Ottawa ajoute 1,4 milliard pour les langues officielles

La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, s’est défendue mercredi de parler des deux côtés de la bouche en appuyant l’anglais au Québec tout en affirmant que seul le français est menacé dans la province.
Justin Tang La Presse canadienne La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, s’est défendue mercredi de parler des deux côtés de la bouche en appuyant l’anglais au Québec tout en affirmant que seul le français est menacé dans la province.

Environ 20 % du 1,4 milliard de dollars sur cinq ans qu’Ottawa ajoute pour son plan d’action sur les langues officielles viendra appuyer l’anglais au Québec, a indiqué mercredi le gouvernement fédéral, le jour même où débute le débat en troisième lecture du projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles.

Ottawa ignore pour le moment combien d’argent ira spécifiquement aux anglophones du Québec. La proportion de 20 % est donc « une approximation » de ce qui représente historiquement la distribution de la communauté anglophone, a expliqué une haute fonctionnaire du ministère du Patrimoine canadien qui a parlé sous le couvert de l’anonymat lors d’une séance d’information technique.

De cette somme, 137,5 millions de dollars sur cinq ans viendront appuyer des initiatives qui visent spécifiquement la communauté anglophone du Québec, a-t-on expliqué. D’autres initiatives recevront des fonds en fonction des demandes qui seront reçues.

Le gouvernement fédéral prévoit aussi des sommes pour soutenir le français au Québec. Plus précisément, 6,5 millions de dollars viendront appuyer le Conseil des ministres sur la francophonie canadienne, ce qui comprend le travail pour promouvoir le français partout au pays, y compris au Québec, et 5 millions de dollars pour des stages en arts et culture.

Des fonds seront également affectés à la production et la diffusion de contenus scientifiques et d’autres seront versés au Québec pour l’apprentissage du français langue seconde.

Le français, seule langue menacée au Canada

La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, s’est défendue de parler des deux côtés de la bouche en appuyant l’anglais au Québec tout en affirmant que seul le français est menacé dans la province.

« Tout à fait le contraire, a-t-elle lancé aux journalistes. […] Comme gouvernement fédéral nous voulons toujours être là pour appuyer nos communautés de langues officielles en situation minoritaire, mais soyons clairs : la seule langue qui est menacée au Canada, c’est la langue française. »

Or, même le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, peinait à dire si d’aider par centaines de millions de dollars l’anglais au Québec va nuire au français dans la province.

« C’est une question qui est extrêmement difficile à répondre. […] C’est une question qui reste à vérifier sur le terrain », a-t-il simplement affirmé en mêlée de presse.

M. Théberge a cependant noté que « ça fait partie du projet canadien de supporter nos deux communautés de langues officielles en situation minoritaire ».

Au total, ce seront 4,1 milliards de dollars qui seront dédiés au plan puisque le 1,4 milliard supplémentaire s’ajoute à la « base historique de financement » de 2,7 milliards consacrée aux langues officielles, qui elle est « de façon continue et permanente ».

Désaccord entre Québec et le Bloc

Le ministre québécois de la Langue française, Jean-François Roberge, s’est désolé de n’avoir « pas vu » dans le plan des mesures « en concordance » avec les déclarations du premier ministre Justin Trudeau et de la ministre Petitpas Taylor voulant que le français est menacé au Québec.

« Je veux bien moi que les communautés anglophones du Québec aient les moyens de se développer, de se déployer, a-t-il dit. Mais qu’en est-il pour les organismes communautaires, les organisations qui défendent le fait français au Québec ? Ça prend une asymétrie. »

M. Roberge, qui est également porte-parole en matière de francophonie canadienne, a cependant estimé que le plan est « définitivement positif » pour les francophones hors Québec. Il a noté l’absence d’une cible en matière d’immigration francophone, bien que les « intentions » soient positives.

Appelé à commenter, le chef du Bloc québécois n’était visiblement pas au même diapason que le ministre Roberge. Selon Yves-François Blanchet, Ottawa ne devrait rien dépenser pour protéger les anglophones du Québec puisqu’ils ne sont pas menacés. De même, il ne devrait pas y avoir des fonds pour intervenir dans le régime linguistique au Québec en soutenant le français puisque « ce serait mettre le doigt dans l’engrenage ».

« Je ne suis pas lié à ce que sont les positions du ministre Roberge de quelque façon que ce soit », a-t-il dit en mêlée de presse.

Tout en confirmant que le Bloc votera en faveur de C-13, le chef bloquiste a dit avoir « des doutes énormes » sur ce que permettra d’accomplir le compromis entre les ministres Roberge et Petitpas Taylor sur la protection du français.

« Le fardeau de la preuve sera sur eux ces deux gouvernements-là, a-t-il envoyé. Je laisse M. Roberge à son optimisme. S’il veut être optimiste, ça lui appartient. »

Immigration francophone

Dans un discours annonçant le plan d’action, le premier ministre Justin Trudeau a expliqué que l’anglais prend de plus en plus de place dans le monde en raison des réseaux sociaux et des nouvelles technologies.

« On le sait : le français est minoritaire en Amérique du Nord et ça rend sa situation fragile, a-t-il déclaré. Alors, en tant que gouvernement, c’est notre responsabilité de continuer à protéger nos langues officielles en situation minoritaire. »

Le plan d’Ottawa vise à soutenir 32 mesures autour de quatre « axes d’intervention », soit l’immigration francophone, l’apprentissage des langues officielles, le développement des communautés et la mise en œuvre de mesures par les institutions fédérales.

Au chapitre de l’immigration francophone à l’extérieur du Québec, probablement l’enjeu le plus observé par les communautés en situation minoritaire dans le reste du pays, M. Trudeau s’est félicité qu’Ottawa ait atteint sa cible.

Le commissaire Théberge estime toutefois que le gouvernement doit élaborer « le plus rapidement possible » une politique d’immigration francophone.

« Même si on a atteint cette cible (d’immigration francophone) une fois dans 20 ans, ce n’est pas suffisant pour renverser l’écart entre le poids démographique francophone et anglophone, a-t-il dit. Donc on doit se donner une cible qui est beaucoup plus ambitieuse. »

Ottawa entend d’ailleurs recruter des immigrants francophones dans les pays francophones d’Afrique et d’Europe.

« Il va y avoir du travail qui sera fait pour […] que les gens savent qu’ici au Canada, que oui il y a des francophones au Québec, mais aussi il y a des francophones à l’extérieur du Québec », a précisé la ministre Petitpas Taylor.

Des fonds ne sont pas alloués pour le projet de loi C-13 dans le plan d’action puisque le document législatif n’a pas encore été adopté, mais le gouvernement assure qu’il fera des demandes budgétaires dès que ce sera le cas et qu’il aura reçu la sanction royale. L’énoncé économique de l’automne dernier prévoit cependant 16 millions de dollars pour débuter la mise en œuvre.



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