La ministre Petitpas souhaite une Loi sur les langues officielles plus mordante

Le commissaire aux langues officielles pourrait imposer des «sanctions administratives pécuniaires» à Air Canada et aux grands aéroports, entre autres, lorsque les droits linguistiques de leurs clients seront violés. 
Photo: Justin Tang La Presse canadienne Le commissaire aux langues officielles pourrait imposer des «sanctions administratives pécuniaires» à Air Canada et aux grands aéroports, entre autres, lorsque les droits linguistiques de leurs clients seront violés. 

Le gouvernement Trudeau propose de donner de nouveaux pouvoirs au commissaire aux langues officielles, y compris celui d’imposer des « sanctions administratives pécuniaires » à Air Canada, à Via Rail, à Marine Atlantique, ainsi qu’aux grands aéroports lorsque les droits linguistiques de leurs clients seront violés.

Ces sociétés d’État déjà assujetties à la Loi sur les langues officielles — qui « exercent leurs activités dans le domaine des transports » et « offrent des services aux voyageurs et communiquent avec eux » — pourront se voir infliger une sanction d’un montant maximal de 25 000 dollars, peut-on lire dans le projet de loi visant à donner « plus de mordant » à la Loi sur les langues officielles dévoilé mardi.

Ginette Petitpas Taylor a présenté le projet de loi C-13 non pas au parlement d’Ottawa, mais à Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse, d’où plus de 2000 Acadiens ont été déportés sous la menace des baïonnettes des soldats britanniques en 1755. « C’est un endroit qui nous rappelle la fragilité de nos communautés, les défis auxquels on a fait face et les batailles qu’on a livrées afin de protéger notre langue et notre culture », a-t-elle déclaré.

La ministre des Langues officielles dit s’être affairée au fil des 125 jours à faire « des ajouts » au projet de loi C-32, déposé par sa prédécesseure Mélanie Joly en juin dernier pour ensuite mourir au feuilleton deux mois plus tard. « On veut aller encore plus loin », a-t-elle martelé au pied d’une sculpture de bronze représentant Évangéline.

Pour preuve, le projet de loi C-13 permettra d’« élargir les pouvoirs du Conseil du trésor », qui va « surveiller et vérifier l’observation par les institutions fédérales des principes, instructions et règlements en matière de langues officielles » entre autres choses, en plus de « renforcer les pouvoirs du commissaire aux langues officielles ». « Les sanctions pécuniaires administratives, c’est un outil qui a été ajouté dans le coffre d’outils [du commissaire]. Il y a beaucoup d’autres outils qui ont été ajoutés, comme le pouvoir de médiation, le pouvoir d’ordonnance… », a illustré Mme Petitpas Taylor, à 1500 kilomètres de la capitale fédérale.

« L’imposition d’une sanction vise non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la [Loi] », ont pour leur part souligné de hauts fonctionnaires dans une séance d’information technique sur le document de près de 75 pages.

Le gouvernement Trudeau s’est gardé d’imposer la maîtrise du français et de l’anglais comme condition d’embauche des patrons des compagnies soumises à la Loi sur les langues officielles de la trempe d’Air Canada ou de Via Rail. Après s’être dite encore « déçue et fâchée » des propos tenus l’automne dernier par le président et chef de la direction d’Air Canada, Michael Rousseau, qui refusait d’apprendre la langue française, Mme Petitpas Taylor a indiqué vouloir répondre à la principale « préoccupation » des Canadiens, c’est-à-dire d’« avoir un service en français ».

Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, s’est dit « très heureux » du pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires que lui réserve le gouvernement.« Ce nouveau mécanisme permettra certainement de veiller à ce que les entités qui servent les voyageurs respectent leurs obligations linguistiques en matière de communication et de services », a-t-il indiqué dans une déclaration écrite.

Protection accrue du français

 

Par ailleurs, le projet de loi C-13 conférera aux travailleurs des entreprises privées de compétence fédérale du Québec, mais aussi « des régions à forte présence francophone » — qui ne sont pas encore identifiées par Ottawa —, « le droit d’effectuer leur travail et d’être supervisés en français », « le droit de recevoir toute communication et toute documentation […] en français » ainsi que « le droit d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques d’usage courant et généralisé en français ».

Les entreprises privées de compétence fédérale ne peuvent « traiter défavorablement un employé [au Québec ou dans une région à forte présence francophone] au seul motif qu’il n’a pas une connaissance suffisante d’une langue autre que le français » sauf si elles sont « capable[s] de démontrer que la connaissance de cette langue s’impose objectivement en raison de la nature du travail à accomplir par l’employé ».

Cela dit, le gouvernement fédéral compte offrir le libre choix aux entreprises privées de compétence fédérale présentes au Québec de mener « leurs communications avec les consommateurs » dans le respect du projet de loi C-13 — qui réitère que « les consommateurs au Québec ont le droit de communiquer en français avec une entreprise privée de compétence fédérale qui y exerce ses activités et de recevoir de celle-ci des services dans cette langue » — ou encore de la Charte de la langue française du Québec.

La Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) demande que tous les travailleurs, au Québec, aient « les mêmes droits ». « Et l’application de leurs droits doit relever d’un seul maître d’œuvre, soit l’Office québécois de la langue française (OQLF) », affirme le secrétaire général de la FTQ, Denis Bolduc. « Laisser aux entreprises du Québec le choix du règlement — fédéral ou québécois — tel que proposé dans le projet de loi ne risque que de créer un cafouillage administratif et embourber les tribunaux », a-t-il prévenu.

« Les demandes du Québec ont été rejetées du revers de la main », a résumé le député bloquiste Mario Beaulieu.

Le Quebec Community Groups Network (QCGN) s’est dit « consterné » devant la création de nouveaux droits linguistiques protégeant le français au sein des entreprises de compétence fédérale au Québec, « où l’utilisation du français n’est pas menacée ». En revanche, l’OBNL constate avec satisfaction l’inclusion du financement du Programme de contestation judiciaire dans le projet de loi, y voyant « une ressource essentielle pour les Canadiens qui exercent et font progresser leurs droits à l’égalité ainsi que leurs droits linguistiques ».

Les projets de loi C-13 à Ottawa et 96 à Québec « ne doivent pas alourdir le fardeau administratif des entreprises en multipliant les contrôles et les démarches à effectuer auprès des différents ordres de gouvernement », a pour sa part souligné la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Plus d’immigration francophone, plus de justice en français

La politique d’immigration du Canada « contiendra des objectifs, des cibles et des indicateurs dans le but d’augmenter l’immigration francophone hors Québec », a aussi promis Mme Petitpas Taylor, qui représente la circonscription de Moncton–Riverview–Dieppe à la Chambre des communes.

Le projet de loi C-13 prévoit aussi que « les décisions définitives des tribunaux fédéraux ayant valeur de précédent » soient simultanément diffusées en français et en anglais. Il stipule également qu’à l’instar des autres tribunaux fédéraux, la Cour suprême du Canada devra « veiller à ce que celui qui entend l’affaire […] comprenne le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en français ».

Ginette Petitpas Taylor qualifie de « préoccupante » la situation du français au pays. « Avec 8 millions de francophones au Canada, dans un océan de plus de 360 millions d’anglophones en Amérique du Nord, la protection du français mérite une attention particulière et une attention immédiate », a-t-elle soutenu à Grand-Pré mardi.

La première Acadienne à assumer les responsabilités de ministre des Langues officielles est persuadée que le projet de loi C-13 « répond aux besoins de la langue française en Amérique du Nord » de même qu’aux « défis » des anglophones au Québec sans nuire « à la réappropriation, à la revitalisation et au renforcement des langues autochtones ».

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) s’est désolée que le projet de loi n’introduise pas une obligation d’inclure des clauses linguistiques exécutoires dans les ententes fédérales-provinciales-territoriales. « On a vu, avec la signature des ententes sur le Programme national de garderies, combien rien n’est assuré quand il n’y a pas de clauses qui exigent explicitement des services équitables en français », a déclaré la présidente de la FCFA, Liane Roy, après avoir salué les « gains substantiels » pour la protection et la promotion du français au pays dans le projet de loi C-13. « Il faut féliciter la ministre Petitpas Taylor. Cela dit, certains éléments ne sont pas au point, et il faut y travailler avant de se dire “mission accomplie” », a-t-elle ajouté.

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