Ottawa souhaite la fin des initiations sportives

Des détails horrifiants des initiations abusives qu’ont vécues d’anciens joueurs de hockey junior canadiens, révélés dans un récent jugement en Ontario, font dire à la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, que ces activités doivent être interdites pour de bon.
« Mon message est clair aujourd’hui : les initiations doivent cesser. Dans tous les sports. […] Des initiations comme ça, c’est de l’abus, ce sont des mauvais traitements. […] Et je demande à tous les adultes qui sont impliqués dans le sport de mettre un terme à ça », a déclaré Pascale St-Onge, lundi.
La ministre libérale réagissait aux déclarations de joueurs de hockey recueillies sous serment et compilées dans un jugement de la Cour supérieure de Justice de l’Ontario daté du 3 février, et d’abord rapportées par TSN. On peut y lire que le juge Paul Perell a rejeté leur demande d’action collective et suggère d’autres avenues aux plaignants.
Les trois plaignants dans cette affaire, menée entre autres par l’ex-joueur de la Ligue nationale de hockey (LNH) Daniel Carcillo, allèguent que les trois ligues de hockey junior au Canada, dont la Ligue de hockey junior majeure du Québec (LHJMQ), sont responsables d’avoir maintenu une « culture de silence qui cache des comportements pervers, violents, de harcèlement et de l’intimidation ».
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Plus d’une vingtaine de témoignages d’anciens joueurs de hockey d’équipes des quatre coins du pays sont compilés dans le document de Cour, sur une période couvrant pratiquement quatre décennies, de la fin des années 1970 jusqu’en 2014. Tous allèguent avoir subi des agressions physiques ou sexuelles à répétition par les joueurs plus âgés, lorsqu’ils étaient nouveaux dans leur équipe et souvent mineurs.
Comme dans d’autres situations d’abus sportifs révélées dans le passé, les entraîneurs et le personnel des équipes de hockey auraient fermé les yeux.
Agressions lors d’initiations
Un joueur originaire de l’Alberta a par exemple décrit la « marche de l’éléphant », initiation dans laquelle les nouveaux joueurs devaient marcher à quatre pattes, nus, en cercle. Le visage de chacun devait être placé entre les fesses du garçon précédent, la main agrippant ses parties génitales, les siennes étant agrippées par le joueur suivant.
Un ex-joueur de la ville de Québec raconte être devenu claustrophobe après avoir été enfermé en sous-vêtements dans les toilettes d’un autobus pendant des heures, dans lequel le chauffage avait été poussé au maximum, en compagnie de huit autres joueurs. Le supplice, connu du personnel de l’équipe, était surnommé le « hot box », un détail corroboré par différents témoignages.
Un joueur du Nouveau-Brunswick dit avoir été forcé de faire des pompes dans la douche pendant que des joueurs plus âgés urinaient et déféquaient sur son dos. Ces joueurs incitaient les nouveaux à se masturber dans la douche ou dans les vestiaires, se rappelle-t-il. Son directeur général menaçait de retourner à la maison quiconque dénonçait les mauvais traitements.
Un autre, de l’Ontario, raconte aussi avoir été témoin de nombreux autres actes d’humiliations à caractère sexuel, impliquant des liquides corporels comme de la salive ou de l’urine. Un autre encore dit avoir été témoin de commentaires racistes, ou encore d’une marche imitant Adolf Hitler destinée à un coéquipier juif. Plusieurs joueurs témoignent de propos homophobes.
Un athlète originaire des États-Unis détaille comment des joueurs plus âgés l’ont sodomisé avec un bâton de hockey, alors qu’il était ligoté, au vu et au su de leur entraîneur et de ses assistants. Une agression qu’ont subie plusieurs autres anciens joueurs cités, comme l’un de la Colombie-Britannique qui raconte qu’en plus un produit irritant appliqué sur une épingle avait été inséré dans son urètre.
Plusieurs joueurs racontent que des onguents analgésiques ou autres produits chauffants de pharmacie ont été appliqués sur leurs parties génitales, ce qui leur a provoqué une grande douleur. En plus de leur propre agression, des joueurs racontent avoir été encouragés à consommer de l’alcool et des drogues, et à participer à des actes sexuels avec des femmes présentes lors de fêtes, dans ce qui a toutes les apparences de viols collectifs.
Solution de rechange demandée
Dans sa décision, le juge reconnaît que les anciens joueurs qui disent avoir été agressés « devraient avoir accès à la justice », mais que l’action collective n’est pas le moyen approprié. Selon lui, une action collective dans le dossier ne serait pas équitable ou efficace. D’après l’un des deux avocats des plaignants, James Sayce, le juge préfère un moyen plus expéditif pour que les joueurs ayant été agressés puissent obtenir justice. « À quoi cela va ressembler ? On ne le sait pas encore », précise l’avocat du cabinet Koskie Minsky LLP.
Les plaignants pourraient toujours faire appel de la décision, mais leur avocat n’a pas indiqué quel serait leur choix. « Mon travail en tant qu’avocat est de déterminer ce qui est le plus approprié pour mes clients et ce qui est le moins traumatisant », indique Me James Sayce.
Le Bloc québécois et même l’ex-ministre libérale des Sports Kirsty Duncan demandent l’ouverture d’une enquête nationale sur les abus dans le monde sportif. La ministre actuelle, Pascale St-Onge, a expliqué lundi devant un comité parlementaire que la majorité des mauvais traitements « se passent à l’extérieur de la juridiction fédérale ».
Elle promet plutôt d’exiger des provinces qu’elles se dotent d’un mécanisme de plaintes indépendant, ce qu’a déjà le Québec. La ministre a répété sa menace de supprimer tout financement fédéral aux organisations sportives qui n’auront pas accepté l’autorité de sa nouvelle Commissaire à l’intégrité dans le sport en date du 1er avril.
Ce reportage bénéficie du soutien de l’Initiative de journalisme local, financée par le gouvernement du Canada.