Ottawa veut un gel des ventes d’armes de poing

«J’ai participé à trop de vigiles, j’ai rencontré les proches de trop de victimes», a souligné Justin Trudeau en conférence de presse lundi.
Photo: Patrick Doyle La Presse canadienne «J’ai participé à trop de vigiles, j’ai rencontré les proches de trop de victimes», a souligné Justin Trudeau en conférence de presse lundi.

Le gouvernement Trudeau va plus loin que sa promesse électorale et annonce qu’il compte interdire l’achat, la vente et l’importation d’armes de poing sur le territoire canadien dans un nouveau projet de loi. Les personnes qui possèdent déjà une telle arme pourront toutefois la conserver et continuer à l’utiliser.

Accompagné d’une poignée de ses ministres — et devant un parterre de militants pour un contrôle plus strict des armes à feu —, Justin Trudeau a déclaré en conférence de presse lundi qu’« alors que nous voyons la violence par armes à feu augmenter, c’est notre devoir de continuer à agir ». « Dans les dernières années, j’ai participé à trop de vigiles, j’ai rencontré les proches de trop de victimes », a-t-il ajouté dans un moment d’émotion.

Le premier ministre souhaite une hausse des peines maximales pour l’importation illégale d’armes à feu et affirme que « plus d’outils » seront fournis aux policiers pour enquêter sur les crimes commis par leur utilisation. Selon le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, ces mesures seront mises en place « très rapidement ». Environ un million d’armes de poing sont détenues par des particuliers au pays, selon Ottawa.

Le projet de loi C-21 prévoit la révocation des permis d’arme à feu des personnes impliquées dans des actes de violence domestique ou de harcèlement criminel, ainsi qu’une mesure « carton rouge » qui permettrait à tout Canadien de demander une ordonnance judiciaire afin de désarmer une personne potentiellement dangereuse.

Le gouvernement fédéral veut aussi faire passer de 10 à 14 ans les peines maximales pour la contrebande et le trafic d’armes à feu, ainsi qu’inscrire une nouvelle infraction au Code criminel — la modification illicite d’un chargeur pour en augmenter sa capacité — qui serait passible de jusqu’à cinq ans de prison.

« Le programme de rachat sera obligatoire pour les armes d’assaut », a également indiqué le premier ministre.

Pas d’interdiction

L’annonce ne correspond pas exactement à ce que demandait Québec et Montréal, mais va néanmoins plus loin que les dernières promesses électorales du Parti libéral du Canada en la matière.

Pas plus tard que la semaine dernière, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait répété sa demande d’interdire une fois pour toutes les armes de poing au pays. Le gouvernement du Québec souligne lui aussi depuis un moment qu’il est « urgent » qu’Ottawa bannisse ces armes d’un océan à l’autre — une demande qui avait fait consensus à l’Assemblée nationale en février 2021.

Questionné sur les raisons pour lesquelles son gouvernement n’interdit simplement pas les armes de poing, Justin Trudeau a noté que « la grande majorité des propriétaires d’armes à feu suivent les lois, suivent les règles ».

Sur Twitter, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a « salué » ce projet de loi, non sans formuler des attentes pour l’avenir. « Nous espérons que le pas franchi aujourd’hui par le gouvernement canadien nous mène vers l’interdiction complète des armes de poing sur notre territoire et hors de la portée des jeunes », a-t-elle écrit.

« On ne s’attendait pas à ça. C’est une grosse volte-face du gouvernement, et c’est tout à son honneur », s’est réjouie la coordinatrice de l’organisme PolySeSouvient, Heidi Rathjen, en entrevue au Devoir. « Tout ce qu’on voulait, c’était une mesure fédérale pour contrer la prolifération des armes de poing légales », explique-t-elle. Mme Rathjen souligne d’ailleurs le message fort envoyé par le fédéral au sujet des armes à feu : « Le Canada s’affiche comme un pays qui ne veut pas devenir comme les États-Unis, qui ne veut pas prendre ce chemin-là. »

Par voie de communiqué, le porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de Sécurité publique, Alistair MacGregor, s’est toutefois montré sceptique : « Nous osons croire que l’annonce d’aujourd’hui sur la violence liée aux armes à feu est une priorité urgente et qu’il ne s’agit pas d’un autre coup politique de ce gouvernement. »

Un débat qui perdure

 

Au printemps 2020, le gouvernement Trudeau avait désigné comme « prohibés » 1500 modèles et variantes d’armes à feu, dont des armes semi-automatiques « de style militaire ». Cela inclut les armes de type AR-15, comme celle qu’a utilisée le tireur d’Uvalde, au Texas, pour assassiner 19 enfants et deux enseignantes mardi dernier.

Le gouvernement a ensuite introduit l’année suivante un projet de loi qui prévoyait un programme de rachat volontaire et un renforcement des lois sur les armes à feu, dont l’augmentation de certaines peines maximales. Il avait été critiqué par plusieurs propriétaires d’armes tout en étant jugé trop timide par les groupes qui militent pour des mesures plus strictes. Le texte législatif est toutefois mort au feuilleton lors du déclenchement des élections fédérales l’automne dernier.

Entre-temps, les propriétaires de ces armes bénéficient d’une amnistie — récemment prolongée jusqu’au 30 octobre 2023 — afin de donner le temps aux fonctionnaires de mettre en place un programme de rachat obligatoire. Ces armes de « style militaire » ne peuvent pas être achetées, vendues ou utilisées au Canada, mais elles peuvent être entreposées ou réparées. Ottawa estime que plus de 100 000 armes à feu prohibées sont présentement en circulation au pays.

Lors de la dernière campagne électorale fédérale, le Parti libéral n’avait pas promis d’interdire les armes de poing à l’échelle nationale, mais plutôt de dégager un milliard de dollars cette année pour les provinces disposées à les interdire sur leur territoire. Cette somme ne figurait toutefois pas au dernier budget.

 

On ne s’attendait pas à ça. C’est une grosse volte-face du gouver-nement, et c’est tout
à son honneur.

 

Heidi Rathjen

 

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L’annonce d’Ottawa ne correspond pas exactement
à ce que demandait Québec et Montréal, mais va néanmoins plus loin que
les dernières promesses électorales du Parti libéral
du Canada en la matière.

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