La Russie commet des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, selon le Canada

Le gouvernement canadien s’adresse à la Cour pénale internationale pour que soient traduits en justice les auteurs de « crimes contre l’humanité » qui auraient été commis par les militaires russes durant leur invasion de l’Ukraine. Une procédure valide, selon des experts, qui doutent toutefois que le monde voie Vladimir Poutine dans le box des accusés de sitôt.

« Aujourd’hui [mardi], le Canada va faire une requête à la Cour pénale internationale contre la Russie pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre », a déclaré la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly.

La ministre prenait la parole tôt mardi matin, heure de Montréal, alors qu’elle se trouvait à Genève, en Suisse, pour une réunion du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (ONU). Comme environ 140 diplomates et représentants d’États membres, Mélanie Joly a quitté la salle du Conseil au moment où prenait la parole le ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov.

« C’est important pour le Canada de montrer au monde que nous sommes, comme tous nos collègues, ici, aux Nations unies, contre toute invasion supplémentaire de l’Ukraine », a-t-elle déclaré à sa sortie.

Le Canada répond ainsi à une demande du procureur de la Cour pénale internationale, qui sollicitait l’appui d’un pays membre pour accélérer le processus de lancement d’une enquête sur de potentiels « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » commis par les militaires russes. La Lituanie s’était pareillement portée volontaire pour déférer la situation ukrainienne à ce tribunal international, dont la Russie n’est pas partie.

Chances de succès

 

Deux experts du droit pénal international ont confirmé au Devoir qu’un tel tribunal pourrait lancer des mandats d’arrêt contre des responsables russes, mais aurait du mal à les traîner sur le banc des accusés, faute de l’accord de la Russie. « Tant qu’un État partie n’a pas la volonté de coopérer [comme la Russie], il n’y a pas grand-chose qu’on peut faire », indique Bruce Broomhall, professeur au Département des sciences juridiques de l’UQAM.

« La Cour est déjà compétente pour enquêter sur ce qui se passe sur le territoire ukrainien depuis [l’annexion de] la Crimée, en 2014, précise le spécialiste du droit pénal international. Si jamais il y a des réfugiés qui sont témoins de crimes de guerre maintenant et qui se retrouvent dans des pays [européens], la Cour pourrait demander à ces États-là de l’aider pour amasser des preuves. »

« Il sera vraisemblablement très difficile d’obtenir l’arrestation de personnes recherchées, soutient Frédéric Mégret, de la Faculté de droit de l’Université McGill. À moins que ces personnes voyagent à l’étranger sur le territoire d’un État qui est, lui, partie au Statut de Rome. »

De plus, préviennent les experts, la Cour pénale internationale ne peut condamner la Russie pour son agression de l’Ukraine en tant que telle ni pour des accidents ou des dommages collatéraux dus à l’attaque de cibles militaires. Seules d’éventuelles atrocités commises par les troupes pourraient être jugées, comme l’usage de tactiques militaires visant à terroriser des civils.

« C’est une chose que de dire que les Russes commettent des crimes de guerre, [ou] de juger des soldats, des officiers, des généraux, peut-être. Mais c’est une autre chose que de montrer que le président Poutine serait directement et personnellement responsable. C’est assez compliqué à prouver », souligne le professeur Frédéric Mégret.

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a qualifié mardi « de crime de guerre » et d’acte de « terreur » le bombardement d’une place publique de Kharkiv par la Russie. Il a demandé à tous les pays de tenir responsables auprès de tribunaux internationaux « les terroristes » qui ont ordonné ce raid.

Encore d’autres sanctions

Le gouvernement canadien a annoncé de plus amples aides destinées à l’Ukraine et d’autres sanctions contre la Russie, mardi, tout en ajoutant qu’encore plus de sanctions économiques sont à prévoir dans les prochains jours.

« Les nouvelles mesures vont continuer à cibler les institutions et les individus qui aident le président Poutine et qui lui permettent d’agir comme il le fait […]. Le président Poutine est maintenant devenu un paria international […]. La Russie, maintenant, a décidé de se mettre en dehors du monde civilisé », a déclaré mardi la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland.

Celle qui est aussi vice-première ministre a présenté la situation comme une escalade de sanctions qui ne s’arrêtera que lorsque les Russes cesseront la guerre. Son gouvernement a annoncé mardi qu’il interdirait l’entrée de navires russes dans les eaux intérieures et dans les ports du pays.

Cette escalade pourrait-elle ultimement conduire le Canada à la guerre ? La ministre Freeland n’a pas donné de réponse catégorique.

« La guerre qui se déroule en Ukraine, c’est une guerre contre les valeurs et les principes démocratiques, mais c’est aussi une guerre qui aura des conséquences pratiques pour le Canada, remarque-t-elle. Si la Russie réussit [son occupation de l’Ukraine], nous aurons un monde très différent [que celui qu’on a connu]. Et ce sera un monde dangereux pour le Canada. »

Chrystia Freeland dit ne pas savoir si le président Poutine, qu’elle a déjà rencontré plusieurs fois dans sa carrière, agit toujours de manière rationnelle. Elle assure toutefois avoir prévenu les leaders économiques russes des représailles auxquelles ils s’exposent en cas de guerre. La ministre de la Défense, Anita Anand, écarte l’idée de maintenir une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine ou d’y déployer des troupes.

Après avoir envoyé des cargaisons de matériel militaire et certaines armes à l’Ukraine, le Canada a annoncé mardi l’envoi de quelque 1600 gilets de protection et 400 000 paquets repas pour l’armée. Le pays versera aussi 100 millions de dollars supplémentaires afin de fournir de l’aide humanitaire en Ukraine et dans les pays voisins, notamment sous forme de nourriture et de soins médicaux aux réfugiés.



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