L’entêtement dépassé des négociations en santé

Justin Trudeau refuse de rencontrer les premiers ministres provinciaux tant que leurs ministres de la Santé n’auront pas convenu d’une entente avec le sien.
Photo: Sean Kilpatrick La Presse canadienne Justin Trudeau refuse de rencontrer les premiers ministres provinciaux tant que leurs ministres de la Santé n’auront pas convenu d’une entente avec le sien.

Chaque semaine, notre correspondante parlementaire à Ottawa Marie Vastel analyse un enjeu de la politique fédérale pour vous aider à mieux le comprendre.

Les querelles fédéral-provincial sur la santé se suivent et se ressemblent. Et celle qui oppose Justin Trudeau à ses homologues ces jours-ci ne fait pas exception. Les provinces en demandent plus que ce qu’Ottawa est disposé à leur offrir ; les deux camps restent sur leurs positions, et les discussions sont dans l’impasse. Mais après trois ans de pandémie et en pleine crise paralysant les hôpitaux pédiatriques du pays, ce même refrain ne passe plus aussi bien.

Le premier ministre fédéral se sert pourtant justement de la pandémie pour insister sur le fait qu’il se doit d’imposer certains objectifs aux gouvernements provinciaux, en échange d’une hausse des transferts en santé. « Ce ne serait pas la bonne chose à faire que de simplement investir encore plus d’argent, de s’asseoir et de regarder le problème aller sans le régler, parce que nous n’avons pas profité de ce moment pour dire : “Non, non, non, il est temps d’améliorer le système” », répétait M. Trudeau en entrevue de fin d’année avec The Canadian Press.

Justin Trudeau refuse de rencontrer les premiers ministres provinciaux tant que leurs ministres de la Santé n’auront pas convenu d’une entente avec le sien. Les provinces réclament, au contraire, de s’asseoir entre premiers ministres pour s’entendre directement entre patrons. Ottawa assure être prêt à leur verser plus d’argent, mais à condition de convenir de cibles visant à améliorer le système de santé. Les premiers ministres provinciaux refusent et défendent leur champ de compétence. Un discours de sourds qui perdure depuis des mois.

Le gouvernement fédéral estimait, sondages internes à l’appui, que les Canadiens en ont assez de ces guerres de chiffres et de chasses gardées et que ce qu’ils veulent avant tout, ce sont des changements. Les citoyens, croyait-on à Ottawa, leur donneraient donc raison.

Mais un sondage Nanos révélait cet automne que, au contraire, les Canadiens n’adhèrent pas majoritairement à la position de l’un ou l’autre des ordres de gouvernement. Ils sont plutôt partagés, 44 % des répondants ayant affirmé appuyer la position des provinces contre 43 % pour celle du fédéral. Et ils sont tout aussi divisés quand vient le temps de choisir à qui faire confiance pour trouver des solutions — 27 % s’en remettaient au gouvernement provincial, contre 26 % au fédéral, tandis que 38 % ont répondu aucun des deux.

Tout cela sur fond de constat accablant : 70 % ont rapporté que leur accès aux soins de santé était devenu encore plus difficile depuis la pandémie.

Malgré ses propres coups de sonde encourageants, le gouvernement Trudeau sent peut-être ce vent sous-jacent. Car il semble ainsi que la porte ne soit plus aussi fermée aux provinces qu’elle l’était. Le ton a beau demeurer ferme sur la place publique, le début de l’année 2023 pourrait se faire un tant soit peu plus conciliant.

Nouvelle année, nouvelle attitude ?

Les provinces aussi se servent de la pandémie pour tenir tête au fédéral. Elles estiment que leur front commun, qui a tenu bon en 2020, leur a permis de décrocher plus d’argent à Ottawa, et ce, sans condition. Cinq des premiers ministres de l’époque — tous d’allégeance conservatrice ou de droite — sont d’ailleurs encore en poste. Dont François Legault, qui semble attendre son homologue fédéral de pied ferme en vue de leur rencontre de vendredi, l’ayant de nouveau accusé de pratiquer « un fédéralisme centralisateur » et de tenir un discours « choquant » sur le financement de la santé.

Les provinces ont par ailleurs beau jeu de sommer Ottawa de gérer ses propres dossiers — comme la délivrance de passeports ou le traitement de demandes d’immigration — ou encore ses propres projets de loi sur les langues officielles (C-13) ou les armes à feu (C-21), qui n’ont pas abouti avant la relâche parlementaire.

L’histoire a cependant tendance à se répéter. Bien que Justin Trudeau ait promis en 2015 qu’un gouvernement libéral « se réengager[ait] dans ces discussions sur [le] système de santé » avec les provinces, il avait fini par venir à bout du front commun provincial deux ans plus tard en s’entendant avec certaines d’entre elles pour ensuite forcer la main des autres, comme le Québec.

Il y a fort à parier que les provinces de l’Atlantique acceptent encore cette fois-ci les sommes fédérales et ses conditions. Nul ne sait prédire ce que fera Doug Ford en Ontario.

Une menace dégonflée

 

Le chef néodémocrate Jagmeet Singh y est quant à lui allé d’une nouvelle menace à son entente avec le gouvernement libéral. Sentant visiblement l’impatience populaire, face à des urgences pédiatriques qui débordent et l’envoi de la Croix-Rouge dans un centre hospitalier pour enfants d’Ottawa, M. Singh a sommé le premier ministre de rencontrer ses homologues et rappelé qu’il pouvait lui retirer son appui à tout moment.

Ce n’est pas la première fois qu’il brandit cet avertissement, qui avait été le même cet été alors que le gouvernement Trudeau se préparait à annoncer les premiers pans de l’assurance dentaire pour enfants. Ce qui fait dire au chef bloquiste Yves-François Blanchet que ce n’est que de « l’esbroufe pré-Noël ». M. Singh a d’ailleurs passé le reste de son point de presse, après avoir durci le ton, à répéter que ce ne serait qu’un dernier recours et qu’il ne voulait pas d’une élection en 2023. Le résultat de la partielle dans Mississauga-Lakeshore — avec toutes les nuances qui s’imposent — n’a rien fait pour encourager le NPD à briguer un scrutin rapidement. Pas plus que les conservateurs, d’ailleurs.

L’arrivée de la nouvelle année dira si tous ces débats politiques peuvent se calmer et qui, de Justin Trudeau ou de ses homologues provinciaux, sera le premier à mettre de l’eau dans son vin. Entre-temps, les travailleurs de la santé devront visiblement continuer à tirer en vain la sonnette d’alarme, et les parents, à angoisser au premier signe de virus respiratoire de leurs enfants.

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