Ingérence chinoise: difficile d’expulser des diplomates, affirme Mélanie Joly

Le Canada n’a peut-être pas expulsé de diplomates chinois en lien avec les tentatives de Pékin de s’immiscer dans les élections fédérales, mais il prend d’autres mesures pour faire connaître son mécontentement, assure Mélanie Joly. Son ministère des Affaires étrangères a notamment refusé une demande de visa diplomatique à la Chine l’automne dernier. Un geste plus facile à poser que le renvoi de diplomates se trouvant déjà en sol canadien, a expliqué la ministre en comité parlementaire jeudi.
« On peut prévenir plutôt que guérir », a fait valoir Mélanie Joly, en reconnaissant les limites des représailles diplomatiques contre les représentants du régime chinois au Canada.
Interrogée à plusieurs reprises par les députés conservateurs, qui lui demandaient pourquoi aucun diplomate chinois ne s’était encore fait retirer ses lettres de créance, Mme Joly a laissé entendreque c’était par manque de preuves concrètes. « Si nous avons toute forme de preuve tangible de méfaits, nous allons renvoyer des diplomates chez eux très, très, très rapidement », a-t-elle souligné.
Les experts en matière de sécurité nationale ont maintes fois souligné que le renseignement secret pouvait très rarement être converti en preuve.
Le ministère des Affaires étrangères a cependant refusé une demande de visa diplomatique à la Chine, a confirmé la ministre Joly. La nouvelle avait été rapportée par le Globe and Mail, qui parlait d’un poste jugé par Ottawa comme n’étant pas diplomatique, mais plutôt « vraisemblablement destiné à la gestion d’activités politiques et d’ingérence secrètes ».
Un seul visa aurait été refusé à ce jour. Il y a depuis quelques mois un « degré de sensibilisation » plus élevé au ministère, qui fait que ces demandes sont étudiées plus minutieusement, a expliqué la ministre.
Semonces et moqueries
Mélanie Joly a par ailleurs souligné que ses hauts fonctionnaires et elle avaient maintes fois fait valoir leur mécontentement aux autorités chinoises. L’ambassadeur de Chine au Canada, Cong Peiwu, a été convoqué à plus d’une reprise par les Affaires étrangères. Notamment le 24 février dernier, afin de discuter précisément d’ingérence étrangère dans les élections de 2019 et de 2021 à la suite des révélations du Globe and Mail en ce sens, a rapporté une haute fonctionnaire du ministère canadien.
Des représentations auprès du régime chinois ont en outre été faites par l’ambassadrice du Canada à Pékin, et la ministre Joly a interpellé son homologue Qin Gang au G20 la semaine dernière.
Le député conservateur Michael Cooper a semblé se moquer de la ministre à ce sujet. « Vous avez parlé avec fermeté avec votre homologue, selon ce que vous dites. Vous l’avez même regardé dans les yeux. Je suis sûr qu’il a dû être très intimidé », a-t-il lancé, au fil d’une rencontre de comité tendue et cacophonique. Un commentaire qui a aussitôt été dénoncé par la ministre elle-même, ses collègues députées libérales au comité, ainsi que la néodémocrate Rachel Blaney, qui l’a qualifié de « honteux ».
Mme Joly a affirmé ne pas avoir été mise au fait dès le départ des inquiétudes d’ingérence étrangère par les services de renseignement canadiens. Elle leur a depuis demandé d’en être tenue informée afin de « mener les relations diplomatiques correctement ».
Des postes de police chinois
En matinée, le premier ministre Justin Trudeau avait indiqué que la présence de postes de police chinois en sol canadien — notamment dans la métropole québécoise, révélait Le Journal de Montréal jeudi — le « préoccupe énormément ».
« On est en train de s’assurer que la [Gendarmerie royale du Canada] est en train de faire des suivis là-dessus et que nos systèmes de renseignement prennent cela au sérieux », a-t-il ajouté.
La GRC a confirmé jeudi que l’Équipe intégrée de la sécurité nationale du Québec avait ouvert des enquêtes sur deux présumés postes de police chinois à Montréal et Brossard. La police fédérale a également fait enquête sur trois autres centres du genre à Toronto, ainsi qu’un autre à Vancouver. Ceux-ci ont été fermés depuis, avait indiqué la semaine dernière en comité parlementaire son commissaire adjoint, Michael Duheme.
Ces « postes de police » sont soupçonnés de mener, sous le couvert de services d’aide aux ressortissants chinois, des activités visant à les intimider et à les persuader de rentrer en Chine pour faire face à des procédures pénales.
Jeudi, Justin Trudeau a une fois de plus été sommé par les partis d’opposition aux Communes d’ordonner une enquête publique sur l’ingérence chinoise au Canada. « Qui va se lever dans ce gouvernement pour parler au premier ministre, lui faire entendre raison et lui dire que cela prend la nomination d’un commissaire pour une enquête publique indépendante et […] immédiate ? Qui va oser se lever pour lui parler ? » a fini par lancer le chef bloquiste, Yves-François Blanchet.