Les demandes de Biden et Trudeau qui resteront insatisfaites

Justin Trudeau et Joe Biden répètent à chaque occasion qu’ils n’ont pas de plus proche allié que leur voisin. Mais tout indique que malgré les liens étroits qui les unissent depuis 2015, lorsque le président était alors vice-président sous Barack Obama, tous deux repartiront de leur rencontre cette semaine avec d’importantes demandes que leur vis-à-vis n’aura su combler.
Le président Joe Biden aura mis trois ans avant d’effectuer sa première visite officielle à Ottawa. La COVID-19 est venue ébranler cette tradition qu’ont les présidents américains d’effectuer leur premier voyage à l’étranger au Canada. Justin Trudeau avait donc dû se contenter d’un « sommet virtuel » en février 2021.
La pandémie maintenant calmée, Joe Biden peut renouer avec la coutume. Il séjournera même un peu plus de 24 heures à Ottawa.
Seuls Lyndon B. Johnson, George H. W. Bush et Donald Trump ont boudé une visite officielle au Canada depuis le siècle dernier. Donald Trump s’était seulement déplacé à La Malbaie pour le sommet du G7 en 2018, d’où il était reparti avant la fin des discussions, en gazouillant une série d’insultes à l’endroit de son hôte.
Justin Trudeau peut s’attendre cette fois-ci à une visite beaucoup plus cordiale d’un président bien moins outrancier et logeant davantage à la même enseigne idéologique.
Mais si progressiste soit-il, Joe Biden demeure président des États-Unis — à un an d’une élection présidentielle, de surcroît — et donc protectionniste, de même qu’un peu militariste.
Des demandes irrecevables
Au menu des discussions figure ainsi la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Le gouvernement canadien annonçait l’an dernier 4,9 milliards de dollars d’investissements sur six ans pour moderniser les systèmes de défense du nord du continent. L’ambassadeur américain à Ottawa, David Cohen, confiait néanmoins à CTV que ces sommes « ne signifient pas que le sujet ne sera pas, et ne devrait pas, faire partie de la conversation ». Laissant présager que les Américains inviteront une fois de plus le Canada à dépenser davantage en matière de défense.
Lors de sa propre visite officielle en 2016, Barack Obama avait justement appelé le Canada à en faire plus au sein de l’OTAN. Joe Biden risque cette fois-ci de revenir à la charge quant au souhait des Américains de voir le Canada mener une opération militaire à Haïti, afin de stabiliser le pays en profonde crise politique et sécuritaire. Justin Trudeau répète toutefois depuis des mois qu’une telle mission n’est pas la solution, laquelle devra être mise sur pied avec l’apport et l’accord des Haïtiens. Le Canada pourrait cependant annoncer l’envoi d’équipements militaires supplémentaires.
Justin Trudeau, pour sa part, voudrait bien convaincre l’administration Biden d’inclure le Canada et sa réserve de minéraux critiques aux incitatifs prévus à son Inflation Reduction Act (IRA). Mais Ottawa semble déjà résigné à buter contre le refus de son interlocuteur. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, annonçait lundi que son budget fédéral prévoirait d’importants investissements pour contrer lui-même l’IRA.
Autre et ultime sujet de pourparlers : le chemin Roxham et l’Entente sur les tiers pays sûrs, sujet qui risque là encore de ne pas se régler vendredi. Ottawa assure que les discussions progressent. Les pressions d’élus républicains, qui font du millage politique en dénonçant l’augmentation d’entrées irrégulières depuis le Canada (109 500 entrées en 2022), ont probablement fait bouger le dossier. Mais la solution est, ici aussi, complexe dans un dossier aussi « politiquement chargé », insiste en entrevue l’ancien ambassadeur des États-Unis au Canada Bruce Heyman.
« Le choix des mots est important », note-t-il. Pas si simple, donc, de ne plus considérer les États-Unis comme un « pays sûr ». Et la politique frontalière américaine en reste une « d’une seule et même frontière » entre le Sud et le Nord.
Gros dossiers, petites avancées
Cette complexité se répercute sur toute la relation, fait valoir l’ambassadeur Heyman. Au-delà des grandes ententes, il faut donc aussi avoir une « vue d’ensemble ». « Ces petites avancées sont au coeur du fonctionnement de nos deux pays », insiste-t-il depuis Chicago. « Tous ces petits pas visent à avancer dans la bonne direction, vers un chemin de compromis et de solutions. »
Le message est le même au sein du gouvernement canadien, où l’on souligne que les dossiers progressent en filigrane même s’ils ne seront pas tous réglés au terme d’une rencontre de deux jours. Une lecture partagée par Charles-Philippe David, président de l’Observatoire sur les États-Unis de l’UQAM, qui rappelle que les hauts fonctionnaires poursuivent leur travail une fois que les caméras ne sont plus braquées sur leurs dirigeants.
M. David observe cependant que le menu des pourparlers de cette semaine est particulièrement copieux, ce qui risque de diluer le temps qui y sera consacré ou la qualité des décisions. « Plus il y a de sujets, moins les avancées sont notables », craint-il.
Et pour cause, la liste est longue, vu le contexte mondial : guerre en Ukraine, visées expansionnistes de la Russie et de la Chine, commerce international, changements climatiques, et peut-être même ingérence étrangère.
Cette visite de Joe Biden se voudra en outre symbolique. Bruce Heyman prédit que le président et le premier ministre souligneront à grands traits l’amitié qui unit leurs deux pays et leurs deux démocraties, tel un gage de stabilité dans un contexte d’instabilité géopolitique. « À l’étranger de même qu’au sein même des États-Unis, avec l’ancien président », note M. Heyman au sujet de Donald Trump.
Une prophétie partagée par M. David, qui croit que Joe Biden profitera de son discours au Parlement pour tenter de « river le clou dans le tombeau des autocraties ».
Justin Trudeau sera sûrement content de prendre la pose aux côtés de son homologue pendant deux jours et profiter ainsi d’une relative éclipse médiatique — espère-t-il — sur le dossier des tentatives d’ingérence étrangère aux élections canadiennes. Mais même si les deux hommes sont tout sourire, ce répit et leurs discussions ne seront pas nécessairement entièrement plus agréables pour le premier ministre que les débats des dernières semaines au pays.