Justin Trudeau ignore la demande d’enquête publique de l’opposition

Justin Trudeau n’a pas l’intention de répondre favorablement, pour l’instant, à la demande d’enquête publique sur l’ingérence étrangère que lui ont présentée, à l’unanimité, les députés de l’opposition d’un comité parlementaire. Le premier ministre s’en est plutôt tenu vendredi à répéter une fois de plus que d’autres forums étudient déjà la question.
La pression s’accentue depuis deux semaines sur le gouvernement de Justin Trudeau. Des révélations du quotidien The Globe and Mail et du réseau Global News ont dévoilé que le régime chinois aurait mené une vaste campagne pour favoriser l’élection d’un gouvernement libéral minoritaire en 2021 et tenté de favoriser l’élection de 11 candidats (des libéraux et des conservateurs) au scrutin de 2019. Des tentatives d’ingérence qui n’auraient pas été répétées sur la scène québécoise, selon les autorités sondées par Le Devoir.
À Ottawa, toutefois, les députés de l’opposition se sont ligués en comité parlementaire jeudi pour réclamer officiellement — quoique de façon non contraignante — la tenue d’une enquête publique.
Justin Trudeau a rétorqué vendredi qu’il comprenait bien que les Canadiens veulent être rassurés, se faire dire que les agences de renseignement surveillent suffisamment l’intégrité des institutions et de la démocratie. « Tous ces objectifs sont reliés à des processus en cours en ce moment même », a-t-il toutefois rétorqué en point de presse, de passage à Winnipeg.
Des limites à une enquête publique
M. Trudeau a répété une fois de plus que deux comités parlementaires — l’un d’eux composé de députés de tous les partis et d’une sénatrice, tous dotés d’une cote de sécurité classée très secrète qui leur permet de consulter des documents classifiés — étudiaient présentement les tentatives d’ingérence étrangère, plus précisément de la Chine.
Le premier ministre a néanmoins semblé laisser la porte quelque peu entrouverte pour la suite. « Évidemment, avec ces processus qui vont de l’avant, il va sûrement y avoir des enjeux qui vont être soulevés », a-t-il ajouté, en affirmant que son gouvernement pourrait alors décider d’en faire plus dans certains domaines.
« C’est exactement ce que l’on va regarder dans les semaines à venir pour s’assurer de deux choses : que le Canada continue de faire tout ce qui est nécessaire pour protéger l’intégrité de nos institutions et de notre démocratie ; et deuxièmement, pour s’assurer que les Canadiens sont rassurés que nos institutions et notre démocratie sont bien protégées et continuent de fonctionner avec intégrité », a-t-il insisté.
L’opposition voudrait voir une enquête publique dont le commissaire serait choisi à l’unanimité par les partis, qui aurait le pouvoir de convoquer des membres du gouvernement et des partis politiques, ainsi que d’obtenir tous les documents jugés pertinents — même ceux portant sur la sécurité nationale.
Plusieurs experts ont cependant souligné qu’une enquête publique ne permettrait pas nécessairement de lever davantage le voile sur les efforts d’ingérence étrangère au Canada. Parmi eux, la conseillère à la sécurité nationale du premier ministre, Jody Thomas, qui a noté cette semaine que les agences de renseignement et les hauts fonctionnaires ne pouvaient « pas parler, dans un forum public, des informations qui ont trait à la sécurité nationale ».
Pas d’ingérence au Québec
Ces tentatives d’ingérence chinoise dans les affaires fédérales, qu’ont confirmées Justin Trudeau et les agences de sécurité canadiennes, ne semblent en revanche pas avoir atteint le système électoral québécois. Ni Élections Québec ni la Sûreté du Québec n’ont relevé de preuve que des pays étrangers ont pu s’immiscer dans une quelconque campagne électorale générale passée.
Le directeur général des élections du Québec a indiqué que la portée de l’ingérence étrangère semblait s’arrêter aux frontières du fédéral. « Nous ne croyons pas qu’il y ait eu de campagne structurée de désinformation visant le processus électoral québécois et provenant de l’étranger lors des dernières élections provinciales. Nous ne croyons pas non plus qu’il y ait eu du financement politique illégal provenant de l’étranger », a indiqué la porte-parole d’Élections Québec Julie St-Arnaud Drolet.
L’organisme indépendant soutient par ailleurs n’avoir été la cible d’aucune intrusion informatique.
Des pays étrangers auraient-ils pu travailler à l’élection de certains gouvernements avant l’élection d’octobre 2022 ? « Non », s’est contentée de répondre la Sûreté du Québec dans un échange téléphonique avec Le Devoir.
« À la lumière des informations dont nous disposons à l’heure actuelle, nous ne croyons pas qu’il y ait eu de campagne structurée de désinformation […] provenant de l’étranger lors d’élections provinciales précédentes », a ajouté Élections Québec lorsque relancé à ce sujet.
Ces propos rejoignent ceux du premier ministre François Legault, qui avait affirmé jeudi dans une mêlée de presse ne pas avoir « d’indications selon lesquelles il y aurait eu de l’ingérence ».
Justin Trudeau maintient que les efforts d’ingérence chinoise n’ont pas eu d’effet sur l’issue des élections générales fédérales de 2019 ou de 2021. Le Parti conservateur estime cependant que quelques-uns de ses candidats auraient payé les frais de ces efforts du régime communiste et perdu leur scrutin local.
De passage en Inde pour une rencontre du G20, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a quant à elle rapporté avoir rappelé (lors d’une rencontre dont les médias n’ont pas été témoins) à son homologue chinois Qin Gang que « le Canada ne tolérera jamais une quelconque forme d’ingérence étrangère dans notre démocratie et nos affaires intérieures par la Chine ».
Voir ci-dessous une déclaration sur ma rencontre avec homologue chinois, le ministre Qin Gang. pic.twitter.com/Jzg4EkNnTC
— Mélanie Joly (@melaniejoly) March 3, 2023