Le français encore malmené dans la fonction publique fédérale et à Air Canada

Encore cette année, les plaintes ont afflué au bureau du commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, principalement pour dénoncer des problèmes dans l’obtention de services en français. 1788 d’entre elles ont été jugées recevables, dont 276 seulement pour le transporteur aérien Air Canada.
Adrian Wyld Archives La Presse canadienne Encore cette année, les plaintes ont afflué au bureau du commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, principalement pour dénoncer des problèmes dans l’obtention de services en français. 1788 d’entre elles ont été jugées recevables, dont 276 seulement pour le transporteur aérien Air Canada.

Les voyageurs et les fonctionnaires fédéraux francophones sont encore cette année les principales victimes des manquements en matière de langues officielles, conclut le commissaire Raymond Théberge dans son plus récent rapport annuel, publié mardi.

Le bilan de l’année 2022-2023 du chien de garde en matière de langues officielles ne manque toutefois pas de rappeler aux institutions fautives, en premier lieu Air Canada, que son bureau est sur le point d’obtenir le pouvoir de leur imposer des amendes.

« Je suis satisfait du fait que le projet de loi C-13 m’accorde de nouveaux pouvoirs. Grâce aux accords de conformité que les prochains commissaires et moi-même pourrons négocier, aux ordonnances que nous pourrons rendre, aux sanctions administratives pécuniaires que nous pourrons imposer […], nous serons mieux à même d’assurer l’application de la Loi sur les langues officielles que par le passé », avertit M. Théberge.

Encore cette année, les plaintes ont afflué à son bureau, principalement pour dénoncer des problèmes dans l’obtention de services en français. De ce nombre, 1788 d’entre elles ont été jugées recevables, dont 276 seulement pour le transporteur aérien Air Canada.

Il s’agit d’un sommet en dix ans du nombre de plaintes de voyageurs envers l’ancienne société d’État, si on ne prend pas en compte les milliers de reproches formulés l’an dernier contre l’unique événement du discours prononcé en anglais par son p.-d.g., Michael Rousseau, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Air Canada a toutefois récemment décidé de souscrire à la Charte québécoise de la langue française pour ses employés dans la province, comme le lui demandait la loi 96 du Québec.

Bientôt plus sévère

Devant les journalistes, Raymond Théberge a précisé ne jamais vouloir en arriver à faire pleuvoir les amendes sur Air Canada, d’un maximum de 25 000 $ par plainte. Même si la loi existe depuis plus de 50 ans et qu’il répète des blâmes similaires d’année en année, il espère que ses nouveaux pouvoirs — qui devront être précisés bientôt par règlement — arriveront à faire « changer les comportements » des institutions peu respectueuses des langues officielles.

« [Une amende], c’est un moyen contraignant, qui fait partie d’une gradation de pouvoirs qui seront maintenant à la disposition du commissaire. À partir des ententes de conformité, aux ordonnances et aux sanctions pécuniaires : c’est une gradation. »

En général, les aéroports, l’Agence des services frontaliers du Canada et les autres institutions entourant le transport aérien sont les cancres du respect du français, à en croire le nombre de plaintes, qui a bondi depuis une décennie. Les principaux problèmes ont pourtant été établis dans le rapport de 2012-2013, critique le commissaire.

« C’est clair que la majorité de nos plaintes touchent le français. C’est-à-dire un manque de services en français », précise-t-il, ajoutant que le français est souvent perçu comme une langue reléguée au second plan.

En particulier, les voyageurs sont aux prises avec des institutions qui négligent l’offre active, comme l’affichage de panneaux « Bonjour  Hello ». Elles ne déploient pas suffisamment de personnel en mesure de communiquer dans les deux langues avec le public et n’affichent pas systématiquement l’information en français et en anglais.

La fonction publique à la traîne

Le commissaire fédéral aux langues officielles dénonce la tendance du gouvernement fédéral à laisser tomber le critère du bilinguisme pour certains postes de fonctionnaires. Quelque 714 plaintes reçues concernaient des institutions publiques qui « n’établiraient pas les profils linguistiques de certains postes de manière objective ». C’est trois fois plus que l’an dernier.

Il déplore le fait que le gouvernement ne se presse pas pour régler ce problème, établi dans un rapport de 2020. Il recommande maintenant que le fédéral s’y attaque au plus tard pour juin 2025.

De manière générale, M. Théberge s’inquiète aussi des conséquences du télétravail pour les droits des employés de parler la langue de leur choix. Le gouvernement a cessé en 2017 de demander à ses employés s’ils se sentent libres de rédiger des documents en français ou en anglais. Selon les dernières données disponibles, les francophones étaient beaucoup moins nombreux (68 %) que les anglophones (92 %) à pouvoir rédiger des courriels dans leur langue, par exemple.

Parmi les 207 plaintes déposées en matière de langue au travail, la Gendarmerie royale du Canada (43 plaintes), le ministère de la Défense nationale (28), Services publics et Approvisionnement Canada (21), l’Agence des services frontaliers du Canada (20), Services partagés Canada (11) et Affaires mondiales Canada (10) se partagent le haut du classement. Plus de la moitié des plaintes ont été formulées dans la région d’Ottawa-Gatineau.

« Dans 79 % des cas, les plaintes portaient sur un incident relatif à l’utilisation du français », note Raymond Théberge.

Le commissaire a toutefois détaillé son optimisme prudent envers les récentes politiques du gouvernement fédéral en matière de langues. Il salue la nomination de la juge autochtone et bilingue Michelle O’Bonsawin à la Cour suprême, par exemple.

Raymond Théberge indique se préparer à l’entrée en vigueur du projet de loi C-13, actuellement examiné par le Sénat, et se dit heureux du financement de 1,4 milliard de dollars prévu dans le dernier plan d’action fédéral pour les langues officielles, par ailleurs critiqué pour appuyer l’anglais au Québec.

Il ne partage pas la crainte anglo-québécoise envers C-13

Critiqué par des représentants de la communauté anglophone québécoise, l’accord entre Ottawa et Québec sur la protection du français au travail est jugé plutôt « intéressant » par le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge.

« Je pense que c’est important de réaliser que cette entente fait en sorte qu’on va être en mesure de promouvoir, de protéger le français au Canada. Non seulement au Québec, mais à l’extérieur du Québec. Il reste à voir son impact sur le terrain dans les années à venir », a déclaré M. Théberge en marge de la présentation de son rapport annuel mardi.

Le chien de garde des langues officielles a bel et bien noté dans son rapport que la loi 96 adoptée au Québec l’an dernier pour renforcer la Charte de la langue française avait « soulevé des préoccupations dans les communautés d’expression anglaise ».

Il ne précise pas s’il partage ces préoccupations et n’a pas critiqué cette loi mardi lorsque questionné à ce sujet. Le commissaire a simplement évoqué le fait que les références à la loi québécoise dans une loi fédérale pourraient faire l’objet de débats d’experts.

Les multiples mentions de la Charte québécoise dans le projet de loi fédéral C-13 ont fait monter aux barricades des députés libéraux anglophones du Québec. L’un d’entre eux, le député de Mont-Royal, Anthony Housefather, est allé jusqu’à voter contre la réforme de la Loi sur les langues officielles proposée par son propre gouvernement.

Le projet de loi a finalement été adopté par tous les partis à Ottawa à la mi-mai après une entente entre les gouvernements Trudeau et Legault pour modifier le texte à la dernière minute. Cela montre, selon le commissaire Théberge, qu’« il est possible de promouvoir et de protéger le français tout en protégeant les droits des communautés linguistiques en situation minoritaire ».

Jointe par Le Devoir, la présidente du Quebec Community Groups Network (QCGN), Eva Ludvig, s’est dite « déçue » par l’opinion du commissaire sur C-13. « [L’entente] devrait également préoccuper le Commissariat aux langues officielles, dont le devoir est de protéger les droits linguistiques des Canadiens et de promouvoir la dualité linguistique et le bilinguisme à travers le Canada », écrit-elle dans une déclaration.



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