Montréal - Les défis de monsieur le maire

Moins d’une semaine après sa victoire, le maire Denis Coderre prépare son arrivée à l’Hôtel de Ville. Il s’est engagé en campagne électorale à agir rapidement pour rétablir le lien de confiance entre les élus et les électeurs. Le point sur les défis du nouveau maire pour ses 100 premiers jours à l’Hôtel de Ville.
Denis Coderre devrait être assermenté cette semaine, jeudi peut-être, même si la valse des dépouillements judiciaires n’est pas terminée. Une des premières tâches qui attendent le maire, c’est de nommer son directeur général, celui qui aura la main haute sur la fonction publique montréalaise. Certains observateurs croient que Marcel Côté, candidat défait à la mairie, pourrait avoir un rôle à jouer dans la prochaine administration.
Le nouveau maire devra aussi former son comité exécutif de 11 membres, le club sélect par qui transite le pouvoir. À chaque élection, ce jeu s’avère délicat. Le maire doit désigner la bonne personne au bon poste tout en prenant en considération que l’exercice réjouira les élus choisis, mais provoquera des grincements de dents chez les exclus.
Denis Coderre a déjà annoncé que son comité exécutif sera présidé par Pierre Desrochers, élu de justesse dans le district de Saint-Sulpice - un résultat que pourrait contester Projet Montréal - mais il devra se passer de deux candidats vedettes, Philippe Schnobb et Damien Silès, qui ont mordu la poussière dimanche dernier.
Manon Gauthier, sa porte-parole en matière de culture, Anie Samson, Harout Chitilian et Chantal Rouleau, responsable du dossier de l’eau pendant la campagne, pourraient aussi faire leur entrée au comité exécutif.
Denis Coderre voudra-t-il nommer d’anciens élus d’Union Montréal ? Les Michel Bissonnet, Alan DeSousa et Gilles Deguire, étroitement liés à l’administration de l’ex-maire Gérald Tremblay, risquent de prêter flanc à la critique.
Le nouveau maire pourrait ouvrir la porte à des membres de l’opposition. Comme le rapporte aujourd’hui Le Devoir, Russell Copeman, élu sous la bannière de Coalition Montréal, a reçu l’invitation pour siéger au comité exécutif. Pour sa part, Réal Ménard a indiqué que, si la Coalition disparaissait, il siégerait comme indépendant et serait disposé à écouter les offres de M. Coderre.
M. Coderre pourrait également tendre la main à des maires indépendants, une manière de les rendre plus disposés à appuyer son administration. Rappelons que les maires Claude Dauphin (Lachine), Manon Barbe (LaSalle), Luis Miranda (Anjou) et Marie Cinq-Mars (Outremont) ont obtenu un autre mandat avec leur propre parti. Reste à savoir si le maire Coderre invitera un membre de Projet Montréal, qui formera l’opposition officielle.
Le budget 2014
L’administration Coderre devra s’attaquer à un gros morceau dès son entrée en fonction : le budget 2014 de la Ville. En juillet dernier, le maire sortant, Laurent Blanchard, avait décrété un gel du financement des arrondissements afin de laisser à la nouvelle administration une proposition de budget limitant la hausse de taxes à l’inflation. Ce scénario avait par la suite été rejeté par le conseil municipal au mois d’août.
Laurent Blanchard a confirmé plus tôt cette semaine que l’administration de coalition laissait un déficit appréhendé d’environ 100 millions de dollars. « La nouvelle administration va avoir des choix à faire là-dessus, a indiqué M. Blanchard mercredi. Mais de façon générale, je pense qu’on laisse la maison nette. On n’a rien caché. On a fait ça en toute transparence. »
On doit s’attendre à ce que la nouvelle administration révise le Programme triennal d’immobilisations (PTI), qui prévoit des investissements de 3,78 milliards de dollars d’ici 2017 et que le conseil municipal a adopté dans la division en septembre dernier.
Choisir un inspecteur général
Denis Coderre en a fait une promesse phare de sa campagne électorale : il créera un poste d’inspecteur général qui, dit-il, « jouera un rôle essentiel pour assurer l’intégrité au sein de l’administration montréalaise ».
Tel que défini dans le programme de l’Équipe Coderre, cet inspecteur serait un « officier indépendant relevant du conseil municipal et ayant un réel pouvoir de contrainte et d’enquête à la Ville ». Il aurait « l’autorité d’intervenir et d’ordonner l’arrêt des travaux pour les projets identifiés comme problématiques », et recevrait les appels acheminés à la ligne éthique de la Ville (actuellement dirigés vers le contrôleur général).
Autre élément : l’inspecteur tiendrait un registre d’accréditation des entreprises autorisées à faire affaire avec la Ville - ce qui nécessitera une entente avec l’Autorité des marchés financiers. Québec a déjà donné son aval au projet.
Le nouveau maire estime que le vérificateur de la Ville est « impuissant » face aux situations qu’il dénonce, n’ayant aucun pouvoir de contrainte. De même, le processus de nomination du contrôleur général - choisi par la direction générale de la Ville - ne lui donne pas pleine indépendance, juge M. Coderre.
Qui pourrait occuper la fonction ? Un nom revient constamment dans les conversations - celui de Jacques Duchesneau, député de la Coalition avenir Québec. Mais M. Coderre a soutenu qu’une « dizaine de personnes ont fait savoir qu’elles seraient intéressées. Des experts contre les bandits à cravate, d’anciens policiers, d’anciens vérificateurs généraux».
Le député Duchesneau ne cache pas son intérêt. « Est-ce que je peux dire non à ça ? Je ne peux pas dire non », a-t-il déclaré mardi.
Gouverner l’ingouvernable
On dit que Montréal est « ingouvernable » depuis les fusions forcées de 2002 - et surtout les défusions de plusieurs villes de l’île, qui ont suivi quatre ans plus tard. C’est encore plus vrai après le scrutin de dimanche dernier. « Montréal est plus ingouvernable que jamais », a affirmé Louise Harel cette semaine. Pour l’ancienne chef de Vision Montréal, le nouveau maire est tellement isolé à l’Hôtel de Ville qu’il a presque un statut honorifique, comme le lieutenant-gouverneur du Québec.
Vieux routier de la politique, Denis Coderre devra déployer ses talents de « rassembleur » pour unifier le conseil municipal, qui part dans toutes les directions. Minoritaire avec 27 des 65 sièges au conseil, l’Équipe Coderre fait face à une opposition renforcée, menée par Projet Montréal. Et personne ne fera de cadeaux à Denis Coderre, a prévenu cette semaine le vétéran Luis Miranda (anciennement d’Union Montréal, le parti de Gérald Tremblay), réélu maire indépendant d’Anjou. Le soir même de sa réélection, Luc Ferrandez, maire du Plateau-Mont-Royal, a aussi mis en garde le maire Coderre : « Il devra négocier avec les arrondissements. »
La morale de cette histoire ? Montréal a beau compter 103 élus - contre 45 à Toronto - et des arrondissements qui sont de véritables villes dans la ville, la réforme de la gouvernance ne semble pas au menu des 100 premiers jours de l’ère Coderre. Il reste à voir si le nouveau maire - et le gouvernement du Québec - aura un jour le courage de donner un coup de pied dans la fourmilière de la gouvernance.
Établir un rapport de force par rapport à Québec et Ottawa
« Quand Denis Coderre parle, Québec écoute », a lancé l’aspirant maire durant la campagne électorale. Denis Coderre venait de se prononcer contre le projet d’usine de compostage dans le quartier Saint-Michel. Dès le lendemain, le gouvernement Marois annonçait la mise au rancart du projet.
Denis Coderre risque de trouver la partie moins facile une fois assis dans le fauteuil de maire. Son prédécesseur Gérald Tremblay a passé 10 ans à réclamer en vain des pouvoirs de taxation au grand frère, à Québec.
Le problème du maire de Montréal, c’est que l’île ne vaut rien sur le plan électoral, tant à Québec qu’à Ottawa : les gouvernements n’ont rien à perdre ou à gagner en choyant Montréal. Sur la scène provinciale, les circonscriptions de l’île, sauf deux ou trois d’entre elles, restent invariablement rouges ou bleues. Au fédéral, c’est encore pire : Montréal n’est tout simplement pas sur l’écran radar du gouvernement Harper, qui courtise davantage les circonscriptions rurales et des banlieues.
L’ex-député fédéral devra mettre à profit ses « contacts » à Ottawa s’il veut convaincre les conservateurs de renoncer au péage sur le nouveau pont Champlain. Quant aux relations de Montréal avec le gouvernement Marois, elles sont mal parties : en pleine campagne électorale, Québec a annoncé son intention d’agir sans consulter la Ville pour construire les grands projets routiers comme l’échangeur Turcot. Denis Coderre avait dénoncé les plans de Québec. Monsieur le maire a parlé, on verra si le gouvernement écoute.
Régimes de retraite
L’incontournable dossier des régimes de retraite retiendra aussi l’attention du prochain maire. À Québec, le maire Régis Labeaume en a fait un enjeu central de sa campagne électorale. Denis Coderre, même s’il n’approuvait pas la méthode bulldozer de M. Labeaume, a reconnu l’importance d’endiguer l’explosion de cette facture pour la Ville de Montréal. Rappelons que le déficit des régimes de retraite des employés atteint maintenant 2,5 milliards de dollars et qu’en 2013 la Ville a dû consacrer à ce dossier une somme de 510 millions.