Les conservateurs évitent la marche antiavortement

D’ordinaire plus nombreux, les députés conservateurs se sont faits discrets à l’annuelle marche antiavortement sur la colline du Parlement. Seul l’un d’entre eux s’y est présenté jeudi, alors que le projet de loi de sa collègue Cathay Wagantall, qui s’oppose, elle aussi, à l’avortement, faisait encore débat à l’intérieur des murs des Communes.
Bon an mal an, quelques élus conservateurs participent à la « marche pour la vie ». Ils étaient sept l’an dernier, réunis devant la foule, près de la scène. Cette fois-ci, l’Albertain Arnold Viersen y est allé tout seul pour remercier au microphone les milliers de manifestants antiavortement de s’être rassemblés pour « pleurer […] les bébés qui perdent la vie » ainsi que les Canadiens qui « perdent la vie avec l’euthanasie et l’aide à mourir », a dénoncé le président du caucus « pro-vie » des conservateurs.
La députée saskatchewanaise Cathay Wagantall, dont le projet de loi C-311 était à l’étude cette semaine, devait l’accompagner. Elle ne s’est finalement pas présentée. Même l’élue Leslyn Lewis, qui a brigué la chefferie en 2020 et en 2022 en se présentant comme résolument antiavortement, ne s’est pas déplacée. Les habitués de la manifestation ont prétexté un conflit d’horaire aux organisateurs de la Campaign Life Coalition.
La manifestation de cette année était la première sous le règne du chef conservateur Pierre Poilievre. Ce dernier, qui ne s’oppose pas au droit à l’avortement, n’aurait pas donné la consigne à ses élus d’éviter l’événement, selon son bureau. Mais les conservateurs n’apprécient pas que le projet de loi C-311 de leur collègue ait été associé au débat entourant le droit à l’avortement. Un mécontentement partagé par le chef, selon nos informations, qui aurait fait comprendre à ses troupes qu’il vaudrait peut-être mieux éviter la marche cette année.
Un risque légal pour la suite
Le projet de loi C-311 vise à faire d’une infraction commise contre une femme que l’on sait enceinte et lui causant des « dommages corporels ou moraux » un facteur aggravant dans la détermination de la peine.
Or, les juges ont déjà la latitude de tenir compte de la vulnérabilité de la victime ou d’un contexte de violence conjugale, dont les femmes enceintes sont souvent victimes, note la professeure de droit à l’Université Laval Julie Desrosiers.
« Il n’y a pas d’enjeu à codifier quelque chose qui existe déjà dans la jurisprudence », explique-t-elle en entrevue. Par contre, avec ce projet de loi, on courrait le risque, en codifiant le facteur aggravant d’être enceinte au Code criminel, de permettre plus tard une modification qui viendrait accorder un statut légal au foetus. « C’est ce qui me rend méfiante avec cette proposition », a-t-elle indiqué après l’avoir consultée.
Mme Wagantall en est à son quatrième projet de loi aux Communes. Deux visaient à interdire les avortements sexo-sélectifs. Le troisième était une précédente version du projet actuel, qui allait plus loin en cherchant à ériger en acte criminel le fait de tuer ou de blesser « un enfant à naître » — une façon détournée d’accorder un statut légal au foetus, dénonçaient les groupes pro-avortement.
Sur la colline du Parlement, ils étaient environ 3000 à réclamer l’interdiction de l’avortement, selon les estimations de la police. Quelques dizaines de contre-manifestants brandissaient leurs propres pancartes défendant l’accès à l’avortement.
Lee Clark, âgée de 29 ans, vient au parlement tous les ans depuis 12 ans. « Si je ne suis pas ici, je tiens le silence. Je suis complice. Et je refuse de l’être », a-t-elle souligné au Devoir.