Ottawa passera sa diplomatie en revue

«Ça prend du temps de transformer une organisation. Moi, ce que je veux, c’est de donner l’impulsion pour le changement», a confié au Devoir Mélanie Joly.
Photo: Johanna Geron Associated Press «Ça prend du temps de transformer une organisation. Moi, ce que je veux, c’est de donner l’impulsion pour le changement», a confié au Devoir Mélanie Joly.

Le réseau diplomatique canadien doit se « regarder dans le miroir », selon la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui demande à ses employés insatisfaits leur avis sur comment elle peut mieux voir « ce qui se passe sur le terrain » et augmenter la présence du pays dans le monde.

« Je suis très consciente qu’il y a des frustrations au sein d’Affaires mondiales Canada. On doit en prendre acte […] et il faut faire cet exercice avec beaucoup d’humilité et d’audace », explique la ministre Joly au Devoir, au sortir d’une réunion avec plus de 150 de ses fonctionnaires, lundi.

Elle leur a présenté son plan pour « bâtir une diplomatie moderne », « adaptée aux défis d’aujourd’hui », et qui consiste essentiellement à consulter ses employés ainsi qu’un comité d’experts indépendant pour « aller chercher les meilleures pratiques à travers le monde » et s’en inspirer afin d’améliorer la diplomatie canadienne.

« Nous ne vivons plus dans un monde unipolaire. Les vieilles alliances sont mises à rude épreuve, et des nouvelles alliances prennent forme, a déclaré la ministre dans son discours bilingue. Afin de maximiser notre impact à tous égards, une diplomatie forte, stratégique, diversifiée et agile demeure une condition sine qua non. »

Comprendre les médias sociaux

 

Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a fait un discours semblable auprès de ses diplomates, l’automne dernier, dans lequel il annonçait au passage une hausse de 10 % du budget de l’aide internationale et l’instauration d’un canal de communication pour la « dissidence professionnelle » au sein de son ministère. Mélanie Joly n’a pour sa part promis rien de tel, mais a repris quelques grands thèmes de la réforme de son homologue Blinken, comme le besoin que le pays se dote de meilleurs « outils numériques » pour comprendre les médias sociaux et prenne plus de place dans les institutions multilatérales.

« Je me suis rendu compte que plusieurs de mes collègues du G7 se posent aussi la question sur comment, eux, ils peuvent développer leur diplomatie », dit-elle. Les suites de la crise de la COVID-19, l’invasion russe de l’Ukraine, mais aussi les migrations de populations et les changements climatiques sont tant d’exemples de « défis » auxquels la diplomatie devra forcément trouver une solution.

Les pays démocratiques doivent avoir pour objectif de « mieux s’organiser » entre eux pour ne pas laisser le champ libre aux pays autoritaires au sein des institutions comme l’Organisation des Nations unies (ONU), explique la ministre. « Nous, il faut qu’on soit encore plus stratégiques. » Mélanie Joly parle aussi d’avoir « des yeux et des oreilles » un peu partout où le Canada tient une ambassade. Elle souhaite qu’on lui arrive avec « de nouvelles façons de faire ».

« Si on était au Kazakhstan, ou au Chili, il y a peut-être 50 ans, tout se passait à partir de la capitale. Pourtant, des mouvements de contestation peuvent provenir […] de différentes régions du pays, et on peut les voir en comprenant mieux Telegram, ou en regardant ce qui se passe sur TikTok. Et il faut que notre ministère soit capable de lire ces phénomènes-là. »

Ministère anglophone

 

Le ministère qui gère la diplomatie canadienne est Affaires mondiales Canada (AMC), un mastodonte administratif qui gère aussi le commerce international et qui a avalé en 2013 l’Agence canadienne de développement international, dont la gestion était réputée plus francophone. AMC est depuis critiqué notamment pour ne faire accéder que des anglophones aux postes les plus prestigieux de la diplomatie et pour rendre les promotions aux postes de cadres plus faciles pour la majorité anglophone.

Mélanie Joly s’engage à mettre en œuvre les propositions pour le français à l’étranger contenues dans son livre blanc dévoilé l’an dernier, et annonce que deux nouveaux sous-ministres adjoints d’AMC sont des francophones. « On ne peut pas sortir la fille des Langues officielles », ajoute-t-elle à la blague, en référence à son ancien portefeuille. La ministre établit d’ailleurs un « contrat social » avec le ministère basé sur trois « piliers » : les langues officielles, la diversité et la réconciliation.

« C’est important pour moi, c’est fondamental, que les francophones ici à Affaires mondiales se sentent à l’aise de travailler en français. Qu’ils ne se sentent pas obligés de changer de langue non plus […] et qu’ils aient accès à des promotions bien qu’ils soient francophones. »

Vers de nouvelles orientations

 

La transformation de la diplomatie canadienne que propose la ministre Joly est avant tout d’ordre organisationnel et ne constitue pas un examen de la politique étrangère du Canada en tant que telle. Le gouvernement Trudeau est la cible de critiques en la matière, que ce soit pour avoir fait se succéder plusieurs ministres aux Affaires étrangères, pour l’alignement constant de ses décisions sur celles des États-Unis ou encore pour sa faible ambition en général. Les diplomates eux-mêmes souhaitent voir des changements, de l’aveu même de la ministre.

Le dernier véritable plan pour la politique étrangère du Canada a été élaboré en 2005 sous Paul Martin. Il proposait alors de centrer la diplomatie vers le partenariat nord-américain, de concentrer l’aide étrangère dans une poignée de pays, d’investir les institutions multilatérales comme l’ONU ou encore d’inclure plus de ministères fédéraux dans la prise de décision.

Le gouvernement Trudeau entend bonifier cette politique étrangère d’une « stratégie indo-pacifique » sous peu, dit la ministre des Affaires étrangères, à qui le premier ministre a confié cette mission après sa nomination, effectuée à l’automne dernier. « J’aurai l’occasion au cours des prochaines semaines de présenter les principales orientations de la politique étrangère canadienne », promet-elle.

La date du début officiel des consultations n’a pas été annoncée. AMC devra choisir d’anciens diplomates ou des professeurs d’université pour constituer son groupe d’experts, dont le rapport final et les recommandations sont attendus pour le printemps 2023.

« Ça prend du temps de transformer une organisation. Moi, ce que je veux, c’est de donner l’impulsion pour le changement », conclut Mélanie Joly. Du reste, elle compte sur ses diplomates pour lui dire comment faire.

C’est important pour moi, c’est fondamental, que les francophones ici à Affaires mondiales se sentent à l’aise de travailler en français. Qu’ils ne se sentent pas obligés de changer de langue non plus […] et qu’ils aient accès à des promotions bien qu’ils soient francophones.

La transformation de la diplomatie canadienne
que propose la ministre Joly est avant tout d’ordre organisationnel et ne constitue pas un examen
de la politique étrangère du Canada en tant que telle

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