Ottawa et Québec bannissent TikTok des téléphones de leurs fonctionnaires

Les gouvernements du Québec et du Canada interdiront dès le 28 février l’utilisation du réseau social TikTok sur les téléphones cellulaires qu’ils fournissent à leurs fonctionnaires. Une simple mesure de précaution, dit-on.
« Cette application présentait un niveau de risque inacceptable pour la vie privée et la sécurité », a expliqué lundi après-midi la présidente du Conseil du Trésor du Canada, Mona Fortier, dans un communiqué. Les fonctionnaires fédéraux utilisateurs de TikTok verront ainsi cette application supprimée de leur appareil mobile ; tout nouveau téléchargement deviendra aussi impossible.
En soirée, Québec a annoncé emboîter le pas à Ottawa : l’utilisation de l’application TikTok sur les appareils mobiles fournis par le gouvernement provincial sera également interdite.
« La sécurité de l’information et la protection des données détenues par les organismes de l’administration publique demeurent une priorité absolue pour le gouvernement du Québec, et c’est pourquoi nous adoptons cette mesure préventive », a indiqué par communiqué le ministre de la Cybersécurité et du Numérique, Éric Caire.
TikTok, dont la maison mère, ByteDance, est de propriété chinoise, fait régulièrement l’objet de soupçons de la part des agences de renseignement, qui craignent que l’application ne serve de logiciel espion pour Pékin. « Les méthodes de collecte de données de TikTok donnent un accès considérable au contenu du téléphone », soutient notamment la déclaration d’Ottawa.
Aux États-Unis, l’utilisation de TikTok est déjà interdite aux fonctionnaires, ainsi qu’à la Chambre des représentants et au Sénat. La Commission européenne a fait de même pour son personnel la semaine dernière.
Dès demain, le gouvernement du Québec émet des directives sur l’utilisation de TikTok au sein de l’administration publique afin de proscrire l’installation et l’utilisation de l’application Tik Tok sur les appareils mobiles.
— Éric Caire (@ericcaire) February 28, 2023
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« À titre préventif »
Cette interdiction constitue une décision prise « à titre préventif », selon le gouvernement canadien.« Rappelons qu’à ce jour, aucune preuve ne démontre qu’un pays étranger espionnerait les employés de l’État au moyen de cette application, ni même que des données privées ou gouvernementales auraient été subtilisées par des intérêts étrangers », note lui aussi le gouvernement du Québec.
De son côté, TikTok nie catégoriquement que le gouvernement chinois s’abreuve des données de ses utilisateurs. L’entreprise affirme aussi ne pas avoir été consultée en amont de la décision du fédéral. « Il est curieux que le gouvernement du Canada ait décidé de bloquer TikTok sur les appareils fournis par le gouvernement sans citer de problème de sécurité précis, sans nous contacter pour poser des questions », a réagi TikTok Canada par la voix de sa porte-parole Danielle Morgan. « […] Nous sommes toujours disponibles pour rencontrer nos représentants gouvernementaux afin de discuter de la manière dont nous protégeons la vie privée et la sécurité des Canadiens. Cependant, cibler TikTok de cette manière ne permet pas d’atteindre cet objectif, que nous partageons. Cette mesure ne fait qu’empêcher les fonctionnaires de rejoindre le public sur une plateforme appréciée par des millions de Canadiens. »
« En ce qui concerne le grand public », poursuit la ministre Fortier, la décision des individus d’utiliser ou non TikTok relève du « choix personnel ».
Plusieurs politiciens profitent d’une forte visibilité sur TikTok. Jagmeet Singh cumule environ 878 000 abonnés, Pierre Poilievre 236 000, tandis que François Legault est suivi par 111 000 personnes.
Influence de masse
TikTok était déjà dans le collimateur des autorités avant cette annonce. Une enquête conjointe fédérale-provinciale doit se pencher sur cette application qui touche chaque mois 8,8 millions de Canadiens, soit le quart des usagers d’Internet au pays. Environ 1,8 million de Québécois fréquentent TikTok mensuellement, selon les données de l’entreprise elle-même.
Le commissaire fédéral à la protection de la vie privée et ses homologues du Québec, de la Colombie-Britannique et de l’Alberta tenteront dans les prochains mois de déterminer « si TikTok a obtenu un consentement valable pour la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels ».
Le danger ne vient pas uniquement de la collecte de données de la part de TikTok, alerte l’expert en cybersécurité Steve Waterhouse. Cette application « pousse » certaines vidéos sous le regard des citoyens qui n’ont rien demandé et « influence les pensées », assure-t-il. « Certains ne verront jamais ça, pensent que j’exagère, mais non. Les pays communistes ont des stratégies 15-20 ans d’avance. Avec de petits gestes comme ça, ils mènent de gros changements dans les sociétés. […] En Chine, [TikTok] est très éducatif ; ici, c’est du niaisage, excusez-moi de dire ça comme ça. »
Cette mesure ne fait qu'empêcher les fonctionnaires de rejoindre le public sur une plateforme appréciée par des millions de Canadiens
Les collectes massives d’information sur les préférences des utilisateurs permettent tout de même à la Chine de « brosser un tableau d’une société et de ses régions ». Ce tri d’informations permet par la suite de cibler des sous-groupes vulnérables à la désinformation et d’« influencer des groupes de façon massive ». « C’est inquiétant, parce qu’ils ont l’avantage », estime le chargé de cours à l’Université de Sherbrooke.
La meilleure façon de continuer à naviguer sur TikTok de manière sécuritaire, selon lui, consiste à « garder un téléphone juste pour ça » afin de « minimiser l’interaction » avec l’application.
Devant ce risque sociétal, les États-Unis flirtent d’ailleurs depuis l’ère Trump avec l’idée d’un bannissement total de TikTok sur son territoire.
Le premier ministre Justin Trudeau, questionné sur un potentiel élargissement de cette interdiction, a répondu en reconnaissant prendre « très au sérieux la liberté d’expression, la liberté des Canadiens de s’engager comme ils veulent en ligne », sans fermer la porte à de nouvelles mesures contre TikTok. « Peut-être d’autres choix, d’autres annonces » seront faits en ce sens, a-t-il concédé.
Avec Zacharie Goudreault