Marcel Côté - Coalition Montréal Marcel Côté - En mode apprentissage

Marcel Côté en est bien conscient : le grand défi de sa campagne électorale sera sa notoriété. À 71 ans, l’économiste réputé reste inconnu du grand public et il n’a que cinq semaines pour inverser la tendance. Une commande lourde pour celui en qui Louise Harel a placé sa confiance. Portrait d’un candidat au franc-parler qui « carbure aux idées » et qui mise sur l’expérience et le contenu pour se faire entendre.
« Bonjour, je m’appelle Marcel Côté ». Dans l’autobus 164 qui sillonne Ahuntsic, le candidat tend la main à une passagère dont le regard indique clairement qu’elle ne comprend pas pourquoi le Marcel en question vient se présenter à elle. Et comme il n’enchaîne pas immédiatement, un léger malaise s’installe. « Je me présente à la mairie de Montréal, dit-il finalement. Voici ma carte. »
C’est mercredi matin, un franc soleil d’automne chauffe Montréal. Dans le bus, Marcel Côté fait du porte-à-porte mobile. « C’est plus efficace », assure-t-il. Assis tout au fond, un jeune dans la vingtaine le reconnaît. Côté est content, un peu étonné aussi. « Vous me connaissez ! »
Oui, sauf que l’usager explique sur un ton sans appel que c’est « parce que vous avez comparé les carrés rouges à la mafia l’an dernier. Et je n’ai pas apprécié ». Marcel Côté répond qu’il s’est « emporté » et qu’il regrette cette déclaration du printemps 2012. Sans succès. La discussion n’ira pas très loin. « Ce n’est pas facile aujourd’hui », nous glisse plus tard le candidat, en équilibre entre deux arrêts.
Ce n’était pas beaucoup plus facile deux semaines plus tôt, alors qu’il étaitsquare Victoriapour une collecte de fonds organisée par les magasins Partage. Vêtu du chandail vert de l’organisme, Marcel Côté sollicitait des dons à la sortie du métro. Denis Coderre et Richard Bergeron étaient aussi présents. Mais alors que les deux autres récoltaient argent et signes de reconnaissance - surtout Coderre, véritable poisson dans l’eau de ce type d’événement -, Marcel Côté se trouvait le plus souvent un brin esseulé.
Au point que Denis Coderre s’est chargé de l’aider. « Regarde bien, Marcel, je vais te montrer comment ça marche. » Il accroche le premier passant sortant du métro et l’oblige pratiquement à lui serrer la main. « Quand le poisson est ferré, tu ne le laisses pas partir », dit-il à Côté. Denis Coderre retient donc la main du type et lui lance que ce serait bien qu’il contribue à la cause, juste un petit dollar… Et ça marche. Derrière, Marcel Côté regarde la scène d’un oeil amusé.
Des conseils au conseiller
Dans son entourage, tous font valoir la même chose : Marcel Côté est en mode apprentissage, alors que « Denis Coderre a fait ça toute sa vie, serrer des mains ». Or, « briser la glace, entrer dans la bulle des gens, c’est la chose la plus difficile de ce nouveau métier, dit Marcel Côté. Il faut que j’apprenne à devenir sans-gêne, alors que je suis plutôt gêné de nature ».
Le maître du service-conseil (il a cofondé la firme Secor en 1975) est donc dans une phase où c’est lui qui écoute les conseils des autres. Dans la voiture qui le conduit à divers rendez-vous en ce 29 août, son attaché de presse le bombarde d’informations, lui rappelle qu’il doit insister sur tel ou tel point dans le prochain discours, qu’il faut sourire à la caméra, que… « Ça va, ça va », répond Marcel Côté avec une pointe d’impatience, mais poliment.
Dans le bureau de la coalition - qui a l’allure de tout bureau de campagne : tapis taché, agencement alambiqué, impression de temporaire -, on le trouve avec Louise Harel, celle qui lui a offert son parti pour créer la coalition. La chef de Vision Montréal le breffe sur quelques enjeux du jour. Et lui glisse aussi un conseil général : « René Lévesque me disait qu’en politique, il ne faut jamais dire le contraire de ce qu’on pense, mais il ne faut jamais dire tout ce qu’on pense non plus… »
« Je sais que la spontanéité est mon plus grand ennemi », nous dira Marcel Côté en entrevue deux semaines plus tard. « Je dois me surveiller parce que je parle beaucoup. » En même temps, il souligne qu’il doit aussi apprendre à parler plus crûment de ses adversaires.
« Attaquer, ce n’est pas mon genre. Mais on me dit de marquer mes différences, alors j’essaie. Des fois, je fais le populiste. Je le vois dans le choix des mots, dit-il en analysant ses propres gestes. J’ai qualifié d’imbécile l’idée de quelqu’un ce matin à la radio. Pourquoi j’ai utilisé le mot imbécile, que je n’utilise jamais ? Parce que je voulais parler à monsieur et madame tout le monde. Mais dire ça, ou parler d’“ignorance crasse”, ce n’est pas moi : c’est juste mon personnage politique. »
Recrue
Se présentant essentiellement comme un « gars de contenu », Marcel Côté remarque qu’il n’a jamais « fait quelque chose d’aussi superficiel » dans sa carrière que de serrer des mains. « Mais je sais que ça fait partie du rituel d’un politicien », dit-il. Le chemin du pouvoir passe par le ras des pâquerettes - les boulettes, les blés d’Inde, le small talk. Alors il parcourt les autobus et court les lieux de rencontre pour porter le même message, même si l’approche est parfois un peu maladroite : Marcel Côté se présente à la mairie.
Côté est une recrue singulière dans cette course. Malgré une longue expérience dans les coulisses de la politique - il a été conseiller en « stratégie, contenu et communication » des premiers ministres Brian Mulroney, Robert Bourassa et Jean Charest -, Marcel Côté n’a en effet pratiquement jamais touché au volet concret de l’action politique.
Sauf une fois. En 1973, il s’est présenté aux élections provinciales sous la bannière de l’Union nationale. Il a récolté 7 % des voix. La dégelée lui a tout de même donné le goût de la chose publique, dit-il. « À partir de là, j’ai toujours été en périphérie des partis politiques. »Mais s’il connaît « très bien la gestion gouvernementale et celle des grandes organisations », il avoue que ce n’est pas le cas pour celle de Montréal.
« J’ai écrit beaucoup de choses sur l’économie de Montréal et la philanthropie. Mais je n’ai jamais trempé dans la gestion municipale, qui est très différente de celle des entreprises ou de celle de Québec », dit-il. Alors, pourquoi plonger ? Pourquoi chercher la lumière quand on s’est nourri d’ombre si longtemps ?
À le voir aller dans cet autobus en mouvement, ramant littéralement pour capter l’attention des gens, la question s’impose. Il n’a pas « besoin » d’un tel job. Sa réputation est établie. Sa fortune est faite. « J’aurais pu continuer à faire ce que je faisais et ça aurait été très excitant », avoue-t-il. Il est en grande forme - à suivre son pas de marche, on lui donnerait 10 ou 15 ans de moins -, mais il a tout de même largement l’âge de la retraite. Or, le voilà lancé dans une course éreintante, et certainement pas gagnée d’avance.
Montréal inc. «humaniste»
Deux raisons expliquent qu’il soit devenu le chef de la coalition. Primo, il a été sollicité. « Par le Montréal inc., oui, mais aussi par le “Montréal bénévole”», soutient celui qui siège sur 23 conseils d’administration et dont la feuille de route en fait un pilier du milieu culturel montréalais. « J’ai toujours redonné beaucoup à ma ville. Je représente une sorte de Montréal inc. humaniste, si on veut. Alors ça faisait probablement de moi le candidat le plus acceptable du monde des affaires. » Un milieu qui, dit-on, ne voulait pas de Denis Coderre.
Secundo, il y avait le contexte. Marcel Côté n’aime pas du tout la direction que Montréal a prise dans les dernières années. Quand il évoque le sujet, il s’enflamme. Ses bras battent l’air. « Ça n’a pas de bon sens, tous ces scandales ! On a passé 10 directeurs généraux en 12 ans. Il y a quelque chose qui cloche. Une grande organisation ne peut pas fonctionner comme ça. Et les guerres… Ça a été surréaliste de voir le conflit entre le vérificateur général et le directeur général. Voyons donc ! Je siège sur le comité aviseur du Bureau du vérificateur général du Canada : je peux vous dire qu’une querelle publique comme on a eu à Montréal est absolument impensable à Ottawa. »
Il y a donc des problèmes à régler, et Marcel Côté pense être l’homme de la situation. « Je carbure depuis toujours aux idées et aux solutions », dit-il en rappelant que toute sa vie professionnelle s’est bâtie autour de ses capacités à « analyser, restructurer, fusionner des entreprises ».
Remue-méninges
Sa méthode, c’est le remue-méninges : on lance des idées, on teste des solutions, on discute franchement, « tout le monde à égalité ». Dans une rencontre de préparation de contenu à laquelle Le Devoir a assisté, Marcel Côté y allait rondement. « C’est mauvais, l’introduction, c’est plate à mourir », a-t-il lancé à un jeune collaborateur. « Il faut reprendre ça. » À l’autre, il demandait de clarifier certains enjeux. « Je suis comme ça, j’aime l’effervescence, j’aime lancer des idées. Je n’ai pas de certitude tant que ce n’est pas écrit dans un document final », dit-il.
Pour Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, Marcel Côté se définit par le « goût des défis intellectuels et de la recherche de solutions. C’est un gars intelligent, qui travaille très fort et qui comprend bien la problématique des institutions. C’est aussi quelqu’un qui va souvent prendre un point de vue qui n’est pas celui du consensus, parfois par défi ». Mais M. Nadeau n’est pas convaincu que ces traits de caractère seront suffisants pour en faire un politicien efficace.
« En politique, le talent d’un politicien n’est pas toujours la qualité de la solution bureaucratique qu’il propose. Il faut aussi savoir sentir le pouls de l’opinion publique. »
Marcel Côté assure qu’il sait faire : à preuve, dit-il, son soutien au retour des Expos, qui a selon lui prouvé qu’il connaît les « préoccupations de monsieur et madame tout le monde ».
L’analogie au baseball n’est pas sans intérêt. Car si tout le monde accorde une avance à Denis Coderre dans cette course, Marcel Côté peut s’appuyer sur ce que disait Yogi Berra : ce n’est pas fini tant que ce n’est pas fini.
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Marcel Côté sur Richard Bergeron
« Projet Montréal a beaucoup de contenu, je le reconnais. Mais il y a de grandes différences d’approche entre eux et nous. Richard Bergeron est un idéologue très rigide qui a une vision technocratique de la ville. Or, une ville, ce sont des milliers de compromis à faire. Mon défi va être d’arriver à communiquer ces différences entre Projet et la coalition, et de montrer les grands pans qu’il manque à Projet en matière de gouvernance et de développement économique. Leur programme est naïf sur ces points. »
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Marcel Côté sur Denis Coderre
« Denis Coderre ne connaît pas les problèmes de Montréal. Il ne connaît pas la gestion d’une Ville. Être ministre des Sports à Ottawa et gérer une ville comme Montréal, ce n’est pas la même chose. Par rapport à lui, le défi va être d’aller vers l’électeur qui est moins préoccupé par des éléments de contenu que par des éléments de proximité. Contrairement à Coderre, je ne bénéficie pas d’une notoriété spontanée. Or, pour aller communiquer avec ces électeurs, il faut de la notoriété. »
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Des idées pour la Ville
- Le conseil exécutif :« Nous aurons la parité hommes-femmes. Je ne veux pas trop d’ego et de testostérone. »
- Le côté brouillon qu’on lui attribue : « Si j’étais brouillon, je ne serais pas riche comme je le suis. J’aime l’effervescence et l’ébullition, je carbure aux idées. Mais je suis très rigoureux. »
- Son engagement politique : « Je ne ferai qu’un mandat. Si je n’ai pas ce mandat, je n’irai pas à l’hôtel de ville pour parader et faire des tatas. Je ne cherche pas une job. J’ai d’autres choses à faire d’aussi excitantes que Montréal. »
- Son modèle : « Au Québec, mon idée de la gestion d’une ville est incarnée par Jean-Paul L’Allier. Québec et Montréal sont très différentes, et les contextes sont différents. Mais la structure institutionnelle que L’Allier a créée était bonne. »
- Ses chances de victoire : « Je dis une sur deux. Les premiers sondages significatifs arriveront vers le 10 octobre. C’est là qu’on saura ce qu’il faut consolider ou modifier. »
- Sa « révolution tranquille pour Montréal » : « C’est facile de parler de rêves. Mais si on ne met pas d’ordre, on ne pourra rien réaliser. Ça prend des préalables. Je parle d’une révolution tranquille dans la gestion parce que je ne vais pas tout chambarder : il y a eu assez de bouleversements récemment. »