Une nouvelle direction pour la diplomatie canadienne

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, proposera mercredi d'importants changements dans la façon de mener la diplomatie du pays.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, proposera mercredi d'importants changements dans la façon de mener la diplomatie du pays.

Tous les ambassadeurs du Canada sont de passage à Ottawa, mercredi, pour que la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, leur propose d’importants changements dans la façon de mener la diplomatie du pays, détaillés dans un document de travail que Le Devoir a pu consulter.

L’ouvrage de 36 pages est intitulé L’avenir de la diplomatie. Transformer Affaires mondiales Canada. Il pose un diagnostic sévère sur l’administration fédérale du réseau diplomatique : rigide, allergique au risque, absente à l’étranger, lente à réagir aux crises, trop peu spécialisée et trop unilingue, notamment.

On y propose carrément que le fonctionnement d’Affaires mondiales Canada, mastodonte administratif de 14 000 employés, soit revu afin de mieux répondre aux besoins du pays dans un contexte international en pleine mutation. Il est suggéré que soit renforcée la présence canadienne dans des « pays clés » du G20 et auprès des Nations unies à New York, parmi d’autres lieux stratégiques.

Dans un premier temps, la ministre des Affaires étrangères couche sur papier sa vision d’un monde multipolaire devenu plus complexe, marqué par le retour des rivalités entre grandes puissances qui minent « l’ordre fondé sur les règles », comme en témoigne l’invasion russe de l’Ukraine. En plus, des menaces transnationales échappent au contrôle des États, en premier lieu les changements climatiques, mais aussi les problèmes de cybersécurité, par exemple.

Une nouvelle politique

Ce plan « pour discussion » est l’ébauche de « la politique gouvernementale en matière d’affaires étrangères », précise Mélanie Joly, qui ajoute s’être fait confier ce mandat par le premier ministre Justin Trudeau.

« On a une opportunité, qui arrive peut-être une fois par génération, de réinvestir et de faire en sorte de prendre les bonnes décisions pour les prochaines décennies », lâche-t-elle en entrevue.

La ministre montréalaise a donné rendez-vous au Devoir dans une salle de réunion de l’édifice de l’Ouest du parlement, qui fourmille d’élus et d’employés pressés par la fin de session parlementaire. Par moments, elle tape sur la table pour souligner l’importance de son message : le Canada doit augmenter son influence dans le monde afin de prévenir les nouvelles tensions internationales.

« C’est comme investir dans le système de santé. Il faut investir dans le système de santé, mais il faut un investissement dans la prévention. C’est la même chose pour la diplomatie ! »

La ministre a lancé l’an dernier des consultations auprès de ses employés, pour leur demander ce qui cloche dans le réseau diplomatique canadien. Elle dit avoir examiné 9000 de leurs idées et propositions pour dresser ses conclusions.

Le dernier véritable plan de politique étrangère du Canada date de 2005, sous le gouvernement libéral de Paul Martin. Il proposait surtout une centralisation de la diplomatie autour du partenariat avec les États-Unis.

Changement de culture

Mme Joly a confié à l’un de ses cadres supérieurs la mission de diriger cette revue interne du ministère, sur laquelle les diplomates ont encore leur mot à dire. Le sous-ministre adjoint Antoine Chevrier doit constituer une équipe et arriver avec un plan de match pour septembre.

« Je pense que l’ancien gouvernement [conservateur de Stephen Harper] avait développé une culture du silence. Nos diplomates étaient assez muselés. Je pense que ça a traumatisé un peu les gens qui y travaillaient », soutient Mélanie Joly, au sujet des constats que son document de travail dresse sur l’organisation.

On peut par exemple lire dans son document de travail qu’Affaires mondiales Canada « croule sous le poids de ses processus de planification, mais peine à réaffecter ses ressources en fonction des nouvelles priorités du Canada ». Il commande, entre autres, qu’Ottawa écoute davantage l’expertise des chefs de mission, « appren[ne] à faire confiance » à ses employés et crée « une culture qui encourage une prise de risque judicieuse ».

Le document lance l’idée d’une révision de la manière dont sont attribués les postes à l’étranger et les salaires du personnel des ambassades recruté sur place. Il envisage la création d’un « centre de politique ouverte » qui recueillerait les idées des chercheurs et des experts.

Plus présent dans le monde

Ottawa songe aussi à envoyer plus de diplomates à Genève, Vienne, Nairobi, Rome ou La Haye, ou encore à être plus présent auprès de l’OTAN ou de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), parmi d’autres organisations internationales. Le Canada aurait aussi besoin d’une stratégie pour placer des employés canadiens au sein de ces institutions.

À terme, le Canada — 10e économie du monde — souhaite avoir « une influence stratégique là où il le faut et quand il le faut », et permettre à son gouvernement de réagir rapidement aux crises internationales, « de plus en plus fréquentes », comme celles en Haïti ou en Afghanistan.

En entrevue, Mélanie Joly fait la liste de ses réalisations depuis qu’elle a accédé au poste de ministre des Affaires étrangères, à l’automne 2021 : réaction à l’invasion de l’Ukraine, adoption d’une stratégie indo-pacifique et création de huit nouveaux postes d’ambassadeurs.

« On a commencé il y a un an à faire la transformation. Maintenant, on va au coeur du problème », affirme-t-elle.

Ce problème comprend une gestion des ressources humaines qu’il faut « rapidement moderniser », indique le texte à présenter aux ambassadeurs. Le réseau diplomatique doit ainsi devenir un milieu de travail « plus sain », qui « ne tolère aucun comportement toxique » et dans lequel la maîtrise du français et de langues étrangères serait valorisée.

Affaires mondiales Canada a été la cible de critiques ces dernières années pour avoir promu une cadre au comportement toxique, pour faire peu de place au français parmi ses gestionnaires et pour l’envoi de diplomates dans des pays dont ils ne maîtrisent pas la langue, notamment. Le nombre de missions diplomatiques du Canada dans le monde doit passer de 178 à 182 cette année.

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