Des enveloppes bourrées d'argent - Marc-Yvan Côté reconnaît son «erreur»

Pris dans un «désert du Sahel» acquis au Bloc québécois, l'organisateur du Parti libéral du Canada (PLC) pour l'est du Québec, Marc-Yvan Côté, a accepté 120 000 $ en liquide dans l'espoir de faire pousser quelques «oasis» rouges lors de la campagne de 1997.
M. Côté a reçu un premier versement de 60 000 $ en mains propres de Michel Béliveau, le directeur général du PLC-Q, lors d'un tête-à-tête à Montréal. Il a envoyé des émissaires pour compléter deux autres transactions de40 000 $ et de 20 000 $, encore en liquide. «Disons que j'aurais préféré d'autres formes, mais, dans les circonstances, ça ne m'a pas surpris. Mais huit ans plus tard, je peux vous dire que c'est définitivement une erreur», a déclaré M. Côté hier à la commission Gomery.
L'urgence de sauver les meubles devant la progression des troupes souverainistes, jumelée à la désorganisation du PLC, a motivé cette décision. En politicien aguerri, l'ex-ministre libéral sous Bourassa a longuement réfléchi avant d'accepter les contributions occultes. «Je me suis effectivement posé des questions et je me suis répondu en disant que de payer des dépenses de candidat en argent, c'était légal, et que de payer un représentant en argent le jour du vote, c'était légal», a-t-il expliqué.
Le PLC-Q a cependant commis un geste illégal en ne comptabilisant pas ces dépenses électorales. M. Côté a saupoudré 18 des 21 circonscriptions de l'Est, qui ont reçu en moyenne de 5000 à 10 000 $ chacune. Il a distribué la première tranche de 60 000 $ lors du lancement de la campagne à Shawinigan, le fief du premier ministre Jean Chrétien.
Le témoignage de M. Côté confirme celui de Michel Béliveau à quelques milliers de dollars près. Directeur général du PLC-Q lors de la campagne de 1997, M. Béliveau croit avoir remis entre 150 000 et 225 000 $ à Marc-Yvan Côté pour aider les circonscriptions «orphelines» de l'Est. M. Béliveau a puisé de 250 000 à 300 000 $ dans les poches de Jacques Corriveau, qui a touché sept millions de dollars dans le cadre du programme des commandites.
Marc-Yvan Côté a palpé les billets du Dominion lors d'une seule élection générale. En 2000, le PLC-Q a réussi à amasser suffisamment d'argent dans l'Est pour financer sa campagne selon les normes.
De faux bénévoles
Des locaux parallèles du Parti libéral du Canada, section Québec (PLC-Q), où travaillaient une meute de bénévoles non déclarés, ont poussé comme des champignons lors des campagnes électorales de 1997 et de 2000.
«Il y a des dépenses qui sont déclarées et il y a des dépenses qui malheureusement ne sont pas déclarées», a lancé l'ex-directeur général du PLC-Q, Benoît Corbeil, lors de son contre-interrogatoire. Il a imputé la responsabilité de cette organisation parallèle à Alfonso Gagliano, l'organisateur en chef du PLC au Québec à l'époque. Tous les membres de la Commission électorale, dont la coprésidente Claudette Tessier-Lessieur, l'attaché politique du cabinet du premier ministre, Daniel Dezainde, et l'attaché du ministre Gagliano, Pierre Lessieur, con-naissaient l'existence de cette organisation parallèle.
«Il y a deux sections à la permanence. Il y avait la section déclarée, où je travaillais. Il y avait la section non déclarée, où il y avait débarquement d'une trentaine de faux bénévoles, et les gens de M. Gagliano travaillaient dans cette section, a révélé M. Corbeil. C'était dans les us et coutumes. Les gens qui disent qu'ils ne sont pas au courant, de deux choses l'une: soit ils n'ont plus de mémoire, soit ils ne disent pas la vérité.»
Ces faux bénévoles, pour la plupart des attachés politiques encore actifs à Ottawa, se sont partagé 50 000 $ en liquide grâce à la générosité de Jean Brault. Benoît Corbeil a remis des enveloppes à Irène Marcheterre (responsable des communications de Jean Lapierre), Daniel Dezainde (attaché de presse de Jacques Saada), Luc Desbiens (conseiller politique de Lucienne Robillard), Michel Joncas (président de la Commission de l'organisation pour les instances nationales du PLC), Richard Mimeau (ex-directeur général du PLC-Q), Pierre Lessieur (administrateur principal de Développement économique Canada), Claude Lemieux (directeur de la députation au sein du cabinet de Jean Charest) et Bruno Lortie (directeur de cabinet de la ministre provinciale du Tourisme).
«Nous aurions dû comptabiliser ces données, au même titre que nous aurions dû comptabiliser l'ensemble des faux bénévoles qui travaillent dans le cadre de la campagne électorale à la permanence de Montréal, de Québec. et je présume dans certaines circonscrip-tions», a dit M. Corbeil.
Attaques contre Corbeil
Benoît Corbeil a essuyé les attaques féroces de son ancien clan. L'avocat du parti, Doug Mitchell, a suggéré qu'il avait gardé pour lui les 50 000 $ en liquide remis par Jean Brault lors de la campagne de 2000.
M. Corbeil a gagné un peu moins de 57 000 $ à titre de directeur général adjoint du PLC-Q 1997, année au cours de laquelle il a fait l'acquisition d'un chalet d'une valeur de 50 000 $ dans les Laurentides. Il a effectué des rénovations sur ce chalet pour un montant de 35 000 $ après son départ du parti. «Il se peut que je vous demande de conclure que M. Corbeil, plutôt que de remettre l'argent qu'il a reçu de M. Brault au parti, il l'a empoché», a lancé Me Mitchell.
Jean Brault a indiqué lors de son témoignage qu'il a livré à Benoît Corbeil deux tranches de 15 000 $ et 35 000 $ en 1997 ou en 1998, et non en 2000 comme l'a affirmé M. Corbeil. Deux chèques de Groupaction que M. Brault a encaissés en son nom pour dégager du liquide sont datés d'avril et août 1997, a souligné Me Mitchell.
«J'aurais pu moi aussi dire: "Non, je l'ai pas reçu, c'est réglé." [...] J'ai tout dit. Je l'ai donné, pis je l'ai pas gardé», a fini par lancer M. Corbeil au sujet des 50 000 $, sur un ton excédé.
La commission Gomery a coûté cher à Benoît Corbeil. Il a perdu l'emploi le plus payant de sa carrière, le poste de président de la Fondation de l'UQAM, assorti d'un salaire annuel de 105 000 $. «Il y a certaines personnes qui ont laissé entendre publiquement que je faisais ces gestes-là parce que j'avais perdu mon emploi à l'UQAM. C'est tout à fait faux, je ne fais pas ça par vengeance ou par dépit», a-t-il dit.
Benoît Corbeil et Alfonso Gagliano ont gardé contact au fil des ans, a révélé enfin le contre-interrogatoire. M. Corbeil a même rendu visite à son ami lors de son exil forcé à Copenhague. Le ton de leur récente conversation au sujet de la commission Gomery semblait beaucoup plus amical que menaçant, a fait ressortir Pierre Fournier, l'avocat de M. Gagliano. L'ex-ministre se serait surtout employé à nier la version des faits que Benoît Corbeil s'apprêtait à livrer.