Échangeur Turcot - Un projet « vert » qui ne fait pas l'unanimité

Selon le ministre des Transports, Sam Hamad, le projet présenté cette semaine est «le meilleur projet auquel nous pouvons arriver».
Photo: Pedro Ruiz - Le Devoir Selon le ministre des Transports, Sam Hamad, le projet présenté cette semaine est «le meilleur projet auquel nous pouvons arriver».

Québec a confirmé cette semaine que le complexe Turcot sera reconstruit au coût de trois milliards de dollars. Pour le gouvernement, le temps des tergiversations est terminé, car l'échangeur inauguré en 1967 tombe en décrépitude. L'administration de Gérald Tremblay a accepté un compromis, mais le projet divise encore les Montréalais.

«Il y a peu de grandes villes qui peuvent bénéficier d'un partenariat comme celui qu'on annonce aujourd'hui et je voudrais remercier le gouvernement du Québec de ce partenariat qui va nous permettre [...] de changer le visage de Montréal.»

Ces paroles optimistes, le maire Gérald Tremblay ne les a pas prononcées cette semaine, mais bien il y a trois ans, lors de l'annonce de la première mouture du projet Turcot par l'ex-ministre des Transports, Julie Boulet.

Quand on connaît la suite, c'est-à-dire les nombreuses récriminations de la Ville de Montréal à propos du projet conçu en vase clos par le ministère des Transports du Québec (MTQ) sans consultation auprès de la Ville, on peut s'étonner que Gérald Tremblay ait de la sorte encensé le «partenariat» entre Montréal et le gouvernement du Québec.

Il faut savoir que, lorsqu'il s'est présenté à la conférence de presse tenue par l'ex-ministre Boulet le 29 juin 2007, le maire Tremblay ignorait tout du projet de reconstruction du complexe Turcot que s'apprêtait à présenter le MTQ. «Au départ, la Ville a appris la veille de l'annonce par le gouvernement la reconstruction de l'échangeur», a par la suite confié à une journaliste de Radio-Canada l'ancien responsable des transports au comité exécutif de la Ville, André Lavallée. «Le maire a accepté d'être présent. Il a appris l'ensemble des informations en même temps que le public en général.»

Gérald Tremblay était de nouveau présent, mardi dernier, à la conférence de presse du nouveau ministre des Transports, Sam Hamad, pour l'annonce du projet Turcot, mais cette fois, il y était en toute connaissance de cause.

Il faut dire que beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis 2007 et que beaucoup de voitures ont circulé sur l'échangeur aussi. Au cours des trois dernières années, le maire Tremblay s'est plaint à de multiples reprises de l'absence de considération du MTQ à l'égard de la Ville, notamment dans une lettre adressée à la ministre en novembre 2008. Puis, en avril dernier, estimant que la situation ne s'était guère améliorée, le maire a haussé le ton en présentant, aux côtés du chef de Projet Montréal et responsable de l'urbanisme au comité exécutif, Richard Bergeron, son propre projet d'échangeur circulaire. L'ex-ministre ayant balayé cette proposition du revers de la main, le maire a même fait bloc avec les partis d'opposition et les villes liées afin d'exiger de Québec un projet plus respectueux de Montréal.

Le discours vert du MTQ


Le MTQ a fini par comprendre le message. Du moins a-t-il consulté la Ville dans les mois qui ont suivi en intégrant quelques revendications de Montréal. Les modifications ne sont pas majeures, mais le MTQ a tout de même consenti à aménager une voie réservée en site propre pour les transports en commun au centre de l'autoroute 20 et à réduire le nombre d'expropriations.

Mais on ne peut passer sous silence le nouveau discours à saveur environnementaliste du MTQ. Pour mieux apprécier le chemin parcouru par le ministère en cette matière, rien de mieux que de remonter dans le temps.

Le 29 juin 2007, Julie Boulet résumait ainsi l'ambitieux projet autoroutier: «Cette solution a été élaborée avec le souci d'assurer la sécurité et la fluidité de la circulation, d'améliorer l'environnement visuel et de diminuer les coûts liés à l'entretien de ses infrastructures.»

Elle décrivait les 28 structures de béton couvrant 167 000 mètres carrés, soit l'équivalent de 23 terrains de soccer. Elle ajoutait même: «Le scénario retenu est un véritable défi d'ingénierie qui, je peux vous le dire, passionne les ingénieurs du ministère des Transports. Je suis persuadée qu'ils sauront le relever avec succès.»

Plus de trois ans plus tard, avec quelques modifications que de nombreux observateurs qualifient de mineures, ce chantier autoroutier surdimensionné est devenu «un projet de développement urbain dans un contexte de développement durable». Cette description, c'est celle de Sam Hamad, qui, mardi dernier, insistait désormais sur le verdissement de 30 hectares, soit l'équivalent de 39 terrains de football.

Pour appuyer ses dires, le MTQ a fourni des images virtuelles — largement commentées cette semaine — où l'on voit le futur échangeur bordé de végétation luxuriante.

«C'est manifeste qu'on fait de la diversion complète avec de beaux dessins en éclaté et des vues aériennes, reconnaît Gérard Beaudet, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal. Il y a une forme de camouflage du projet derrière le vocabulaire et le dessin, qui est rendu une pratique très courante dans beaucoup de milieux, mais notamment au ministère des Transports, et je pense qu'il faut le dénoncer.»

«On n'a pas proposé de l'asphalte vert et c'est tout juste. On veut nous faire croire que c'est un projet écologique et verdoyant, poursuit-il. Le MTQ s'est véritablement mis au greenwashing. C'est un projet présenté par des spécialistes en communications, d'abord et avant tout.» Dans les faits, l'échangeur Turcot demeure un «gros monstre passablement encombrant», rappelle-t-il.

Tramway virtuel

Conscient que le projet compte encore de nombreux détracteurs, Sam Hamad a eu ces mots mardi dernier: «Aujourd'hui, je dis aux opposants que, dans le contexte actuel et les contraintes auxquelles nous étions soumis, c'est le meilleur projet auquel nous pouvons arriver.»

À ses côtés, Gérald Tremblay, qui n'était pas particulièrement souriant, a reconnu qu'il s'agissait d'un compromis mais que, malgré tout, le projet répondait «en grande partie aux préoccupations de la Ville de Montréal».

Richard Bergeron, qui a dû quitter son poste au comité exécutif en raison du litige Turcot, a sorti l'artillerie lourde pour fustiger le projet, égratignant au passage le maire Tremblay à qui il reproche d'avoir abdiqué devant Québec. «Sournois», «malhonnête», «manipulation» et «fumisterie», a-t-il dit au sujet du projet du MTQ.

Gérard Beaudet tend à lui donner raison dans la mesure où le compromis proposé laisse en suspens tout le volet de transport en commun. «Il n'y a aucun engagement formel. On fait une travée pour les autobus et, comme on a déjà des autobus, on peut s'imaginer qu'il y en a qui vont circuler là-dessus, mais pour le reste, soit le tram-train, le tramway et tous les autres projets, c'est très vague et il n'y a aucun engagement. Et sans engagement minimal, la conclusion qu'on peut en tirer, c'est que l'essentiel de l'investissement est encore un investissement pour le transport automobile et par camion», conclut-il.

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Le MTQ a finalement tranché et, quoi qu'en disent les opposants, qui ne décolèrent pas, le futur échangeur aura une capacité routière identique à l'infrastructure actuelle. Certaines améliorations pourront être apportées au projet au cours de la prochaine année, mais elles seront essentiellement cosmétiques puisqu'il s'agira de raffiner le design architectural de l'infrastructure.

Pressé de démarrer le projet, le MTQ a lancé un appel d'offres pour choisir la firme de génie-conseil qui aura pour mission d'élaborer l'avant-projet définitif. D'ici là, le ministère évalue à trois milliards de dollars le coût du projet Turcot. Il refuse toutefois d'en dévoiler les détails, alléguant que la firme retenue par le MTQ se chargera de préciser les dépenses dans son mandat qui se terminera en décembre 2011. Si on dévoilait aujourd'hui les détails des estimations réalisées par le MTQ, «cela entraverait le processus d'appel d'offres», a fait valoir le porte-parole du ministère, Réal Grégoire.

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