Les leçons de Le Pen pour Poilievre et Trudeau

Chaque mercredi, notre correspondante parlementaire à Ottawa Marie Vastel analyse un enjeu de la politique fédérale pour vous aider à mieux le comprendre.
Le succès électoral de Marine Le Pen, qui a de nouveau vu croître ses appuis lors de la présidentielle française, n’est que le dernier exemple d’une montée du populisme chez les plus proches alliés du Canada. Et la société canadienne n’a jamais été à l’abri, comme en témoigne la popularité du discours de Pierre Poilievre. Les partis fédéraux devraient tirer des leçons du scrutin français et y voir un avertissement, et ce, tant du côté libéral que de celui même des conservateurs.
Les nuances sont de mise, avant de comparer Marine Le Pen à Pierre Poilievre. L’aspirant chef conservateur prône une politique libertarienne et ne verse pas dans l’extrême droite. Son discours n’est pas anti-immigration ou qualifié de xénophobe. Les systèmes politiques de la France et du Canada sont également différents, le premier élisant ses présidents par scrutin direct tandis qu’un premier ministre canadien doit se faire élire en remportant une majorité de circonscriptions.
Mais M. Poilievre a adopté la même approche que d’autres politiciens populistes avant lui : courtiser les citoyens qui se sentent laissés pour compte par leurs gouvernements ; se présenter comme seul défenseur de ce peuple ignoré ; et leur offrir des solutions simplistes, pas toujours réalistes (le recours à la cryptomonnaie pour contourner l’inflation, par exemple — une prétention déconstruite par la Banque du Canada — , ou régler la crise du logement en retranchant l’argent fédéral versé aux municipalités qui n’en construisent pas suffisamment, alors que ces investissements passent par les provinces, qui chapeautent les villes).
La stratégie ressemble à celle de Marine Le Pen, de Donald Trump ou de Boris Johnson. Et elle semble pour l’instant porter ses fruits, M. Poilievre attirant des centaines, voire des milliers de curieux à ses rassemblements et étant vu comme le meneur de la course.
Climat propice
« Il était inévitable que le conservatisme canadien soit à son tour imprégné d’un courant populiste. Ce virage s’est produit dans tant de pays, pourquoi le Canada en aurait-il été exempt ? » observe Cristine de Clercy, professeure associée de sciences politiques à l’Université de Waterloo.
Cette percée du populisme ici n’est d’ailleurs pas l’œuvre de Pierre Poilievre. Maxime Bernier y a adhéré avant lui, en créant son Parti populaire du Canada (PPC) pour s’opposer aux partis traditionnels. Doug Ford a été élu premier ministre de l’Ontario en se présentant comme « l’homme du peuple » qui réduirait le rôle de l’État.
« Certains éléments mènent à penser qu’on assiste à un virage populiste de Pierre Poilievre », consent Katryne Villeneuve-Siconnelly, doctorante en science politique à l’Université Laval, dont les recherches portent sur le populisme. Reste à voir si l’aspirant chef maintiendra le même discours d’ici le vote du 10 septembre, puis pour briguer une élection générale s’il l’emporte. Et si la population canadienne souscrira à ce virage lors d’élections, alors que l’appui populaire demeure pour l’instant marginal.
« Il y a clairement quelque chose qui se passe. Mais il faudra plusieurs cycles électoraux avant de voir si ce phénomène s’installe réellement ou si c’était un feu de paille causé par le contexte pandémique, qui a fourni la voie de canalisation d’une frustration citoyenne », explique Mme Villeneuve-Siconnelly.
La firme Proof Strategies, qui mesure chaque année l’indice de confiance des Canadiens, rapportait en janvier un important recul pendant la pandémie de cette confiance envers les gouvernements et les médias (de 33 % en 2020 à 22 % en 2022, dans le premier cas, et de 44 % à 35 %, dans le second).
Au même moment, le PPC de Maxime Bernier est passé de 1,6 % des votes récoltés au scrutin de 2019 à 4,9 % en 2021. Le nouveau Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime récolterait quant à lui 14 % des intentions de vote au provincial, selon les projections du site 338Canada.
Double tranchant
Les résultats de l’élection présidentielle française démontrent cependant que, bien que le score de Marine Le Pen ait atteint un sommet à 41,5 %, c’est néanmoins le président Emmanuel Macron, au centre, qui a été réélu. La tentative de Mme Le Pen d’adoucir son discours populiste, pour l’emporter au deuxième tour, n’a pas suffi.
La professeure de Clercy y voit tout le défi qui attend Pierre Poilievre et le Parti conservateur, qui se trouve selon elle à la croisée des chemins en décidant, lors de cette course, s’il endosse le virage proposé par le candidat.
« Le populisme est autant une menace pour le conservatisme moderne canadien qu’une occcasion. » Le parti pourrait élargir sa base électorale, mais aussi perdre des appuis ce faisant. M. Poilievre risque donc de devoir se recentrer, s’il gagne la chefferie. Mais son prédécesseur Erin O’Toole s’est fait montrer la porte précisément parce qu’il revenait sur ses positions, rappelle Mme de Clercy.
Les libéraux ne sont pas en reste. La montée des mouvements populistes dans le monde démontre que les marginaliser ne fait que conforter ceux qui y adhèrent. Des citoyens qui peuvent être bruyants et causer des maux de tête au gouvernement, comme l’ont fait les convois de camionneurs. Le Parti libéral devrait donc tenter de répondre aux doléances des mécontents moins radicaux, sans pour autant renier ses idéologies, en reculant par exemple en partie comme il l’a fait sur le port du masque, mais pas sur la vaccination obligatoire, suggère la professeure.
Le « populisme canadien » a beau être moins radical que celui observé aux États-Unis ou en Europe, ce serait faire erreur, pour Justin Trudeau, de croire que le Canada en est entièrement protégé. Mais aussi pour Pierre Poilievre et les conservateurs d’estimer qu’il leur offre une solution toute simple qui leur garantirait un succès électoral.