Incertitudes sur la ligne de parti libérale relative à la réforme des langues officielles

Le gouvernement Trudeau jongle avec l’idée de forcer les élus libéraux à voter en faveur de l’adoption de sa réforme de la Loi sur les langues officielles. Le whip libéral, Steven MacKinnon, a indiqué mercredi que la décision n’avait pas encore été prise.
« Il n’y a aucune décision de prise, et le processus législatif suit son cours », a fait savoir le responsable de la discipline de son parti peu avant la réunion hebdomadaire du caucus.
Le député libéral montréalais Anthony Housefather a menacé mardi de s’opposer au projet de loi C-13, déposé par son propre gouvernement, mais ensuite modifié en comité parlementaire par les partis d’opposition.
Malgré les tentatives d’amendement de députés libéraux représentant des circonscriptions plus anglophones, des références à la Charte de la langue française se trouvent toujours dans le texte. Cette charte québécoise a été modifiée l’an dernier par le projet de loi 96, et M. Housefather y perçoit un recul des droits des anglophones.
Le Bloc québécois, le Parti conservateur du Canada et le Nouveau Parti démocratique ont déjà voté pour certains amendements demandés par Québec qui visent à élargir, dans la loi fédérale, la portée de la Charte de la langue française en territoire québécois. D’autres modifications importantes doivent encore être examinées en comité parlementaire, après quoi le projet de loi sera soumis au vote à la Chambre des communes en troisième lecture.
Discipline de parti
S’il n’arrive pas à purger le texte du projet de loi C-13 de ces différents ajouts faits par l’opposition, M. Housefather croit que son gouvernement le laissera alors voter au Parlement selon sa conscience. « Je ne crois pas que ce vote sera soumis à la ligne de parti. Je ne peux pas imaginer pourquoi ce le serait. […] Je crois qu’il y aura la compréhension à la fin que tout le monde peut regarder le projet de loi et [se] faire son idée », a-t-il indiqué mardi soir.
Le Parti libéral du Canada permet le vote libre de ses députés la plupart du temps, sauf s’il s’agit d’un dossier touchant la Charte canadienne des droits et libertés, d’une question de confiance envers le gouvernement ou d’une promesse électorale du parti.
Or, la plateforme électorale libérale promet précisément une réforme « visant l’égalité réelle du français et de l’anglais », dans l’esprit du document de réforme qui reconnaît que le français est menacé même au Québec. Cela a été présenté comme un changement de cap des libéraux, qui jusque-là mettaient sur un pied d’égalité les minorités francophone hors Québec et anglophone du Québec.
Le lieutenant québécois de Justin Trudeau, Pablo Rodriguez, « espère » que tout son caucus votera pour le texte, un « très, très bon projet de loi ». « C-13 reconnaît qu’il y a une langue qui est menacée au Canada, et c’est le français. Et qu’il faut faire plus pour le français, au Québec et ailleurs. On veut s’assurer que les francophones puissent travailler, avoir des services dans leur langue dans les entreprises à compétence fédérale. »
Sa collègue franco-ontarienne et présidente du Conseil du Trésor, Mona Fortier, a annoncé sans détour qu’elle voterait pour le projet de loi, « qui est solide, qui est fort ».
Pas tous du même avis
Le Montréalais et ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, avait des commentaires beaucoup moins clairs. « Il y a des amendements du Bloc, du Parti conservateur, qui évidemment minent complètement l’esprit de la loi », a-t-il indiqué mercredi. Il dit souhaiter lui aussi que la version finale du texte soit de nouveau modifiée pour devenir acceptable aux yeux de tous les libéraux.
Le député libéral Marc Garneau s’en est quant à lui pris aux médias mercredi, les accusant par écrit de ne pas le citer lorsqu’il « affirme constamment que le français est la langue officielle du Québec ». Et ce, même si de larges pans de son discours sur la défense des Anglo-Québécois ont été cités dans Le Devoir, et après avoir refusé de répondre à toute question mardi.
Dans une lettre ouverte publiée sur son site Web et principalement adressée au chroniqueur de La Presse Paul Journet, le député de Notre-Dame-de-Grâce–Westmount reconnaît qu’il « ne prend pas à la légère » la critique de son propre gouvernement dans ce dossier. Il estime que la loi 96 du Québec n’a pas sa place dans la loi fédérale.
« Imaginons maintenant si d’autres provinces décident de créer leur propre charte de la langue et insistent sur le même traitement [que les anglophones par Québec] ? Qui sera là pour défendre les droits linguistiques des minorités à travers le pays, s’il y a atteinte à leurs droits ? » écrit-il.
L’étude article par article du projet de loi C-13 en comité parlementaire doit être terminée avant que le texte puisse être voté à la Chambre des communes. Cela pourrait prendre encore un certain temps, surtout si les membres du comité acceptent d’ajouter des rencontres pour examiner tous les amendements demandés par Québec.