La STM aménage un local de prière litigieux

À la suite d’une demande d’un employé de confession musulmane, la Société de transport de Montréal (STM) a autorisé l’aménagement d’une salle de prière aux ateliers d’entretien Youville.
La rumeur courait depuis mercredi parmi les employés du centre de réparation des rames de métro. Le Devoir en a eu la confirmation auprès des services des affaires publiques de l’entreprise. Mais celle-ci tient à préciser que si la demande a été faite par un croyant musulman, « non, ce local n’est pas dédié à une confession spécifique », indique par courriel Isabelle A. Tremblay, conseillère corporative à la Direction des affaires publiques.
Or, selon Luc St-Hilaire, président du Syndicat des transports de Montréal, la société publique tient un discours contradictoire. « [La STM] dit que c’est ouvert à tout le monde, mais me dit aussi que si la demande d’un catholique français était faite, elle serait d’abord étudiée. » Une demande qui serait pour autant acceptée ? « C’est une bonne question, mais on m’a dit que comme aucune demande n’a été faite dans ce sens-là, ils n’ont pas de réponse. » Mme Tremblay, dans le même courriel, confirme la position de la STM. « La demande serait analysée en fonction des mêmes critères utilisés pour répondre aux demandes déjà reçues. »
« Cela fait plusieurs années qu’il y a des demandes individuelles d’accommodements, explique le syndicaliste, et elles ont toujours été acceptées. Mais la situation est nouvelle : il y aura une salle dédiée. » Le nouveau local est un dessous d’escalier de 5 pieds de large sur 25 pieds de long, selon les plans obtenus par Le Devoir. Il accommodera « six personnes selon différentes périodes du jour » et possède déjà une cuve, qui sera destinée au nettoyage rituel. Toujours selon eux, « l’aménagement de cet espace n’a occasionné aucun coût pour la STM, sauf le remplacement de six néons […] et le retrait d’une serrure sur la porte. »
Il existait déjà, au sein des ateliers Youville, un « local d’entreposage » longtemps désaffecté mis à la disposition des personnes souhaitant prier. Mais pour une raison inconnue, l’endroit doit se déplacer. « Cela fait sans doute des semaines que c’est en projet. Peut-être auront-ils besoin à nouveau de l’ancien local ? » s’interroge M. St-Hilaire.
Laïcité à l’épreuve
Le syndicat étudie en ce moment la possibilité d’un recours pour contester la décision. Pour Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, l’ouverture d’un lieu oecuménique, plutôt qu’un lieu de culte uniconfessionnel, est une bonne chose puisqu’il évite de répondre aux demandes multiples. C’est ce qu’a fait en 2006 l’École de technologie supérieure de Montréal, lorsque la Commission des droits de la personne l’avait obligé à offrir à ses étudiants un lieu de prière oecuménique après qu’une plainte faite par des croyants musulmans a été déposée. Mais « actuellement, rien n’empêche une institution publique québécoise d’offrir un lieu de prière à ses employés… pourvu qu’elle agisse de manière équitable pour [tous] ses employés », explique-t-il.
La STM de son côté se fonde sur « les critères de la Charte québécoise des droits et libertés ainsi que les décisions des tribunaux […] en matière d’accommodements raisonnables » pour se justifier. Mais le professeur estime que « le fait que la STM décide d’offrir un tel lieu à ses employés n’implique pas nécessairement qu’elle était obligée de le faire ». Trois critères doivent être pris en compte : le coût, si l’accommodement entrave le bon fonctionnement de l’entreprise et s’il implique une atteinte réelle aux droits d’autres employés. Par contre, la mise à disposition d’une cuve pour le lavage rituel aurait pu mener à un refus de la demande. « [Cela] impliquerait, pour la plupart des entreprises, la construction d’installations. »
Ambiance délétère
L’annonce de l’aménagement de la salle survient dans un climat de travail difficile, selon un employé souhaitant garder l’anonymat. Des affiches de la une du dernier numéro de Charlie Hebdo, ornée d’une caricature de Mahomet, avaient été placardées sur certains babillards dans l’entreprise. Choqués, des employés musulmans avaient déposé une plainte, qui a été reçue et acceptée. Relayée sur les réseaux sociaux, la décision a soulevé l’indignation des employés.
Même si le lieu sera oecuménique, l’employé pense qu’il sera surtout fréquenté par des musulmans. « C’est insupportable : ils se mettent à part dans un lieu réservé […] alors qu’ici, on est une grande famille, on veut qu’ils restent avec nous ! »
M. St-Hilaire concède que la décision suscite du mécontentement.
« Ça grogne. Les gens m’appellent pour me dire qu’ils ne sont pas contents. Selon leur compréhension, il y a un traitement de faveur. » Sans compter que le climat actuel n’aide pas. Selon l’employé, ses collègues musulmans « trouvent ça bien, mais auraient préféré attendre, pour ne pas coller avec les événements de Charlie Hebdo. Ça fait une méchante coïncidence et ça va créer un amalgame. Dans un autre temps, on aurait pu discuter et trouver une solution tous ensemble. Maintenant, ça devient officiel. Tu ne peux pas t’opposer à ça sinon tu risques de perdre ton emploi. »