Le crucifix de la Ville de Montréal est remis en question

Si le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale disparaît, celui qui orne le mur de la salle du conseil municipal de Montréal depuis un demi-siècle pourrait subir le même sort. Pour certains élus montréalais, le débat sur le projet de Charte des valeurs québécoises permet d’envisager le retrait de cet objet religieux datant de l’ère Drapeau.
La controverse aidant, le gouvernement Marois pourrait renoncer à permettre aux villes, aux hôpitaux et aux universités de se soustraire à l’application de la Charte, selon La Presse. De plus, l’interdiction faite aux employés de l’État de porter des signes religieux pourrait aussi s’appliquer aux élus. En revanche, le gouvernement songerait à retirer le crucifix de l’Assemblée nationale.
Plusieurs élus montréalais croient que le temps est venu de retirer le crucifix de la salle du conseil municipal. « Si M. Drainville enlève le crucifix de l’Assemblée nationale, ce sera très difficile de garder le crucifix qui se trouve dans l’enceinte du conseil municipal et celui de la salle Peter-McGill [où se tiennent les réunions du comité exécutif] », croit le conseiller Marvin Rotrand.
Au cours des dernières décennies, plusieurs tentatives ont été faites pour retirer le crucifix de la salle du conseil. Lorsque l’administration de Jean Doré avait aboli la prière en 1987, il avait alors été convenu de profiter de travaux de rénovation pour retirer le crucifix. Marvin Rotrand soutient que les travaux en question n’ont jamais eu lieu. Le crucifix est donc demeuré en place.
Puis, en 2002, M. Rotrand a réclamé un débat sur le retrait du crucifix. « J’ai eu l’impression que la troisième guerre mondiale avait éclaté au Québec », explique-t-il en relatant avoir été inondé de lettres de gens courroucés provenant des régions. Le sujet n’est jamais revenu sur le tapis.
« Je ne sais pas si le retrait du crucifix nécessite un vote du conseil, ajoute-t-il. Il avait fallu un amendement au règlement des procédures pour abolir la prière, mais le crucifix est administratif. Il peut être enlevé par le service des immeubles. »
Le président du conseil municipal, Harout Chitilian, a une vue imprenable sur le crucifix suspendu au mur lui faisant face. « Je ne l’ai même pas regardé au cours des deux dernières années parce que j’étais trop occupé à m’assurer que les gens respectaient le règlement de régie interne, dit-il. Vous savez, ça a beaucoup bougé, surtout dans les 12 premiers mois. »
Il souligne qu’au cours des derniers mois, même si le débat sur la Charte faisait rage, aucun élu ne s’est préoccupé du crucifix. Rappelons qu’en août dernier, le conseil municipal avait adopté à l’unanimité une motion prônant une « laïcité inclusive ».
Pas de contradiction
De confession juive, le conseiller Lionel Perez porte la kippa et a maintes fois exprimé son opposition au projet de charte. « Le fait d’interdire le port de symboles religieux, que ce soit pour les élus ou les fonctionnaires, va à l’encontre de nos valeurs québécoises de tolérance, d’ouverture et de respect des droits fondamentaux », a-t-il répété au Devoir.
Mais selon lui, le retrait du crucifix au conseil municipal est inévitable : « Il ne faut pas brusquer les choses. En temps et lieu, une fois que ce sera prêt, ça se fera tout simplement. »
Pour lui, il n’y a pas de contradiction. « Ce sont les institutions qui sont neutres, explique-t-il. Les individus n’engagent aucunement l’État. Cette distinction a été faite par différents intervenants, que ce soit la commission Bouchard-Taylor ou la Commission des droits de la personne. »
Dans la capitale, Régis Labeaume ne veut rien savoir de se départir du petit crucifix qui se trouve près du siège du président du conseil. « Ça fait partie du patrimoine », avait-il répété à ce propos en août.
Depuis que le débat sur la Charte fait rage, il a aussi dit tenir à deux traditions religieuses : l’aumônier des policiers et pompiers et la messe du 3 juillet qui souligne la fondation de la ville. Cette messe est toujours célébrée à la basilique de Québec qui se trouve juste en face de l’hôtel de ville, dans le Vieux-Québec.
Or, contrairement à d’autres élus comme Jean Tremblay, M. Labeaume ne s’est jamais présenté comme quelqu’un de très religieux et s’est même souvent amusé à narguer un élu de l’opposition très croyant en le qualifiant de « saint Yvon ». C’est également sous son règne que la tradition de la messe du Nouvel An de la ville a été abandonnée.
À Saguenay, la salle du conseil municipal ne compte pas de crucifix, mais plutôt une statuette du Sacré-Coeur. Et, on le sait, la question de la prière a été soumise à la Cour suprême. Laval, Longueuil et Trois-Rivières n’ont pas de crucifix non plus.
Avec Isabelle Porter