Les plus pauvres paieront davantage pour l’essence «propre», avertit le directeur parlementaire du budget

Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux
Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux

Les ménages les plus pauvres devront consacrer une plus grande part de leurs revenus que les plus riches à l’achat des produits pétroliers plus « propres » qu’Ottawa souhaite voir sur le marché canadien, montre un rapport aux conclusions contestées par le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault.

Le prix du litre d’essence pourrait augmenter de 17 cents le litre en 2030 à cause du Règlement sur les combustibles propres, peut-on lire dans l’analyse publiée jeudi par le directeur parlementaire du budget (DPB), Yves Giroux. Pour le diesel, ce supplément pourrait aller jusqu’à 16 cents le litre.

À partir de juillet de cette année, Ottawa forcera les fournisseurs de carburant à diminuer l’« intensité carbone » de leur produit, c’est-à-dire les émissions de GES qui proviennent surtout de l’extraction du pétrole, mais aussi de son raffinage, de sa distribution et de son utilisation. La mesure fédérale est dotée d’un système d’échange de crédits spécial, qui a pour but de rendre moins chère l’essence la moins polluante — un règlement qualifié par Ottawa d’« un des plus complexes jamais élaborés ».

Même si les ménages québécois seront parmi ceux pour qui la facture de l’opération est la moins élevée, le DPB estime que cette hausse de prix pourrait leur coûter 436 $  (ou 0,39 % de leur revenu) en moyenne pour l’année 2030. Il s’agit d’un maximum se basant sur un scénario où le prix serait entièrement transféré aux consommateurs, et dans lequel les entreprises n’auraient pas inventé une façon de réduire l’intensité carbone à moindres frais.

Or, ces estimations montrent aussi que la somme qui pourrait incomber aux 20 % des familles québécoises les plus pauvres — 178 $ pour 2030 — représente une part plus grande de leurs revenus, soit 0,54 % de leur budget. Cet impact plus important sur le portefeuille des moins fortunés est donc qualifié de « régressif » par l’agent du Parlement.

« Les ménages à faible revenu consacrent généralement une plus grande proportion de leur revenu au transport et à d’autres biens et services à forte intensité d’énergie en comparant avec les ménages à revenu élevé », explique le rapport.

Les contribuables des provinces productrices de pétrole — Terre-Neuve-et-Labrador, la Saskatchewan et l’Alberta — seraient les plus fortement touchés par ce règlement, avec une facture moyenne pour 2030 de 850 $, 1117 $ et 1157 $ respectivement.

Méthodologie contestée

 

Le chef du Parti conservateur du Canada a tourné les projecteurs sur ce rapport jeudi, en qualifiant le règlement de « taxe carbone numéro deux » qui, elle, va s’appliquer aussi au Québec. « C’est seulement le Parti conservateur qui va annuler ces taxes pour réduire les prix. […] En même temps, le Bloc wokiste et les libéraux augmentent le coût sur le dos des Québécois », a déclaré Pierre Poilievre.

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada, Steven Guilbeault, a quant à lui critiqué la méthodologie du directeur parlementaire du budget. « L’analyse ne tient pas compte de l’évolution des technologies et suppose qu’aucune nouvelle technologie ne sera mise en service. L’hypothèse de départ n’est pas raisonnable, surtout si l’on considère les 120 milliards de dollars d’investissement dans l’économie propre que notre gouvernement a réalisé dans le budget 2023 seulement. »

Le ministre Guilbeault dit que le règlement a été conçu pour qu’il n’y ait pas d’impact « immédiat » sur le prix des carburants, et la hausse prévue à l’approche de 2030 « devrait être minime par rapport aux profits des raffineries de pétrole, qui doublent, voire triplent leurs marges habituelles ». Il a critiqué le fait qu’on ne mette pas en relief les coûts de cette politique avec ceux, très importants, des conséquences des changements climatiques, comme les feux de forêt en Alberta.

« Ce n’est pas notre travail d’estimer les bienfaits des mesures gouvernementales », répond Yves Giroux lorsque joint par Le Devoir. Le directeur parlementaire du budget ajoute d’ailleurs que le règlement en lui-même n’aura pas de grand effet sur les feux de forêt en Alberta. « Il y a une grande réticence à expliquer clairement aux Canadiens qu’il y a des coûts à combattre les changements climatiques. […] Même quand on agit par voie réglementaire, il y a des coûts. Et les impacts peuvent être régressifs », c’est-à-dire toucher les plus pauvres, affirme-t-il.

Le Règlement sur les combustibles propres promet de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 26 millions de tonnes en 2030. Il est combiné à d’autres mesures, comme une redevance fédérale sur les combustibles, surnommée « taxe carbone », fixée à 170 $ par tonne pour 2030.

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