Industries vertes et soins dentaires teintent le budget fédéral

À l’approche d’un ralentissement économique, le gouvernement Trudeau a déposé mardi un budget 2023 sans grand éclat, sinon que ce dernier répond clairement à Joe Biden en matière d’investissements verts, et à son partenaire néodémocrate avec une nouvelle couverture des soins dentaires.
« Je n’ai jamais été aussi optimiste quant à l’avenir de notre pays », a déclaré en Chambre la ministre des Finances, Chrystia Freeland, au moment de déposer son tout dernier budget, lequel s’étaye sur les 288 pages d’un document intitulé Un plan canadien. Une classe moyenne forte, une économie abordable, un avenir prospère.
La vice-première ministre n’avait pas beaucoup de marge de manoeuvre. D’un côté, trop de dépenses aggraveraient l’inflation. De l’autre, les experts s’attendent à un ralentissement économique dès la fin de l’année en cours. Un haut responsable gouvernemental s’est même avancé à prédire une « récession douce », qui ferait monter le taux de chômage à 6,3 % d’ici à la fin de l’année. Le taux est actuellement tout près de son minimum historique, soit 5 %.
À lire aussi
Face à ces deux tendances contradictoires, le gouvernement a coupé la poire en deux. Il vante une approche « responsable » censée éviter de « jeter de l’huile sur le feu de l’inflation », mais repousse l’atteinte de l’équilibre budgétaire hors de son horizon prévisible. L’automne passé, on croyait pourtant y arriver pour 2027.
Le budget annonce un déficit de 43 milliards de dollars pour l’année en cours (2022-2023), soit 13 milliards de plus qu’anticipé en novembre. L’une des causes de cette hausse du déficit est un retour du doublement du remboursement de la TPS pour une seconde fois, mais cette année présentée comme une mesure « pour l’épicerie ». Près du tiers des Canadiens les moins fortunés, soit environ 11 millions de personnes, recevront un chèque.
Le déficit devrait être comparable pour 2023-2024 (40,1 milliards de dollars), puis diminuer progressivement jusqu’à n’atteindre qu’une infime fraction du produit intérieur brut du pays. Les nouvelles mesures au budget de 2023 ajoutent au total plus de 43 milliards en déficit, sur six ans.
Le paquet pour l’industrie verte
Malgré la grisaille économique à court terme, le fédéral se lance dans son marathon pour réorienter les industries vers des secteurs moins émetteurs de gaz à effet de serre.
L’expérience « transformatrice » de l’économie engrangerait environ 80 milliards de dollars au cours des douze prochaines années. Elle doit aider des secteurs comme celui de l’hydrogène vert, ou la production d’énergie propre. Hydro-Québec pourrait être admissible à une partie de cette somme pour ses investissements futurs.
Ottawa réagit ainsi à l’Inflation Reduction Act américain, une loi du gouvernement de Joe Biden visant entre autres à mousser la production de voitures électriques à coups de centaines de milliards. Le Canada emprunte toutefois une approche un peu différente, basée sur des subventions à l’investissement. Le gouvernement fourni aussi les détails du Fonds de croissance du Canada, doté de 15 milliards de dollars dès cette année, et géré par le fonds de pension des employés fédéraux Investissements PSP.
Des soins dentaires, par phase
Parmi les autres dépenses qualifiées d’« essentielles pour l’avenir du pays » par le gouvernement Trudeau, on trouve les deniers publics dévolus aux hôpitaux et aux cliniques dentaires. Le budget 2023 consigne les nouveaux milliards destinés aux provinces pour la santé ainsi qu’un programme complet de soins dentaires pour les plus pauvres, comme promis au Nouveau Parti démocratique (NPD).
Le gouvernement Trudeau réalise ainsi cette partie de l’entente conclue en 2022 avec le NPD, en échange du soutien de ce parti lors de tous les votes importants aux Communes. La ministre des Finances a évoqué des « phases » de mise en oeuvre de ce nouveau programme qui seraient annoncées plus tard.
L’entente spécifie que les jeunes, les personnes âgées et handicapées à faibles revenus seraient les premiers bénéficiaires. Le nouveau régime va coûter 13,3 milliards sur les cinq prochaines années.
Limiter les dépenses
Pour équilibrer les choses, le fédéral prévoit réduire les dépenses de ses opérations de plus de 12,7 milliards de dollars, sans réduire les services ou mettre à pied des fonctionnaires. Le gouvernement prévoit réduire les dépenses en consultation et en déplacements, ainsi que baisser de 3 % le budget des ministères sur quatre ans.
La ministre Freeland n’a donné aucune précision sur la manière dont elle compte réaliser ces économies. Elle a aussi l’intention d’aller chercher 11,5 milliards en nouveaux revenus auprès des riches Canadiens, en taxant le rachat d’actions et en instaurant un « impôt minimal de remplacement ».
« Ce n’est pas a priori inintéressant, cela dit je pense que, comme plusieurs mesures des libéraux, ça ne porte pas sur une très grande quantité de monde et ça n’aura pas d’impact majeur sur les revenus », estime Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, qui aurait préféré la pleine imposition des gains en capitaux.
Le budget est qualifié de « prudent » par Kevin Page, ex-directeur parlementaire du budget, aujourd’hui professeur à l’Université d’Ottawa. Selon lui, « c’est une bonne chose ».
Ottawa aurait toutefois dû prévoir un coussin plus important au cas où l’économie se dégraderait plus que prévu, selon l’économiste principal au Mouvement Desjardins Jimmy Jean. « On touche du bois pour que la situation ne soit pas pire que ce qui est anticipé », a-t-il indiqué au Devoir.
Malgré une crise du logement de plus en plus marquée au pays ainsi qu’une volonté de rapprochement avec les peuples autochtones, le budget fédéral ne prévoit pas grand-chose de plus, ni pour l’habitation ni pour la réconciliation. Le document n’annonce pas de grands investissements militaires.
« [Pour] le logement, ce n’est pas une question de manque d’argent fédéral », s’est justifiée la ministre Freeland, selon qui le précédent budget avait déjà déployé des efforts en 2022 pour aider la construction et l’acquisition de propriétés.
Des milliards pour l’industrie verte
Le gouvernement met les bouchées doubles pour une économie propre. Il consacre une enveloppe d’environ 80 milliards pour différents crédits d’impôt à l’investissement remboursables, jusqu’en 2034 :
- 25,7 milliards pour un crédit d’impôt de 15 % pour favoriser les investissements dans la production d’électricité propre. Ce crédit s’adresse aux producteurs d’électricité publics, privés ou autochtones, incluant Hydro-Québec.
- 15,8 milliards pour un crédit d’impôt de 30 % pour aider les entreprises à adopter des technologies propres, dont la majorité des fonds ont déjà été annoncés l’automne dernier.
- 11,1 milliards pour un crédit d’impôt de 30 % pour encourager les entreprises à fabriquer des technologies propres.
- 17,7 milliards pour un crédit d’impôt de 15 % à 40 % pour inciter les entreprises canadiennes à investir en vue de produire de l’hydrogène propre.
- 12,4 milliards pour des crédits d’impôt en lien avec le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, déjà annoncés l’automne dernier.
Par ailleurs, le fédéral annonce que la Banque de l’infrastructure du Canada investira au moins 20 milliards de dollars pour appuyer la construction d’importants projets d’infrastructure d’électricité propre et de croissance propre.
Ottawa donne également des détails concernant le Fonds de croissance de 15 milliards de dollars, dévoilé dans le dernier énoncé économique. Les actifs de ce fonds seront gérés par Investissements PSP, et les premiers investissements devraient commencer avant le début de l’été.