Sous le feu des critiques, David Johnston se défend

L’ancien gouverneur général David Johnston est venu défendre son travail et sa réputation en comité parlementaire. Les partis d’opposition l’attendaient de pied ferme. La rencontre a été ponctuée d’échanges acrimonieux du début à la fin. Les élus conservateurs, bloquistes et néodémocrates en sont tous sortis encore convaincus que M. Johnston doit se récuser et que le gouvernement doit déclencher une enquête publique.
Le ton a monté en moins de dix minutes, mardi, au comité qui se penche sur l’ingérence chinoise en sol canadien.
Le rapporteur spécial sur l’ingérence étrangère du gouvernement de Justin Trudeau est revenu sur les conclusions de son premier rapport, présenté le mois dernier. La Chine mène des opérations d’ingérence, M. Johnston a décelé de « graves lacunes » dans la capacité du gouvernement de les combattre et une enquête publique n’est malgré tout pas souhaitable, car elle serait tenue au secret, trop coûteuse et trop longue.
À (re)lire
L’ingérence de la Chine menace le Canada, mais pas besoin d’enquête publique, dit David Johnston
Une fois ces constats réitérés, M. Johnston s’est rapidement tenu sur la défensive, pour défendre les conclusions de son rapport (pour lesquelles il n’a pas été en contact avec le premier ministre ou son bureau, a-t-il dit) et se défendre contre les reproches d’apparence de conflit d’intérêts.
« Ces allégations sont tout simplement fausses. Et la décision de les répéter ne les rend pas plus vraies », a-t-il déclaré.
David Johnston a martelé qu’il restait en poste afin de mener des consultations publiques et de formuler des recommandations. « Je vous implore de focaliser votre attention sur l’enjeu de l’ingérence étrangère », a-t-il dit aux députés.
De nouveaux reproches
Ces derniers n’ont toutefois pas été persuadés. Car M. Johnston n’a souvent pas offert de réponse détaillée à leurs questions.
Le rapporteur spécial n’a ainsi pas expliqué ce qui lui avait permis de statuer qu’il n’y avait pas de preuve associant au régime chinois la désinformation dont ont été victimes des candidats électoraux. Même chose quant aux preuves qui lui permettent d’écrire que le député Han Dong (qui siège comme indépendant) n’était pas au courant des efforts de Pékin visant à en faire le candidat électoral nommé pour le Parti libéral. M. Johnston n’a pas précisé non plus ce qui fait que le premier ministre n’a pas reçu la version originale d’une note de breffage indiquant que des agents chinois aidaient des candidats électoraux, ou les raisons pour lesquelles cette version a été révisée.
Ses conclusions, a-t-il affirmé à quelques reprises, sont basées « sur les renseignements qui ont été rendus disponibles à l’époque ».
L’opposition n’a pas non plus été satisfaite de ses explications justifiant le fait qu’une enquête publique sur autant de renseignements secrets ne serait pas possible ou bénéfique, alors que la commission d’enquête sur Maher Arar s’est déroulée en partie à huis clos pour étudier des preuves secrètes.
David Johnston y est par ailleurs allé de quelques confirmations qui ont fait sourciller encore plus les partis d’opposition. Notamment sur le fait qu’il n’a pas rencontré le directeur général des élections ou la commissaire aux élections fédérales, dans le cadre du premier pan de son mandat, afin d’évaluer les tentatives d’influence de Pékin aux élections de 2019 et de 2021.
Le leader bloquiste, Alain Therrien, s’est dit « estomaqué ». Le conservateur Michael Cooper l’a accusé de faire de « l’aveuglement volontaire » et l’a qualifié aussi de « confus ».
Des conflits d’intérêts réfutés
L’opposition reproche à David Johnston d’être trop proche du premier ministre Justin Trudeau, de sa famille et du Parti libéral. Sa conseillère juridique, Sheila Block, a en outre versé plus de 7500 $ au Parti libéral, entre 2006 et 2022, et participé à une collecte de fonds virtuelle en mars 2021, a révélé le Globe and Mail.
Le rapporteur spécial a rejeté à plusieurs reprises l’idée que lui ou son avocate soient en conflit d’intérêts. M. Johnston a rappelé les postes qu’il a occupés au fil de sa carrière. « Dans le cadre de ces rôles, j’ai eu l’occasion de rencontrer de hauts représentants, qu’ils soient conservateurs ou libéraux. Cela fait simplement partie de ma vie. Et insinuer que je fais partie d’une sorte de clique libérale est faux », a-t-il rétorqué.
Les partis d’opposition se sont ligués, la semaine dernière, pour adopter une motion non contraignante aux Communes réclamant la démission de David Johnston et le déclenchement d’une enquête publique, qui serait présidée par une personne faisant consensus à la Chambre basse. Les élus des trois principaux partis siégeant au comité parlementaire ont réitéré cette demande directement auprès de M. Johnston mardi.
« J’ai un profond respect pour le Parlement, a assuré le rapporteur spécial. La raison pour laquelle je poursuis ce mandat est que j’estime que ce vote était basé sur des allégations qui sont fausses », a-t-il cependant affirmé, en réponse au néodémocrate Peter Julian qui lui demandait comment il pouvait ignorer la volonté d’une majorité de la Chambre.
« M. Johnston parle de respecter la démocratie, mais il ne respecte pas la démocratie », a raillé le bloquiste Alain Therrien.
« Si le Parlement ne parvient pas à obtenir de réponses depuis quatre ans, que vous ne cherchez pas à les obtenir et que nous n’aurons pas d’enquête publique avec tous les pouvoirs de subpoena qui viennent avec, comment diable allons-nous trouver les réponses qui nous permettraient de remplir notre rôle constitutionnel et de demander des comptes à ce gouvernement ? » a quant à lui demandé le conservateur Michael Chong, qui a lui-même été la cible de tentatives d’intimidation de la part de Pékin.
Avant même le début de la rencontre, les députés de l’opposition avaient avoué que le rapporteur spécial ne pourrait rien dire qui les fasse changer d’idée à son endroit. À leur sortie, ils l’ont confirmé.
Le premier ministre Trudeau a pour sa part défendu une fois de plus son rapporteur spécial et accusé les partis d’opposition de s’adonner à des « attaques personnelles non fondées » et de « salir » la réputation de M. Johnston et de son équipe.