La police d’Ottawa n’avait pas avisé le Convoi qu’il était illégal

L’ex-chef de la police d’Ottawa n’a jamais cru bon de faire l’annonce de l’illégalité du Convoi de la liberté directement aux manifestants qui occupaient sa ville avant l’invocation des mesures d’urgence, a-t-il admis lundi lors de la commission Rouleau.
« Avec toute la couverture médiatique, des médias, des médias sociaux, ce serait difficile de croire qu’un individu aurait compris qu’il n’y avait pas d’illégalité », a dit Peter Sloly devant le juge Rouleau.
Le chef Sloly poursuivait son témoignage commencé vendredi, dans lequel il a notamment critiqué la « désinformation » dans les médias, qui n’ont selon lui pas présenté adéquatement les efforts des policiers. La journée de lundi était consacrée à son contre-examen par les avocats de différentes parties, comme son ancien employeur, le gouvernement fédéral ou même certains manifestants, rassemblés sous la bannière d’une entreprise, Freedom Corp.
« Le Service de police d’Ottawa, ou votre bureau, à tout moment avant la déclaration [des mesures d’urgence], n’avait pas donné d’avis formel aux manifestants selon lequel c’était un rassemblement illégal et qu’il fallait quitter [les lieux] ? » lui a demandé l’avocat des manifestants, Brendan Miller. « C’est exact », lui a répondu M. Sloly.
Le Devoir a recueilli de nombreux témoignages de manifestants présents durant les blocages de la capitale fédérale, l’hiver dernier, qui croyaient leur action légale, voire protégée par la Charte canadienne des droits et libertés. La police d’Ottawa a commencé à distribuer des avertissements sur les pare-brise des véhicules dans les jours qui ont suivi l’invocation des mesures d’urgence, le 14 février.
Le jour où l’illégalité de l’occupation a été annoncée sur des haut-parleurs géants, le 18 février, coïncide avec la méthodique opération policière qui a mis fin à la manifestation motorisée contre les mesures sanitaires. Peter Sloly avait déjà démissionné de son poste à ce moment.
Peu apprécié du chef
La 13e journée d’audiences publiques de la Commission sur l’état d’urgence a également permis de connaître de plus amples détails sur les désaccords qui existaient entre le chef de la police d’Ottawa et un négociateur de la Police provinciale de l’Ontario.
Ces désaccords auraient conduit Peter Sloly à évoquer la castration de Dave Springer, un agent membre de l’équipe provinciale de liaison (PLT, selon le jargon), selon les notes de l’adjointe de M. Sloly.
Le 9 février, l’agent Springer avait envoyé un courriel conseillant de conclure une entente avec des manifestants qui bloquaient les rues Sussex et Rideau, un coin de rue associé au groupe québécois des Farfadaas, pour leur permettre de rejoindre la manifestation principale devant le parlement. Ce jour-là, une importante intervention policière visant justement à les déloger de cet endroit a déraillé à cause de débats internes sur la dangerosité de l’opération.
Selon les notes de la cheffe adjointe de la police d’Ottawa, Patricia Ferguson, l’agent provincial se serait présenté au bureau d’un commandant pour « lui dire quoi faire », une visite qui a été discutée lors d’une réunion, le 10 février. « Le chef a répondu en disant que s’il faisait ça, il couperait les couilles de Dave Springer », peut-on lire dans les notes manuscrites.
Questionné à ce sujet lundi, Peter Sloly dit qu’il ne se souvient pas de l’incident, et qu’« il n’a jamais dit quelque chose comme ça ». Il a par contre critiqué la prise de notes de Mme Ferguson, « extrêmement éditoriales », qui le font mal paraître. Elle avait notamment critiqué le chef pour sa microgestion des opérations policières, et a qualifié le climat interne dans la police « d’insurrection ».
Les notes du chef Sloly datées du 11 février font état de négociations tombées à l’eau avec des manifestants qui « faisaient la fête » et étaient de « mauvaise foi ». Ce même document mentionne la recherche de remorqueuses lourdes. Lundi, Peter Sloly a indiqué que la Gendermerie royale du Canada avait cherché à acquérir ce genre de véhicules sur le site de petites annonces Kijiji.
185 000 $ en consultants
La commission a rendu publique lundi une facture de la firme de consultants en communications Navigator. Pendant la crise du Convoi de la liberté, 185 992,85 $ de fonds publics ont été dépensés par la police d’Ottawa pour analyser les articles, les chroniques et les messages sur Internet qui entachaient la réputation du chef.
Des documents montrent aussi que M. Sloly avait suggéré des noms « d’interlocuteurs » pour négocier avec les participants à l’occupation du Convoi de la liberté. Il voyait l’ex-sénateur autochtone Murray Sinclair, l’ambassadeur canadien à l’ONU Bob Rae ou encore l’avocate auprès de tribunaux internationaux Louise Arbour négocier au nom du gouvernement avec les leaders du Convoi.
Il a répété lundi que les manifestations du Convoi de la liberté dépassaient les capacités de la police d’Ottawa puisqu’il s’agit, selon lui, d’un événement provincial, national, « avec même un aspect international ».
Des leaders du mouvement vont comparaître à partir de mardi, à commencer par le Saskatchewanais Chris Barber, l’Ontarienne Brigitte Belton et le leader des Farfadaas, le Québécois Steeve « l’Artiss » Charland. Suivront dans les prochains jours d’autres organisateurs, comme Patrick King et Tamara Lich.