Il y a quarante ans, la tragédie du Blue Bird Café


	La façade du Blue Bird Café, avenue Union, au lendemain de l’incendie criminel qui a fait 37 victimes.
Photo: Collection du Musée des pompiers auxiliaires de Montréal
La façade du Blue Bird Café, avenue Union, au lendemain de l’incendie criminel qui a fait 37 victimes.

Lorsque le soir du 1er septembre 1972, le feu éclate dans le Blue Bird Café, au centre-ville de Montréal, l’établissement est bondé. La principale sortie de secours ayant été cadenassée, 37 personnes périssent dans le brasier. Il aura fallu 40 ans avant que Montréal souligne officiellement la tragédie et le 31 août prochain, un hommage sera rendu aux disparus par la Ville de Montréal.


Richard Lajoie avait 15 ans lorsque son frère Réjean, 18 ans, est décédé dans l’incendie qui a ravagé le Blue Bird Café. L’établissement, situé dans l’avenue Union, à l’angle de la rue Cathcart, était surmonté d’un populaire bar de musique country baptisé le Wagon Wheel.


Le soir de la tragédie, trois hommes éméchés, frustrés d’avoir été refoulés à l’entrée en raison de leur état d’ébriété, décident de mettre le feu dans la cage d’escalier menant au bar situé à l’étage supérieur. Gagnés par la panique, les clients tentent de fuir les lieux, mais l’issue de secours est verrouillée et ils doivent se rabattre sur la fenêtre de la toilette des femmes. La plupart des 37 victimes étaient de jeunes anglophones dans la vingtaine, mais on comptait aussi parmi eux sept mineurs, dont la plus jeune était âgée de 13 ans.


« Les clubs étaient dangereux à l’époque. Ils avaient des barreaux dans les fenêtres, souligne M. Lajoie. Et dans le cas de Blue Bird Café, l’issue de secours avait été cadenassée par le propriétaire qui voulait empêcher les clients d’y accéder sans payer le prix d’entrée. »


Les trois hommes à l’origine de l’incendie ont passé 10 ans derrière les barreaux. Quant aux familles, elles ont intenté une poursuite de 9 millions contre la Ville en lui reprochant sa négligence dans l’application des règles de prévention des incendies. Elles ont finalement abandonné ces procédures et ont accepté de la Ville une somme de 1000 $ à 3000 $ par victime. « Elles n’ont pas pu poursuivre le propriétaire du bar puisqu’il a déclaré faillite peu après l’événement », précise M. Lajoie.


L’épreuve a été douloureuse. « Ma mère était dévastée. Mon père a dû retourner travailler. Moi, j’ai lâché l’école pour m’occuper de mes frères et soeurs, rappelle-t-il. En 1972, l’aide aux proches des victimes, ça n’existait pas. »

 

Tragédie oubliée


Bien qu’il s’agisse du pire incendie criminel de l’histoire de Montréal, le triste événement a été relégué aux oubliettes. Richard Lajoie croit qu’à l’époque, le maire Jean Drapeau, qui préparait ses Jeux olympiques, ne voulait pas rappeler l’événement de peur d’effrayer les visiteurs et les touristes. « Chaque année, on parle de Polytechnique pour commémorer la tuerie, et ce, depuis plus de 22 ans. Mais nous, on n’a pas eu ça. Avec le 1000 $ qu’ils ont reçus, mes parents ont enterré mon frère dans une fosse commune », relate M. Lajoie.


La Ville de Montréal a toutefois annoncé hier qu’elle entendait commémorer l’événement. Ainsi, une dalle de granite sur laquelle seront inscrits les noms des 37 victimes le 31 août prochain sera installée au square Phillips, a fait savoir Helen Fotopulos, responsable de la culture et du patrimoine au comité exécutif de la Ville.


Un hommage sera rendu aux victimes du Blue Bird lors de la messe annuelle du Service de sécurité incendie de Montréal à la mémoire des pompiers décédés - aucun pompier n’est cependant décédé dans l’incendie du Blue Bird. Une exposition comportant des photos d’archives sera également présentée dans le hall d’honneur de l’hôtel de ville de Montréal du 1er au 8 septembre. Le lendemain, les familles des victimes se réuniront autour d’un repas et participeront à une vigile à proximité du site de la tragédie, aujourd’hui transformé en stationnement de surface.


S’il a fallu 40 ans avant que l’événement soit souligné officiellement, c’est parce qu’une demande en ce sens n’a été formulée par les familles des victimes que l’an dernier seulement, a indiqué Helen Fotopulos. « Pour les familles, les séquelles de cette tragédie n’ont jamais été guéries », a-t-elle reconnu. Mme Fotopulos a d’ailleurs profité de l’annonce d’hier pour lancer un appel aux témoins et aux survivants afin qu’ils participent aux événements de commémoration.


Pour Richard Lajoie, l’hommage rendu par la Ville de Montréal est un baume : « Je peux partir la tête tranquille. L’incendie à Chapais fait partie de notre histoire. Le drame de Polytechnique aussi. Maintenant, c’est au tour du Blue Bird de faire partie de notre histoire. »

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