Noces de coton du NPD et des libéraux: c’est toujours la lune de miel

Le sort du gouvernement minoritaire de Justin Trudeau est, depuis un an, entre les mains d’un petit comité constitué de six élus triés sur le volet, trois libéraux et trois néodémocrates. À la veille d’un second budget depuis l’inhabituelle alliance entre deux partis fédéraux, c’est toujours la lune de miel dans les coulisses.
Le pire faux pas est survenu en novembre dernier. Le Nouveau Parti démocratique (NPD) a été pris par surprise quand les libéraux ont décidé d’inclure à la dernière minute une liste d’armes interdites à son projet de loi C-21, d’abord conçu pour geler le nombre d’armes de poing au pays.
On avait pourtant promis une chose au quatrième parti d’opposition aux Communes, en échange de son soutien au gouvernement Trudeau jusqu’en 2025 : « pas de surprise ». C’est même écrit noir sur blanc dans le texte conjoint de l’entente.
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Ce texte est publié via notre section Perspectives.
« Notre plus grosse dispute jusqu’à maintenant a été au sujet de C-21, sur les armes. On ne les a pas correctement prévenus », admet un responsable libéral que Le Devoir a accepté de ne pas nommer pour lui permettre de s’exprimer librement.
L’annonce a pris à rebrousse-poil des élus du NPD de régions rurales, qui se sont portés à la défense des chasseurs inquiets. Face aux critiques, le gouvernement s’est finalement résolu à retourner à sa planche à dessin.
Or, l’imbroglio n’a pas été assez important pour mettre en péril l’entente « de soutien et de confiance » de trois ans conclue en mars 2022 entre le NPD et le Parti libéral du Canada (PLC), ni aucun autre couac survenu en cours de route. Si les deux chefs de parti n’ont jamais été appelés en urgence pour sauver leur partenariat hors du commun, c’est grâce au travail de l’ombre d’un « comité de surveillance ».
Communication de couple
« C’est le comité où les choses se disent », explique le ministre québécois Pablo Rodriguez, l’un des six élus responsables de gérer la bonne entente entre le PLC et le NPD.
L’ex-leader du gouvernement a été choisi pour son expérience en négociations avec les autres partis. Avec ses collègues libéraux Dominic LeBlanc et Ruby Sahota, il a participé à une dizaine de rencontres depuis un an avec les néodémocrates Daniel Blaikie, Laurel Collins et Blake Desjarlais. Des employés proches des chefs Justin Trudeau et Jagmeet Singh encadrent les réunions.
« On se dit tout. Il n’y a pas de filtre, on n’est pas là pour essayer de ménager les sensibilités. S’il y a quelque chose à dire, on se le dit. Ça permet, justement, de régler les problèmes. Et les problèmes, en cours de route, il y en a », précise le ministre du Patrimoine et député d’Honoré-Mercier.
Au cours de la dernière année, ce comité a dû rappeler à des ministres du gouvernement qu’il était de leur responsabilité de tenir au courant leurs homologues au NPD de leurs activités. Un employé politique libéral a décrit cette tâche comme le développement d’une « mémoire musculaire », afin d’éviter de brusquer le partenaire de l’opposition. Un autre précise que les élus du NPD doivent être avertis lorsque le gouvernement annonce une bonne nouvelle dans leur circonscription.
Certains ministres doivent travailler plus souvent en tandem, comme celui de la Santé, Jean-Yves Duclos, avec le porte-parole néodémocrate en santé, Don Davies. Leur collaboration a donné naissance à une prestation pour les soins dentaires pour enfants en septembre dernier. L’entente prévoit que le fédéral paiera aussi les notes de dentiste pour les adolescents et les personnes âgées ou handicapées à faibles revenus à partir de cette année.
Cet élément fait partie des 27 politiques promises par l’entente annoncée le 22 mars 2022, dont une majorité sont au moins partiellement déjà réalisées après un an, montre une compilation du Devoir.
La confiance est la clé du fonctionnement de cette alliance entre les deux partis, sans précédent en politique fédérale. La voie avait toutefois été ouverte par un accord semblable au sein du Parlement de la Colombie-Britannique, en 2017, cette fois entre le NPD et le Parti vert de la province.
C’est justement une surprise qui a fait dérailler l’entente, un an avant sa date d’expiration. Un amendement vert à un projet de loi sur le budget n’a pas été digéré par les néodémocrates. Le premier ministre a préféré mettre fin à l’entente, se débarrasser de son partenaire et plonger sa province dans une campagne électorale en pleine pandémie, en 2020. Contrairement à l’arrangement fédéral, la gestion de la relation entre partis avait été confiée à un « secrétariat » composé d’employés politiques, et non directement à des élus.
L’art de critiquer son partenaire
Le gouvernement libéral apprécie la stabilité du Parlement que lui confère l’accord. Cela le libère de l’angoisse que connaissent les gouvernements minoritaires, qui doivent en temps normal s’assurer en permanence de la confiance de la Chambre, sans quoi de nouvelles élections sont déclenchées.
D’ici à ce que les Canadiens retournent aux urnes, toutefois, le Nouveau Parti démocratique a pour stratégie de faire valoir sa paternité dans les politiques publiques réalisées grâce à l’entente, expliquait au Devoir le nouveau directeur national des communications du parti, Éric Demers.
En vertu de l’entente de 2022, le parti à gauche de l’échiquier politique fédéral demeure dans l’opposition et peut continuer de critiquer le gouvernement Trudeau. Il ne s’agit donc pas d’une coalition, et aucun néodémocrate n’a obtenu de fonctions ministérielles, par exemple.
Le chef, Jagmeet Singh, revendique les bons coups du gouvernement, tout en le critiquant sur une base régulière. Il a d’ailleurs menacé de déchirer l’accord en décembre si le fédéral ne réglait pas le dossier des transferts en santé. Jeudi, il a réitéré sa demande d’une enquête publique sur l’ingérence étrangère.
Député du NPD et membre du comité de surveillance, Daniel Blaikie illustre ce double rôle, parfois contradictoire, que doit jouer son parti au moment où le gouvernement doit déposer le 28 mars son second budget depuis l’accord passé. Il ne restera alors que deux autres budgets théoriquement couverts par cette entente.
« Je n’attends pas de surprises décevantes dans le budget. Par rapport à ce qui est dans l’entente, bien sûr, puisque ça se peut que le budget soit décevant sur d’autres aspects », dit-il en français depuis sa circonscription au Manitoba.
Il y a un risque bien réel que le NPD paie un prix politique pour son association avec les libéraux, affirme Karl Bélanger, ex-conseiller des chefs néodémocrates Jack Layton et Thomas Mulcair, maintenant consultant à Traxxion Stratégies. « Mais malgré les pertes d’appui au Parti libéral, le NPD se maintient dans les sondages. Le NPD ne souffre peut-être pas des scandales d’ingérence qui touchent le gouvernement Trudeau, mais il n’en bénéficie pas non plus. »
Daniel Blaikie a déjà réfléchi au moment où il se retrouvera devant les électeurs. « Mon travail lors de la prochaine élection sera de dire : voici toutes les choses qu’on a réussi à obtenir malgré nos 25 sièges. Et on a travaillé très fort avec les autres partis d’opposition pour tenir le gouvernement responsable. Au bout du compte, ce sera aux Canadiens de décider s’ils veulent nous récompenser pour ça », dit-il.
Parmi les élus et la demi-douzaine d’employés politiques sondés, tant du côté libéral que du côté néodémocrate, personne ne prévoit la fin de cette entente à court terme. Du moins, pas dans les douze prochains mois. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a refusé jeudi d’estimer les chances que son entente avec les libéraux se poursuive vraiment jusqu’en 2025.