Piètre gestion des grands travaux à Montréal

Le partage des responsabilités entre la ville-centre et les arrondissements nuit à la qualité du réseau routier, selon le vérificateur.
Photo: - Le Devoir Le partage des responsabilités entre la ville-centre et les arrondissements nuit à la qualité du réseau routier, selon le vérificateur.

Il faudra s’habituer aux nids-de-poule et aux cônes orange, parce que l’on n’a encore rien vu. Les travaux dans les réseaux d’eau et de voirie à Montréal sont si mal gérés que l’état des infrastructures, déjà considéré comme critique, risque d’empirer au fil des ans, prévient le vérificateur général Jacques Bergeron.

Les rues de l’île souffrent d’un « déficit d’investissement » estimé entre 98,5 millions et 178,5 millions par année, indique le rapport de 2012 du vérificateur général. La Ville connaît mal l’état précis de la chaussée, planifie mal les travaux et a même dépensé à peine 40 % des sommes prévues pour l’entretien et la reconstruction des grandes artères, en 2010 et 2011.


« […] nous constatons un sous-investissement du réseau, qui augmente d’année en année le déficit d’investissement. Les conséquences de ce sous-investissement seront lourdes au cours des années à venir si la situation n’est pas redressée, car le nombre de chaussées et de trottoirs en mauvais état s’accroîtra et les travaux requis seront plus importants, non seulement en raison de leur nature, mais également en matière de coûts », écrit le vérificateur.


« En effet, des interventions de reconstruction sont plus coûteuses que des interventions de réhabilitation. C’est sans compter qu’une telle situation risque d’entraîner des effets perturbateurs importants pour la population », ajoute Jacques Bergeron dans son rapport déposé lundi au conseil municipal.


Les réseaux d’eau aussi visés


Le vérificateur pose un diagnostic aussi implacable pour les réseaux d’eau, qui se détériorent rapidement à cause de retards de centaines de millions de dollars dans l’entretien et la réfection. Non seulement la ville de Montréal ne dépense pas assez d’argent pour rénover ses égouts et ses aqueducs, mais elle dépense mal les sommes dont elle dispose pour entretenir ces infrastructures, dont elle ne connaît souvent pas l’état de détérioration avec précision, selon le rapport du vérificateur général.


Les réseaux d’eau souffrent d’un déficit d’investissement de 3,8 milliards de dollars. En 2003, ce chiffre était de 1,5 milliard. La Ville doit donc établir des priorités claires, chose qu’elle ne fait pas, dit le rapport. Pourtant, depuis 2005, la Ville a dépensé plus de 60 millions de dollars pour établir un inventaire détaillé de ses égouts et de ses aqueducs, afin de pouvoir évaluer avec précision l’état de son réseau, dit le vérificateur général. « Or, dans les faits, notre vérification nous a permis de constater que la sélection des interventions potentielles à réaliser ne se faisait pas entièrement selon l’ordre de priorité établi par le PI [Plan d’intervention] », explique le rapport du vérificateur.


De plus, la Ville n’arrive pas à réaliser les travaux qu’elle planifie, ce qui crée un cercle vicieux. « Un nombre non négligeable de projets doivent être reportés ou annulés, ce qui contribue à accroître le déficit d’investissement cumulé », peut-on lire. Ainsi en 2011, la Ville a réalisé tout juste la moitié de ses projets destinés à améliorer l’état des conduites souterraines.


Et la situation risque de perdurer. « Enfin, il y a actuellement beaucoup d’impondérables (niveau de service à établir, budgets alloués insuffisants, niveau et mode de financement incertains, etc.) qui nous permettent de croire que cette situation n’est pas sur le point de se résorber », conclut le vérificateur.

 

«Dysfonctionnement»


En matière de voirie, M. Bergeron s’est intéressé plus précisément aux 845 km de chaussée dite « artérielle », où passe la circulation de transit, comme la rue Saint-Denis ou l’avenue De Lorimier. En 2010, 21 % du réseau était considéré comme étant dans un « mauvais ou très mauvais état ».


Le partage des responsabilités entre la ville-centre et les arrondissements nuit à la qualité du réseau routier, selon le vérificateur. Les réparations importantes sur ces grandes artères relèvent de la ville-centre, mais l’entretien de routine est fait par les arrondissements, ce qui complique la gestion des travaux de voirie, souligne-t-il.


« C’est un rapport extrêmement important qui nous révèle le dysfonctionnement de la Ville de Montréal en matière d’eau et de voirie. Il n’y a pas de cohérence entre la ville-centre et les arrondissements, a réagi Louise Harel, chef de Vision Montréal. Les interventions coûtent beaucoup plus cher parce qu’elles se font au moment où les infrastructures sont dans un très mauvais état. »


L’éthique des sous-traitants


La Ville aurait intérêt à mieux planifier les travaux d’infrastructures, parce que chaque dollar investi dans l’entretien normal permet d’économiser 5 $ en coûts de réfection, indique le rapport.


Le vérificateur note aussi que des sous-traitants à l’éthique douteuse risquent de se faufiler dans les travaux d’infrastructures, malgré le resserrement des règles d’attribution des contrats. La Ville scrute à la loupe les entreprises qui obtiennent des contrats, mais néglige de vérifier si leurs sous-traitants répondent aux critères éthiques mis sur pied pour contrer la collusion et la corruption.


Autre préoccupation, des entrepreneurs qui dépassent les délais prévus pour la réalisation de travaux d’infrastructures s’en tirent sans aucune pénalité, constate le vérificateur général. Des retards allant jusqu’à 58 jours dans des travaux d’aqueduc sont ainsi restés impunis, note Jacques Bergeron.


 

Avec la collaboration de Jeanne Corriveau

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