Le redécoupage électoral change la donne au Québec

Loin d’être « antidémocratique », comme l’a affirmé vendredi la ministre libérale Diane Lebouthillier, la décision de rayer de la carte électorale une circonscription gaspésienne va égaliser le poids des votes entre les citoyens du Québec, selon la commission chargée du redécoupage.
Le rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour le Québec explique que le critère d’équité entre les électeurs prime sur les considérations secondaires que sont le regroupement des « communautés d’intérêt » et la superficie des circonscriptions. L’exercice de redécoupage, répété tous les dix ans, découle du principe selon lequel le vote de chaque citoyen devrait avoir le même impact.
Le respect de ce principe signifie par ailleurs une perte nette de poids politique de l’est du Québec à Ottawa.
Les inégalités actuelles
Les changements démographiques ne se répartissent pas uniformément dans la province. Par exemple, Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia ne comportait plus que 70 255 habitants en 2021, soit environ 30 % de moins que la moyenne provinciale pour une circonscription, établie à 108 998. Et moins il y a de citoyens, plus grand est l’impact de chaque vote sur le choix du député.
À l’opposé, dans la circonscription montréalaise de Ville-Marie–Le Sud-Ouest–Île-des-Soeurs, la population a augmenté de façon fulgurante ces dix dernières années. Au point où il s’agit de la circonscription la plus populeuse du Québec, avec 134 555 habitants, soit 23 % de citoyens de plus que la moyenne, une situation qui dilue le choix électoral de chacun.
C’est exactement ce genre de disparités que la réforme tente d’éliminer, en divisant mieux le territoire.
« Chez nous, la population a énormément augmenté. Et ça s’est accentué beaucoup avec la COVID-19 », explique au Devoir André Genest, préfet de la MRC des Pays-d’en-Haut. Il accueille favorablement la création d’une toute nouvelle circonscription fédérale du même nom, qui comptera 106 834 personnes à Saint-Sauveur, Sainte-Adèle et les environs.
Chez nous [dans la MRC des Pays-d’en-Haut], la population a énormément augmenté. Et ça s’est accentué beaucoup avec la COVID-19.
Ce nombre sera principalement retranché des circonscriptions de Mirabel et de Laurentides-Labelle, ce qui aura pour conséquence d’augmenter le poids politique du vote de leurs citoyens. Le même phénomène s’observe là où le redécoupage rapetisse la circonscription, comme à Ville-Marie–Le Sud-Ouest–Île-des-Soeurs, à Montréal, amputée d’une partie du Vieux-Port et du quartier Saint-Henri.
« En Matanie, la population est loin d’aller en augmentant », se désole au téléphone le maire de Matane, Eddy Métivier, fortement opposé au redécoupage proposé. Avec la disparition d’Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia, la moins populeuse circonscription du Québec, ses 70 255 électeurs seront répartis dans deux circonscriptions limitrophes, soit l’actuelle Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine–Listuguj et la future Rimouski–La Matapédia. Cette dernière sera en partie cannibalisée à l’ouest par la future circonscription, Montmagny–Témiscouata–Kataskomiq. Chaque élu représentera ainsi un plus grand nombre de commettants à Ottawa.
Le Québec perd des plumes
La même logique s’applique à l’échelle du Canada, quoique la formule du nombre de sièges soit complexifiée par des clauses spéciales de la loi qui confèrent à certaines provinces des sièges en bonus. Une loi adoptée en juin 2022 stipule ainsi que le nombre de sièges par province ne peut diminuer par rapport à la situation actuelle, ce qui fixe à 78 le nombre minimum attribué au Québec.
Par contre, avec la croissance de la population inégalement distribuée, et surtout plus marquée dans l’ouest du pays, les redécoupages passés ont régulièrement ajouté des sièges à la Chambre des communes. Cette fois ne fait pas exception : le Parlement fédéral passera de 338 à 343 députés pour les élections qui auront lieu après avril 2024. Cela a pour conséquence de faire diminuer le poids politique relatif du Québec dans la fédération ; un poids qui demeure toutefois encore légèrement supérieur à sa part de la population canadienne.
Toutes les nations autochtones représentées
Les noms de plusieurs circonscriptions fédérales du Québec sont aussi appelés à changer, principalement pour mieux représenter la réalité autochtone du territoire. Dans l’esprit du projet de réconciliation nationale, la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour le Québec a souhaité, pour la première fois, que la présence des 10 Premières Nations établies au Québec et de la nation inuite se retrouve sur la carte électorale, dans laquelle existait déjà le nom Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou.
Un comité parlementaire à Ottawa doit encore entendre les doléances des élus sur le contenu du rapport de la commission, publié mercredi dernier. Le rapport final, qui doit être déposé d’ici l’été, pourrait ainsi encore être amendé. Ensuite, la procédure veut que le gouvernement retranscrive tel quel dans un décret le redécoupage proposé.