Joe Biden est arrivé à Ottawa pour une visite éclair

Le président américain, Joe Biden, est arrivé à Ottawa jeudi soir pour une visite éclair de 27 heures qui doit porter tant sur les aspects de bonne entente que les enjeux plus controversés des relations canado-américaines, dont le protectionnisme et l’immigration irrégulière des deux côtés de la frontière.
Le contingent d’accueil du président et de la première dame, Jill Biden, comprenait la ministre des Finances, Chrystia Freeland, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, l’ambassadeur américain au Canada, David Cohen, et l’ambassadrice du Canada aux États-Unis, Kirsten Hillman.
Joe Biden a d’abord rencontré la gouverneure générale Mary Simon, et devait, avec la première dame, rendre visite au premier ministre Justin Trudeau et à son épouse, Sophie Grégoire Trudeau, à leur domicile de Rideau Cottage plus tard jeudi soir.
« Ce sera la première véritable rencontre bilatérale en personne entre les deux dirigeants au Canada depuis 2009 », a souligné le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche, John Kirby.
Industrie manufacturière et libre-échange
Joe Biden est déterminé à redonner à l’industrie manufacturière américaine sa gloire d’antan. Il considère le libre-échange comme un vilain mot et il veut que le Canada intervienne volontairement dans un État en déroute, ravagé par les gangs, soit Haïti.
Bien sûr, le président Joe Biden n’est pas Donald Trump, mais la relation présente tout de même ses défis.
Le président est arrivé à Ottawa avec un itinéraire moins chargé que celui qu’avait envisagé le cabinet du premier ministre Justin Trudeau.
Deux années complètes se sont écoulées depuis que Joe Biden a pris les commandes à Washington.
La première année de son mandat a été consacrée à la reconstruction des relations canado-américaines, après le mandat controversé de son prédécesseur Donald Trump. La deuxième était axée sur le respect des obligations, « y compris la priorité à une migration ordonnée et sûre par des voies régulières », a affirmé M. Kirby.
« Maintenant, à l’approche de la troisième, cette visite consiste à faire le point sur ce que nous avons fait, où nous en sommes et ce que nous devons prioriser pour l’avenir », a-t-il souligné.
Bien que Joe Biden soit moins indiscipliné et publiquement combatif que son prédécesseur, ses deux premières années de mandat au Bureau ovale ont causé bien des maux de tête au premier ministre Justin Trudeau.
Les réunions de vendredi n’offriront peut-être pas beaucoup de répit.
Un ordre du jour chargé vendredi
Le premier ministre Justin Trudeau doit accueillir M. Biden vendredi avant-midi à l’édifice de l’Ouest. Des dignitaires de la Chambre des communes et du Sénat, y compris les présidents de chaque chambre et les chefs de chaque parti élu et de la plupart des groupes du Sénat, devraient se joindre à eux.
MM. Biden et Trudeau prévoient d’avoir ensuite une réunion bilatérale au bureau du premier ministre. Cela doit être suivi d’une longue conversation entre M. Biden et les principaux ministres du cabinet Trudeau dans la salle où ils discutent généralement de décisions politiques majeures. Il est possible que certains secrétaires du Cabinet de M. Biden se joignent à la discussion.
Peu avant 14 h, M. Biden doit s’adresser à la Chambre des communes, en présence de nombreuses personnalités canadiennes. MM. Biden et Trudeau doivent ensuite traverser la rue devant la colline du Parlement et tenir une conférence de presse à l’édifice Sir John A. Macdonald.
De hauts responsables de l’administration américaine ont également déclaré que M. Biden prévoyait d’avoir ce que l’on appelle une conversation « à l’écart » avec le chef conservateur Pierre Poilievre et d’échanger quelques mots avec d’autres chefs de parti. On ne sait pas quand cela pourrait se produire.
Dans la soirée, les Biden devraient rejoindre les Trudeau et d’autres invités de marque pour un repas au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada.
La brève visite entraîne une sécurité à plusieurs niveaux dans toute la capitale, avec la GRC, les services secrets américains et la police provinciale installés dans l’enceinte parlementaire et autour des deux aéroports les plus proches de la ville. Les routes sont fermées et des avions officiels ont survolé la ville en vue d’une visite éclair de 27 heures avec de nombreux programmes bilatéraux.
Une des grandes priorités des discussions pour le Canada sera le « Buy American », la doctrine protectionniste qui a été utilisée par tous les présidents du XXIe siècle, à l’exception de George W. Bush. Il s’agit de l’un des messages politiques nationaux préférés de M. Biden.
« Le président est très attaché aux politiques qui créent des emplois aux États-Unis, et nous ne contestons pas cette politique », a déclaré Kirsten Hillman, ambassadrice du Canada aux États-Unis.
Au moins 60 % des biens matériels que le Canada exporte aux États-Unis « entrent dans la fabrication d’autres produits », et il en va de même pour ce que le Canada importe des États-Unis, a souligné Mme Hillman.
« Donc, si nous commençons à nous exclure de nos chaînes d’approvisionnement, l’impact économique sur les emplois dans notre propre pays sera énorme. Nous nous tirons dans le pied, essentiellement — les deux pays », a-t-elle reconnu.
Il devrait aussi être question du rôle du Canada dans la défense d’Haïti, cette nation des Caraïbes appauvrie et ravagée par un tremblement de terre qui est devenue un État en déroute lors de l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021.
Des bandes criminelles contrôlent maintenant plus de la moitié de Port-au-Prince, la capitale d’un pays aux prises avec une épidémie de choléra ainsi qu’avec un maigre accès à de l’aide médicale, un manque presque total de sécurité publique et un gouvernement intérimaire impuissant.
Le gouvernement Biden, qui a déjà les mains pleines avec la guerre de la Russie en Ukraine, la montée de la Chine et d’autres préoccupations de grandes puissances, veut que le Canada — qui abrite une grande diaspora d’Haïtiens francophones, principalement au Québec — joue un rôle de premier plan.
« Il y a beaucoup de pression, a déclaré le professeur de l’Université Carleton Stephen Saideman. La réalité est que Trudeau ne veut pas faire cela, et il présente donc tous les arguments possibles pour détourner l’attention. »
« J’ai bon espoir […] que le Canada sera en mesure d’intervenir et de faire preuve de leadership en Haïti, parce que cela aura de l’importance à Washington », a pour sa part déclaré Gordon Giffin, qui a été l’envoyé de Bill Clinton à Ottawa de 1997 à 2001.
« Retirer celui-ci de notre menu serait une grande aide pour l’administration américaine », a-t-il indiqué.
Bien que cela puisse sembler simpliste aux plus hauts niveaux des relations intergouvernementales, l’approche de contrepartie est fondamentale à la façon dont les pays s’entendent et gèrent divers irritants dans la relation, a-t-il soutenu.
« Je pense que c’est un exemple typique des États-Unis qui disent “Nous avons besoin de vous pour nous aider sur ceci” », a déclaré M. Giffin à un panel organisé par le Conseil des Amériques.
Il se souvient des interactions fréquentes entre son ancien patron et Jean Chrétien, qui était premier ministre pendant que Bill Clinton était à la Maison-Blanche.
M. Chrétien « a cherché des endroits où Bill Clinton avait besoin d’un peu d’aide », a indiqué M. Giffin.
« J’entendais très rapidement : “OK, nous allons faire ceci, Gordon, mais pour cela, j’ai besoin de ceci” », dit-il dans sa meilleure imitation de Jean Chrétien.
John Kirby n’a pas précisé mercredi si M. Biden a l’intention de faire une demande directe au premier ministre Justin Trudeau sur Haïti.
« Pour ce qui est d’une force multinationale ou de quelque chose du genre, je ne veux pas devancer la conversation. Comme nous l’avons déjà dit, si c’est nécessaire, s’il y a une place pour cela, tout cela devra être réglé directement avec le gouvernement haïtien et avec l’ONU. »
Chemin Roxham
M. Kirby a également limité les attentes à l’égard d’une autre grande demande canadienne, soit la renégociation de l’Entente sur les tiers pays sûrs, un traité conclu en 2004 entre les deux pays, que beaucoup associent à un récent pic de migration irrégulière.
« Nous sommes bien conscients des préoccupations des Canadiens. Nous avons nos propres préoccupations, a affirmé M. Kirby. C’est un défi partagé. Je ne doute donc pas qu’ils en discuteront. »
Des informations ayant circulé jeudi laissent croire cependant que les deux parties pourraient être proches d’un accord sur ce point — accord qui aiderait M. Trudeau à résoudre un problème politique, compte tenu de l’augmentation spectaculaire du nombre de migrants venant des États-Unis au Canada dans les dernières années.
L’attachée de presse de la Maison-Blanche, Karine Jean-Pierre, qui a informé les journalistes à bord d’Air Force 1, n’a pas confirmé qu’un accord avait déjà été conclu, mais a déclaré que les États-Unis étaient « déterminés » à remédier à la situation.
Haïti
De hauts fonctionnaires du gouvernement à Ottawa croient que la discussion sur Haïti impliquera les deux dirigeants, mais pas les Haïtiens eux-mêmes. Jusqu’à présent, Justin Trudeau a mis l’accent sur les sanctions, en aidant les autorités haïtiennes à surveiller les activités des gangs et en établissant un consensus politique sur la meilleure façon dont l’Occident peut aider.
S’adressant aux journalistes jeudi, Mme Jean-Pierre a déclaré que les États-Unis estimaient que la situation ne s’améliorerait pas « sans l’aide de sécurité armée de partenaires internationaux », et qu’ils se coordonneraient avec des partenaires, dont le Canada, sur « les prochaines étapes de la force [d’intervention] et d’autres actions ».
Stephen Saideman, qui a déjà travaillé avec le département de la Défense des États-Unis, a dit qu’Ottawa essayait d’éviter cela à tout prix. « Notre gouvernement ne veut pas subir des coûts énormes ou courir des risques énormes. »
Il a souligné que le plus important déploiement du Canada était actuellement en Lettonie et qu’Ottawa avait accepté d’accroître sa présence pour renforcer la frontière de ce pays avec la Russie.
Selon M. Saideman, il serait impossible d’élargir cette force tout en dirigeant une intervention en Haïti, en particulier parce que chaque unité déployée nécessite généralement une deuxième unité en formation et une troisième en rétablissement de la rotation précédente.
En outre, la violence des gangs serait beaucoup plus risquée que les missions antérieures visant à prévenir les affrontements entre armées en guerre, comme en Bosnie ou à Chypre.
« Je ne dis pas que nous ne devrions pas le faire, mais je comprends pourquoi le gouvernement est prudent à ce sujet », a déclaré M. Saideman, qui est directeur du Réseau canadien pour la défense et la sécurité.
« En Haïti, ce n’est pas le premier rodéo, a-t-il souligné. Les missions précédentes n’ont pas arrangé les choses et n’ont pas conduit à une solution durable. »
Avec James McCarten, à Washington, et Dylan Robertson et Nojoud Al Mallees, à Ottawa