Le défi du PLC: survivre à gauche sans aliéner le centre droit

Chaque mercredi, notre correspondante parlementaire à Ottawa Marie Vastel analyse un enjeu de la politique fédérale pour vous aider à mieux le comprendre.
L’entente surprise entre le gouvernement Trudeau et les néodémocrates pouvait difficilement être mal accueillie par les élus libéraux. Les voilà presque assurés de conserver leur emploi encore trois ans et de pouvoir ensuite vanter leur bilan à leurs commettants. Mais l’accord est aussi venu raviver les préoccupations de certains — à gauche et, surtout, à droite de la grande tente libérale —, qui s’inquiètent du prix politique qu’ils pourraient payer s’ils s’accointent trop avec le Nouveau Parti démocratique (NPD). Des inquiétudes que le budget fédéral de la semaine prochaine devra maintenant rapidement apaiser.
Le débat est éternel au sein du Parti libéral du Canada (PLC) : comment peut-on courtiser le vote progressiste orange du NPD sans perdre celui de libéraux bleus plus au centre droit aux mains du Parti conservateur ? Il s’est poursuivi sous un gouvernement de Justin Trudeau résolument progressiste.
« Plusieurs voient dans cette alliance avec le NPD la consécration de la rupture de cette alliance plus traditionnelle entre le Parti libéral et le milieu des affaires », observe maintenant un libéral du versant centre droit du parti.
La question budgétaire
Aucun des libéraux consultés cette semaine n’en avait contre l’accord, qui prévoit que le NPD appuie le gouvernement libéral pour ses budgets et lors de votes de confiance en échange de politiques progressistes en matière de santé, d’environnement et de réconciliation. L’entente, si elle tient le coup, assurera au gouvernement trois ans de stabilité, soit le temps de mettre en œuvre ses promesses électorales et de permettre aux électeurs d’en sentir les bénéfices avec une assurance dentaire offerte aux plus pauvres ou des garderies moins chères au Canada anglais.
Mais tous ces libéraux, ou presque, ont aussi insisté sur le fait que leur gouvernement devait faire preuve de rigueur financière — notamment dans le prochain budget de la ministre Chrystia Freeland, qui sera présenté le 7 avril.
« Il incombe à la ministre de démontrer que nous avons un plan pour équilibrer les recettes et les dépenses dans un relativement bref laps de temps », affirme le député ontarien John McKay. Le retour à l’équilibre budgétaire ne se fera pas dans les deux prochaines années, consent-il, « mais j’estime qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que le déficit rétrécisse ».
Un discours de plus en plus fréquent dans les rangs libéraux. D’autant plus que les conservateurs répètent déjà depuis une semaine que le « gouvernement libéral-NPD » ne veut que « dépenser sans compter ».
Même le député Nathaniel Erskine-Smith, parmi les plus progressistes du caucus libéral, le reprend. « Tous ces progrès sociaux sont extrêmement importants pour moi, mais je suis aussi conscient qu’ils doivent être livrés de façon à être financièrement viables. » Il invite cependant ses collègues à ne pas s’inquiéter trop vite. « Ces préoccupations sont prématurées. Nous devrons analyser attentivement le budget. » Car le gouvernement devrait y bonifier ses dépenses en matière de défense, « ce qui s’adresse à ceux qu’on qualifie généralement de libéraux bleus », rappelle-t-il.
L’ex-stratège Greg MacEachern confirme également qu’un « plan vers le retour à l’équilibre budgétaire dans le budget rassurerait beaucoup de monde » au PLC.
L’impact électoral
De l’autre côté du spectre libéral, quelques élus qui ont remporté de justesse leur élection contre un rival néodémocrate ont également confié craindre que l’entente avec le parti de Jagmeet Singh ne menace leur réélection, rapporte le député McKay. Pourquoi se pincer le nez et voter libéral si les néodémocrates peuvent désormais avoir autant d’influence sur le programme d’un gouvernement minoritaire ? demandent-ils.
Un souci surtout évoqué en Ontario, où le NPD attire plus de voix, relate une autre élue.
Sur les 50 circonscriptions où la lutte a été la plus serrée l’automne dernier, 28 ont été remportées par un candidat libéral. Dans 11 d’entre elles, le plus proche rival était néodémocrate, et dans les 17 autres, c’est le conservateur qui est arrivé deuxième, selon les données d’Élections Canada. La moitié de ces luttes serrées étaient en Ontario.
Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, n’est pas convaincu que sa formation pourra tirer profit de l’entente au détriment des libéraux dans ces circonscriptions. Le plus petit parti sort souvent perdant de ce genre de pacte, et c’est le gouvernement qui finit généralement par être récompensé par les électeurs, même si la politique mise en œuvre venait du partenaire de l’opposition.
Les sondeurs s’entendent pour dire qu’il est beaucoup trop tôt pour prédire l’incidence électorale potentielle de l’accord. « Cette entente pourrait peut-être prévenir le vote stratégique à l’avenir », indique toutefois David Coletto, d’Abacus Data. Les grandes promesses du NPD qui étaient qualifiées d’irréalistes par ses rivaux sont désormais reprises par le gouvernement. « Il y a un risque à offrir une crédibilité à ces idées néodémocrates. »
M. Coletto et la présidente de l’Institut Angus Reid, Shachi Kurl, soulignent cependant que les élections sont encore loin, qu’on ignore qui dirigera le Parti conservateur, voire le Parti libéral (bien que M. Trudeau assure vouloir rester en selle), et que le spectre d’une victoire conservatrice influence toujours le vote stratégique des électeurs néodémocrates.
Or, même chez les libéraux qui pourraient se faire chauffer par le NPD, on veut que le gouvernement se distingue de ce rival en faisant preuve de rigueur budgétaire. « Je suis très à gauche en matière de politique sociale, mais je suis aussi très claire sur notre devoir d’assurer une croissance économique. Notre politique fiscale doit être disciplinée », affirme Julie Dzerowicz, qui a remporté la lutte la plus serrée du PLC contre le NPD au pays, avec 76 voix d’avance, dans la circonscription torontoise de Davenport.
L’entente PLC-NPD reçoit pour l’instant beaucoup d’appuis, tant chez les électeurs libéraux que néodémocrates — 85 % et 75 %, respectivement, selon Angus Reid. Les députés de Justin Trudeau risquent donc d’en rester satisfaits, tant que leurs électeurs le seront aussi.
Mais au centre gauche comme au centre droit du PLC, on prévient les instances qu’à plus long terme, en prévision d’une perspective électorale qui finira par les rattraper, il ne faudra pas que le parti devienne indiscernable du NPD.