Justin Trudeau met fin aux mesures d’urgence

Le gouvernement Trudeau convient que la menace d’un nouveau blocage d’Ottawa, ou de postes frontaliers, ne nécessite plus de pouvoirs exceptionnels. Après avoir été appliquée pendant neuf jours, la Loi sur les mesures d’urgence a été révoquée, mercredi, avant même que le Sénat n’ait le temps de terminer ses débats sur son utilisation.
« Après avoir soigneusement examiné la situation, on constate qu’on n’est plus en situation d’urgence. C’est pourquoi le gouvernement fédéral met fin à la Loi sur les mesures d’urgence », a annoncé Justin Trudeau, lors d’un point de presse convoqué mercredi après-midi.
« Même si l’urgence n’est plus là, la menace de barrages demeure, met en garde le premier ministre. [Mais] on juge maintenant que les lois en place sont suffisantes pour assurer la sécurité de la population. »
Cela rend du coup caducs les débats en cours au Sénat sur le sujet, dernière institution qui avait le pouvoir de bloquer le recours controversé à cette loi, une première depuis son adoption en 1988. Les discours de sénateurs de différentes allégeances, entendus depuis mardi matin, semblaient indiquer que la Chambre haute allait facilement approuver les mesures lors d’un vote prévu d’ici à la fin de la semaine, finalement annulé.
Les élus de la Chambre des communes ont pour leur part donné leur appui aux mesures d’urgence lors d’un vote crucial lundi soir. Grâce à l’appui « avec réticences » du NPD, la motion du gouvernement Trudeau a été adoptée à 185 contre 151.
La ministre des Finances et vice-première ministre, Chrystia Freeland, a précisé que les comptes bancaires encore gelés de certains manifestants en vertu des pouvoirs spéciaux conférés aux autorités sont en train d’être dégelés, puisque cette mesure visait seulement à les convaincre de lever le camp du centre-ville d’Ottawa. Des comptes pourraient rester inaccessibles en vertu d’autres lois. Les personnes arrêtées durant la vaste opération policière de la fin de semaine dernière devront toujours faire face à la justice.
Un comité parlementaire doit être créé dès la semaine prochaine pour examiner les justifications de l’invocation de cette loi, mais aussi les décisions de la police, le financement du convoi et la désinformation qui l’a motivé.
Urgence nationale remise en question
Les manifestants qui occupaient la capitale fédérale ont été entièrement délogés ce week-end. À ce moment, les blocages de points de passage frontaliers avaient déjà pris fin. Des élus des deux côtés de la Chambre ont évoqué cette raison pour s’opposer au maintien des mesures d’urgence pour la suite.
À (re)voir : la conférence de presse de Justin Trudeau
« Pour invoquer cette loi […], il faut que le risque de violence grave constitue une crise nationale. Et cet aspect-là, pour moi, est loin d’être clair », avait par exemple dit lundi le député libéral de Louis-Hébert, Joël Lightbound, avant de finalement voter avec son parti.
L’argument a été repris par des sénateurs lors de leurs propres débats, mercredi.
« Même si la déclaration de l’urgence était légitime, et que les mesures satisfaisaient les critères [pour être invoquées], l’urgence n’existe plus », a déclaré d’entrée de jeu le sénateur conservateur Don Plett.
Son collègue du Groupe des sénateurs canadiens, le Québécois Jean-Guy Dagenais, a pour sa part indiqué que « [des] propos inappropriés sur une pancarte ou encore sur les réseaux sociaux ne peuvent être […] la base d’une invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, sans quoi on vivrait en continuel état de mesures d’urgence ».
Or, des représentants des deux autres groupes de sénateurs, qui ensemble forment une nette majorité, ainsi que des sénateurs non affiliés, ont indiqué leur appui aux mesures d’exception qui étaient invoquées jusqu’à mercredi par le gouvernement Trudeau.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, s’est réjoui mercredi de l’abandon des mesures d’urgence par le gouvernement, mais a qualifié l’affaire « d’un rare cynisme », puisque la loi est révoquée moins de deux jours après le vote aux Communes « mettant en jeu la chute du gouvernement ». Les conservateurs ont pareillement fait valoir qu’ils avaient raison de s’opposer à cette loi. « L’annonce d’aujourd’hui est la preuve que le premier ministre avait tort », a écrit la cheffe de l’opposition par intérim, Candice Bergen.
Toujours en banlieue d’Ottawa
En début de semaine, le premier ministre, Justin Trudeau, ainsi que le chef du NPD, Jagmeet Singh, indiquaient tous les deux croire que l’urgence existait encore puisque des camionneurs et manifestants délogés d’Ottawa se trouvaient toujours dans les parages, prêts à revenir.
« On sent encore que ces jours-ci, dans le moment présent, la situation est encore fragile, la situation d’urgence est encore présente », avait déclaré lundi M. Trudeau. Il a précisé que des camions se trouvaient toujours dans des villes de l’Est ontarien, et qu’un autre convoi en provenance de l’Alberta aurait été stoppé par la police.
« La Loi sur les mesures d’urgence est un outil qui continue d’être utilisé […] de manière très effective pour prévenir de futurs blocages », avait ajouté son ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, avant le vote aux Communes.
La police d’Ottawa a confirmé que les mesures d’urgence lui ont permis notamment de réquisitionner des remorqueuses pour déloger des camions. Elles ont aussi permis aux autorités de geler au moins 206 comptes bancaires, a précisé une responsable du ministère des Finances mardi.