Amira Elghawaby présente ses excuses aux Québécois

Plongée dans la controverse depuis sa nomination comme conseillère spéciale chargée de la lutte contre l’islamophobie, Amira Elghawaby s’est excusée d’avoir « blessé » les Québécois. Un mea culpa survenu à peine quelques heures après que Justin Trudeau a tenté d’apaiser les tensions dans toute cette affaire. Le premier ministre s’est adonné à un effort de pédagogie mercredi, en appelant chacun de part et d’autre à ne pas tomber dans le Quebec bashing ou dans l’excès de condamnation, pour plutôt avancer dans le dialogue.

De passage au parlement fédéral pour y rencontrer le chef du Bloc québécois, Amira Elghawaby a affronté les caméras pour la première fois. « Je suis convaincue, je le sais, je l’ai dit, que les gens québécois ne sont pas racistes », a-t-elle affirmé à sa sortie de la réunion. « Ce n’était pas mon intention. Et pour les blessures que j’ai faites avec mes mots, je m’excuse sincèrement », a-t-elle dit en français.

La conseillère spéciale avait d’abord présenté ses excuses en anglais seulement, au début de l’entretien. En tant que membre de la communauté musulmane, Mme Elghawaby a fait valoir qu’elle comprenait très bien le sentiment de se retrouver victime de stéréotypes et de biais. « Et je comprends que les mots et la façon dont je les ai utilisés ont blessé les gens du Québec », avait-elle assuré. La Presse avait ressorti certains de ses anciens écrits dans lesquels elle estimait notamment que « malheureusement, la majorité des Québécois sont [guidés] par un sentiment antimusulman ».

Le premier ministre Justin Trudeau a considéré ses excuses comme la preuve qu’elle est « une personne sensible, qui est ouverte aux préoccupations des autres dans un dossier qui est difficile ». Il a affirmé qu’il ne lui avait pas demandé de s’excuser.

Cette demande de pardon n’a toutefois pas satisfait le ministre québécois responsable de la Laïcité, Jean-François Roberge, qui a une fois de plus réclamé sa démission.

« J’apprécie ses excuses, mais je ne crois toujours pas qu’elle a la crédibilité et la légitimité pour occuper la fonction », a-t-il raillé à sa sortie du Conseil des ministres. Les déclarations passées de Mme Elghawaby « sont terribles » et « s’apparentent à du racisme ». M. Roberge est d’avis que ses excuses ont trop tardé, après qu’elle a d’abord tenté de s’expliquer.

Changement de ton

Bien que Justin Trudeau maintienne son appui envers Mme Elghawaby, son discours avait changé mercredi. Le premier ministre s’est présenté devant la presse, à son arrivée au caucus en matinée, pour rappeler pendant de longues minutes le passé du Québec qui explique aujourd’hui sa position sur la laïcité.

« Je veux être très clair : les Québécois ne sont pas racistes », a-t-il statué. En regrettant le Quebec bashing de certains et la « réaction extrêmement défensive » d’autres au Québec, M. Trudeau est revenu sur la Révolution tranquille, qui a mené les Québécois à devenir d’ardents défenseurs des droits et libertés individuels. Cette défense « amène une certaine distance ou même méfiance [envers] la religion », a-t-il indiqué.

Invité à préciser s’il estime que Mme Elghawaby comprend cette perspective, M. Trudeau s’est dit « content » qu’elle rencontre le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, ainsi qu’éventuellement les représentants de Québec solidaire.

J’apprécie ses excuses, mais je ne crois toujours pas qu’elle a la crédibilité et la légitimité pour occuper la fonction

 

M. Trudeau a reconnu avoir été au courant « de certains de ses propos » avant de nommer l’ancienne chroniqueuse à son poste. Mais il dit en avoir aussi découvert « certains autres qui sortent maintenant ».

Toutefois, « quelqu’un qui a été activiste pour une cause pendant de longues années » sera « différent » une fois devenu représentant du gouvernement sur un dossier, a-t-il avancé.

Quelques libéraux du Québec ont formulé le souhait qu’il en soit ainsi. Mme Elghawaby a indiqué que, selon elle, son rôle était « d’essayer d’exprimer la peine que les minorités religieuses ressentent » lorsqu’elles font face à de la discrimination. Elle a répété qu’elle juge discriminatoire la « loi 21 ».

« Si son passé militant est révélateur d’a priori à l’endroit du Québec, cela reste une préoccupation », a déclaré le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, avant de s’asseoir avec elle. Le chef du Bloc commentera sa rencontre jeudi. Il n’est pas exclu qu’il réclame à son tour sa démission, comme l’ont fait le gouvernement du Québec et le Parti conservateur à Ottawa.

M. Blanchet en a contre le poste en soi, qui cible spécifiquement l’islamophobie plutôt que le racisme dans son ensemble. Ce qui a peut-être « stigmatisé un enjeu », à son avis.

Dissensions libérales

La nomination semble avoir créé un malaise au sein du caucus libéral québécois. Des ministres et des députés ont déploré dans les derniers jours ces propos passés de Mme Elghawaby. Le lieutenant québécois de Justin Trudeau, Pablo Rodriguez, a dit avoir été « profondément blessé ». Il la rencontrera à son tour jeudi.

Les ministres François-Philippe Champagne (Innovation, Sciences et Industrie), David Lametti (Justice) et Pascale St-Onge (Sports) se sont aussi montrés mal à l’aise. Le député Anthony Housefather a dit croire qu’elle « doit être éduquée sur la question du Québec », mais que c’est « un devoir des deux côtés ».

Des élus anglophones, en revanche, se sont portés à la défense de Mme Elghawaby et ont dénoncé le fait que toute la controverse découle du racisme. « Malheureusement, la réaction et le jugement de certains sur la nomination témoignent des problèmes profonds de racisme et de préjugés qui existent encore dans notre société — même chez nos élus », a déclaré George Chahal, député sikh de Calgary, dans une déclaration écrite sur Twitter.

Sa collègue Salma Zahid a déploré qu’encore une fois une femme voilée se retrouve victime de critiques. Un commentaire qu’a aussi exprimé le chef néodémocrate, Jagmeet Singh, qui est de confession sikhe et qui porte le turban.

Avec Alexandre Robillard



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