La haute direction d’Affaires mondiales Canada ne fait toujours pas plus de place au français

Les hauts gestionnaires de la diplomatie canadienne n’ont pas encore réservé un espace pour le français dans leurs réunions.
Photo: Getty Images Les hauts gestionnaires de la diplomatie canadienne n’ont pas encore réservé un espace pour le français dans leurs réunions.

Les hauts gestionnaires de la diplomatie canadienne n’ont pas encore réservé un espace pour le français dans leurs réunions, une suggestion pourtant jugée facile à réaliser par un groupe de travail créé il y a un an et demi, montre un rapport.

Un seul mois devait être suffisant pour arriver à inscrire la promotion du français à l’ordre du jour des réunions du comité exécutif d’Affaires mondiales Canada. C’est du moins l’estimation qu’avait faite au printemps 2021 un « groupe gingembre » interne sur les langues officielles. Au moins 15 mois plus tard, cela « n’a pas été fait », tranche un document de suivi obtenu par Le Devoir.

La recommandation semble donc avoir été ignorée par le corps dirigeant du ministère fédéral, constitué de sous-ministres et de sous-ministres adjoints, ainsi que de quelques ambassadeurs.

 

Un sort similaire a attendu la suggestion de pratiquer l’alternance anglais-français lors des réunions de haut niveau sur les opérations et la gouvernance, en faisant un « rappel aux [gestionnaires] et aux employés de leur droit de s’attendre une équipe bilingue ». « N’a pas progressé en termes de procédures, mais cette pratique semble s’être accrue dans certains secteurs », peut-on lire dans le document de suivi daté de juin 2022.

Plusieurs plaintes de nature informatique

Le rapport interne au ministère laisse aussi entendre que les services informatiques d’Affaires mondiales Canada violent la Loi sur les langues officielles, ce qui serait l’objet de « plusieurs plaintes ». Il est par exemple question de claviers d’ordinateurs uniquement en anglais ou de logiciels installés en anglais par défaut.

Le ministère a nié cette allégation dans sa réponse au Devoir, indiquant plutôt que la norme est aux claviers multilingues, mais que des gestionnaires peuvent obtenir des claviers anglais et français pour leurs employés. D’autres équipements, comme des ordinateurs portables, peuvent aussi passer d’un employé à l’autre au cours de leur cycle de vie, dit-on.

Certaines suggestions ont toutefois mené à des changements dans l’organisation. Affaires mondiales Canada offre désormais à ses employés des modèles de signature de courriels invitant le destinataire à répondre en anglais ou en français. Le ministère a aussi créé des groupes de discussion et mené des sondages internes.

Surtout, un message « de reconnaissance du problème » a été envoyé à tous les employés le 18 mars 2021, indique la note. « La dualité linguistique est un élément essentiel de la culture inclusive que le ministère continue de bâtir et cherche à atteindre », peut-on lire dans cette communication obtenue par Le Devoir. On y précise que tous les employés sont invités à parler français au quotidien, et aux gestionnaires de « donner l’exemple ».

Groupe de travail sur le français

L’expression « groupe gingembre » (ginger group, en anglais) est utilisée au sein du gouvernement pour qualifier un groupe interne qui a pour mission de faire progresser certaines causes au sein d’une organisation.

Celui sur la place du français chez Affaires mondiales Canada a été créé au début de l’année 2021, peu après que Le Devoir eut révélé que le ministère comptant 42 % de fonctionnaires francophones n’avait que des anglophones dans les postes les plus prestigieux de sa haute direction. Des documents ont aussi démontré que les francophones étaient plus souvent éliminés des concours de promotion, tout comme les personnes issues des minorités visibles, les personnes handicapées et les Autochtones.

Depuis, la grande fonctionnaire responsable du réseau diplomatique, Marta Morgan, est partie à la retraite. Le premier ministre Justin Trudeau a alors nommé son ancien représentant personnel pour le Sommet du G7, David Morrison, comme nouveau sous-ministre des Affaires étrangères.

Des francophones ont aussi récemment accédé à des postes de haute direction ou ont été nommés chefs de mission. Par exemple, l’ex-haut-commissaire du Canada au Mozambique et ex-ambassadeur en Éthiopie, Antoine Chevrier, est devenu en mars dernier le sous-ministre adjoint pour l’Afrique subsaharienne. Il remplace à ce poste une gestionnaire anglophone controversée qui n’avait aucune expérience diplomatique préalable.

La Presse canadienne a rapporté cette semaine qu’un comité sénatorial envisage de diminuer l’importance de la connaissance du français pour l’embauche de diplomates — pour ceux qui maîtrisent des langues asiatiques, par exemple. Cette idée contrevient explicitement à  la prétention officielle d’Affaires mondiales Canada d’avoir un « engagement indéfectible » pour le bilinguisme, ainsi qu’à la vision promise par la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

« Pour le réseau diplomatique canadien, la maîtrise du français est non seulement essentielle, mais c’est aussi un avantage stratégique. La langue française fait partie de l’identité unique du Canada sur la scène internationale », écrit l’attaché de presse de la ministre Joly, Adrien Blanchard.

Dans un courriel, la porte-parole d’Affaires mondiales Canada, Patricia Skinner, précise que les réunions de haut niveau « passent avec fluidité d’une langue officielle à l’autre, selon la langue de choix de l’intervenant ». Elle ne concède ainsi rien pouvant laisser entendre que la haute direction du ministère est critiquable quant à son utilisation du français.

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