, presque des bouts de rue. C’est regrettable qu’on les détruise, car ils sont vraiment uniques », ajoute l’expert affilié à l’Université de Montréal, qui a effectué une visite complète du site il y a deux semaines. Il contredit l’archéologue du ministère, faisant valoir que certaines fondations sont plus anciennes que ce que celui-ci a laissé entendre.

« Il y a là une richesse exceptionnelle. C’est vrai qu’on a déjà fouillé des sites semblables, mais il n’en existe plus. Ce site est très riche », dit-il.

Il se dit persuadé qu’un site d’une telle ampleur trouvé ailleurs que sur le tracé de l’échangeur Turcot aurait été préservé dans son intégralité pour les générations futures. Il reconnaît toutefois que le gouvernement et les entreprises effectuant les travaux en son nom ont bel et bien respecté la Loi sur le patrimoine culturel et le Règlement sur la recherche archéologique, comme l’a répété dimanche la ministre Hélène David.

Le gouvernement Couillard a consacré près de 1,6 million à l’aspect archéologique du projet Turcot. « Les archéologues du ministère suivent la progression des travaux avec attention. […] C’est un important chantier de fouilles d’une ampleur peu commune au Québec. On a pris nos responsabilités par rapport à cette richesse patrimoniale. Nous avons fait en sorte que les fouilles soient vastes, complètes, minutieuses. »

Le maire Denis Coderre s’est dit rassuré par les mesures prises par le gouvernement et par le don éventuel de 150 boîtes d’artefacts issus du site, qui incluent notamment des couteaux pour le cuir et le bois et de la vaisselle.

Le comité chargé de réaliser un projet de mise en valeur de ces artefacts sera présidé par soeur Madeleine Juneau, directrice générale de la Maison Saint-Gabriel, un musée et site historique de Pointe-Saint-Charles. On ignore pour l’instant le budget dont il disposera et la forme que pourra prendre le « projet de mise en valeur des artefacts » de l’ancien Village des Tanneries.

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