La recommandation du rapporteur sur l’ingérence étrangère attendue mardi

L’ancien gouverneur général David Johnston a été nommé « rapporteur spécial indépendant » sur la question de l’ingérence étrangère par le premier ministre Justin Trudeau.
Sean Kilpatrick Archives La Presse canadienne L’ancien gouverneur général David Johnston a été nommé « rapporteur spécial indépendant » sur la question de l’ingérence étrangère par le premier ministre Justin Trudeau.

L’ancien gouverneur général David Johnston doit dévoiler mardi s’il pense que le gouvernement fédéral devrait déclencher une enquête publique et indépendante dans le dossier de l’ingérence étrangère au pays.

Dans la foulée d’allégations selon lesquelles la Chine se serait ingérée dans les deux dernières élections fédérales, en 2019 et 2021, des experts consultés par La Presse canadienne estiment qu’une enquête publique permettrait d’assurer une transparence complète du gouvernement sur le sujet.

Elle donnerait aussi l’occasion aux Canadiens de prendre conscience d’à quel point cette ingérence est un problème sérieux auquel il est impératif de s’attaquer, selon eux.

M. Johnston, qui a été nommé « rapporteur spécial indépendant » sur la question de l’ingérence étrangère par le premier ministre Justin Trudeau, devrait se prononcer sur la pertinence de tenir une enquête publique dans son premier rapport, qu’il dévoilera mardi midi lors d’une conférence de presse à Ottawa.

Plutôt que de déclencher lui-même une enquête publique, M. Trudeau a fait appel à M. Johnston en mars pour apporter un regard « non partisan » sur la question de l’ingérence étrangère — un choix que les partis d’opposition ont qualifié de « trop peu, trop tard ».

Mais depuis ce temps, la pression n’a fait que s’accentuer sur la colline du Parlement, à Ottawa, puisque de nouvelles allégations d’ingérence, notamment concernant l’intimidation par Pékin d’un député conservateur et de ses proches à Hong Kong, ont fait surface dans les médias.

« La façon dont le débat a évolué au cours des derniers mois a vraiment aggravé les divisions partisanes au pays », observe le professeur à l’Université d’Ottawa Artur Wilczynski.

« Selon moi, tout ça n’a pas aidé à assurer une défense solide de la démocratie canadienne et n’a pas entraîné une réponse gouvernementale efficace aux menaces d’ingérence étrangère. »

M. Wilczynski, qui a passé plus de 30 ans dans la fonction publique à travailler sur les questions de politique étrangère, de renseignement, de sécurité et de défense, croit qu’une enquête publique aiderait à recentrer la conversation sur le fonctionnement même de l’ingérence étrangère et sur la façon dont le Canada devrait agir pour affronter cette menace.

Un enjeu qui ne date pas d’hier

Les signes que des nations externes tentent de s’ingérer dans les activités politiques au Canada étaient bien visibles même avant la controverse actuelle.

Des responsables au Canada savaient que les élections américaines de 2016 étaient sujettes à des tentatives d’ingérence étrangère et depuis des années, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) fait part d’une inquiétude croissante dans ses rapports annuels.

Mais une série de reportages publiés depuis l’automne dernier par le Globe and Mail et le Global News, qui citaient des sources anonymes au sein des agences de sécurité, ont ravivé la conversation politique sur cet enjeu.

« Même si des responsables gouvernementaux ont souvent voulu parler d’ingérence étrangère, la seule chose qui a fonctionné pour forcer une véritable conversation à ce sujet, ce sont les fuites dans les médias », souligne M. Wilczynski.

Lorsqu’un article de Global News, publié en novembre, a soulevé que la Chine aurait financé les campagnes de certains candidats par le biais d’un réseau illégal de donateurs, M. Trudeau et ses collègues ont déclaré qu’ils ne savaient pas quels candidats particuliers avaient reçu du soutien de Pékin.

Mais le gouvernement a commencé à montrer des signes qu’il recadrait son approche concernant la Chine.

Une semaine après la publication de ces allégations, le bureau de M. Trudeau a indiqué que le premier ministre avait fait part de ses inquiétudes concernant « l’ingérence » lors d’une conversation avec le président chinois Xi Jinping au sommet du G20.

Quelques jours plus tard, le Canada a dévoilé sa nouvelle stratégie indo-pacifique, dans laquelle il consacrait une partie de ses investissements de 2,3 milliards de dollars à la lutte contre l’ingérence étrangère.

Et vers la fin du mois de novembre, Brenda Lucki, qui était alors commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, a confirmé qu’une enquête policière était en cours sur de nombreuses allégations d’ingérence étrangère.

Malgré ces mesures, le gouvernement a été de plus en plus pressé de déclencher une enquête publique et indépendante, surtout lorsque le Globe and Mail a révélé, en février, que le gouvernement chinois avait cherché à nuire à des politiciens conservateurs lors des élections de 2021 parce qu’ils étaient considérés par Pékin comme étant hostiles à son régime.

Une enquête publique et rien d’autre

Au moment où M. Trudeau a annoncé, au début mars, la création du poste de « rapporteur spécial », ainsi que le déclenchement d’enquêtes du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes et de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, la soupe était déjà chaude pour le gouvernement.

Ses adversaires politiques considéraient toute mesure qui n’était pas une enquête publique et indépendante comme étant insuffisante. Un comité parlementaire a même adopté une motion non contraignante demandant au gouvernement d’en déclencher une.

« Ça a créé un énorme drame politique pour le gouvernement libéral et l’a mis sur la défensive, certainement », affirme Wesley Wark, qui est le chercheur principal au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale.

« Le gouvernement libéral a eu du mal à brosser un portrait convaincant de ses actions et politiques pour répondre fermement à l’ingérence étrangère. Il a clairement fait certaines choses, mais ça n’a pas été suffisant. »

Selon le professeur Wilczynski, de l’Université d’Ottawa, les récentes allégations selon lesquelles le député Michael Chong et ses proches à Hong Kong auraient été menacés par un diplomate du consulat de Chine à Toronto ont eu un réel impact au sein de la population.

« Pour les Canadiens, ça a cristallisé de manière très solide l’ampleur de la menace », dit-il.

C’est dans ce contexte que M. Johnston doit maintenant faire sa recommandation, au terme d’une enquête où il a eu accès à toutes les informations pertinentes, selon le gouvernement fédéral.

Lors d’une enquête publique, des audiences formelles donneraient une voix aux responsables électoraux, aux partis politiques, aux parlementaires, aux provinces, aux communautés et aux autres acteurs, soutient M. Wilczynski.

M. Trudeau a déjà dit qu’il respecterait les recommandations de M. Johnston, y compris s’il recommandait une enquête publique.

C’est un lourd fardeau à porter, note M. Wark.

« M. Johnston a été poussé au-devant de la scène dans ce dossier. Et c’est lui qui devra braver la tempête. »

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