L’ingérence de la Chine menace le Canada, mais pas besoin d’enquête publique, dit David Johnston

Les efforts d’ingérence étrangère en sol canadien sont en pleine « croissance » et « répandus », convient l’ancien gouverneur général David Johnston. Mais nul besoin d’une enquête publique sur la question, a-t-il déterminé. Le processus serait trop coûteux, trop long et ne pourrait rien révéler de plus publiquement.

Le verdict du rapporteur spécial du gouvernement de Justin Trudeau n’a rien fait pour calmer les salves partisanes entre le gouvernement et les partis d’opposition.

Les appels étaient quasi unanimes : les partis d’opposition à Ottawa, mais aussi de nombreux observateurs politiques ou du milieu du renseignement, estimaient qu’une enquête publique et indépendante était devenue inévitable, après des mois d’allégations de tentatives d’ingérence par le régime chinois.

Dans son rapport présenté mardi, David Johnston a fait valoir qu’il était du même avis au départ. Mais au fil de ses travaux, le rapporteur spécial a changé d’idée. « Cela prolongerait le processus sans l’approfondir », écrit-il dans le document de 65 pages. M. Johnston estime qu’un commissaire à la gouverne d’une enquête publique n’en apprendrait pas plus que lui et ne ferait que prolonger l’étude du dossier. « Tout retard serait préjudiciable à l’intérêt public, indique-t-il. Ma conclusion est que cela n’aiderait pas à accroître la confiance. »

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Sa conclusion a aussitôt été dénoncée par les élus de l’opposition, qui l’ont une fois de plus accusé d’être trop proche du gouvernement de Justin Trudeau.

Des consultations, mais pas d’enquête

Pourtant, « de graves lacunes », M. Johnston en a constaté dans la façon dont le renseignement est relayé aux ministères et aux politiciens. Le cas des menaces à l’endroit du député conservateur Michael Chong en est « l’exemple le plus frappant ». Une note du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) ne s’est jamais rendue au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Bill Blair, ou à son cabinet.

Le reste des allégations étaient toutefois fondées sur des informations erronées, isolées ou incomplètes, souligne M. Johnston. Il soutient n’avoir vu aucune preuve que les membres du gouvernement se soient « abstenus, par complaisance ou par négligence, de donner suite aux renseignements, conseils ou recommandations » d’agences de sécurité.

Le rapporteur spécial compte maintenant user des cinq mois restant à son mandat pour se pencher sur cette circulation du renseignement au sein de l’appareil gouvernemental et sur les améliorations à y apporter. Il mènera pour ce faire des consultations publiques auprès d’experts et de la diaspora chinoise.

M. Johnston recommande en outre qu’un comité de parlementaires et un office de surveillance de la sécurité nationale — tous deux travaillant à huis clos — épluchent ses propres conclusions et disent publiquement s’ils ne sont pas d’accord.

Les chefs des partis d’opposition devraient également obtenir une cote de sécurité « très élevée » pour pouvoir consulter l’annexe confidentielle d’informations complémentaires à son rapport que M. Johnston a montrée au premier ministre. Justin Trudeau les a aussitôt invités par écrit à s’en prévaloir.

Johnston et Trudeau attaqués

Le chef conservateur Pierre Poilievre, dont la cote de sécurité d’ex-ministre est échue, a cependant rétorqué en point de presse qu’il ne laisserait pas le gouvernement le « réduire au silence », car toute information secrète ne pourrait pas être diffusée publiquement par la suite. M. Poilievre a accusé David Johnston d’aider M. Trudeau à « camoufler les faits » en tant qu’« ami de famille » et « voisin de chalet » du premier ministre — et membre de la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau.

Le bloquiste Alain Therrien a aussi mis en doute son indépendance, lui reprochant d’avoir « servi le premier ministre » en ne recommandant pas d’enquête.

En conférence de presse, M. Johnston a révélé avoir demandé l’avis de l’ancien juge à la Cour suprême Frank Iacobucci, et a ajouté que ce dernier avait déterminé qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts entre les deux hommes.

Nonobstant, l’ancien haut fonctionnaire en sécurité nationale Artur Wilczynski estime que les reproches dont M. Johnston est la cible menacent les consultations qu’il entend tenir. M. Wilczynski, qui aurait souhaité voir une enquête publique, se demande aussi si le rapporteur spécial est le mieux placé pour tenir ces consultations « et si ses conclusions auront la légitimité nécessaire pour bâtir le consensus national » nécessaire et ainsi protéger la confiance du public dans les institutions démocratiques.

Le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, s’est dit déçu de ces conclusions et a répété qu’il continuerait de réclamer une enquête publique au premier ministre.

En point de presse, M. Trudeau a rejeté l’idée, s’en remettant aux recommandations du rapporteur spécial. Et il s’en est pris à son tour à ses adversaires : « Je ne crois pas que les Canadiens voudraient ou s’attendraient à ce qu’aucun de leurs dirigeants [politiques] choisisse l’ignorance lorsqu’ils peuvent choisir de voir tous les faits. » Les débats demeureront, mais ils devraient être basés sur ces faits, a argué M. Trudeau.

Le bureau du chef bloquiste, Yves-François Blanchet, a indiqué qu’il déléguerait quant à lui la consultation du second rapport confidentiel à l’un de ses députés.

Qu’en est-il des allégations des derniers mois ?

Lors des élections de 2021 :

- La Chine aurait tenté de favoriser l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire

Le rapport de M. Johnston confirme des campagnes de désinformation tenues sur WeChat. « Cette circulation n’a pas pu être attribuée à un acteur étatique », écrit-il.

- Pékin aurait encouragé des donateurs à financer les campagnes de certains candidats

« Le SCRS est au courant des allégations. » Le rapport indique cependant que l’agence « n’a pas recueilli de renseignements montrant que ces activités se produisent réellement ».

- Le libéral Han Dong aurait conseillé au consulat de Chine à Toronto de ne pas libérer Michael Spavor et Michael Kovrig

« L’allégation est fausse. » Le député poursuit Global News pour diffamation et siège actuellement comme indépendant.

- La Chine se serait ingérée dans le processus de nomination du candidat Han Dong

« Des irrégularités ont été observées […] et il y a des soupçons bien fondés [selon lesquels elles] étaient liées au consulat [de Chine] à Toronto. » Aucune preuve ne laisse croire que M. Dong était au courant. Le SCRS n’a pas fait de recommandation et le candidat n’a donc pas été écarté.

Lors des élections de 2019 :

- Justin Trudeau et son bureau auraient été avertis que des agents chinois aidaient des candidats

Une information « semblable » se trouvait dans une « première version » d’une note de service, laquelle a toutefois été révisée. La version finale, acheminée au premier ministre, ne contenait pas cette citation.

- Pékin aurait versé 250 000 $ à 11 candidats

Le régime chinois « avait l’intention d’envoyer des fonds » à sept libéraux et à quatre conservateurs, par divers intermédiaires. « On ne sait pas très bien [si] l’argent […] s’est vraiment rendu » aux intermédiaires, et « aucun renseignement ne donne à penser que des candidats fédéraux ont bien reçu ces fonds ». Nom de l’auteur



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