Une lente mais implacable opération policière déloge le Convoi de la liberté

Les policiers sont passés à l’offensive vendredi, réussissant à déloger plus d’une vingtaine de camions qui obstruaient le centre-ville d’Ottawa depuis trois semaines, dans une opération qui se poursuivra jour et nuit, possiblement sur plusieurs jours.

Des agents de la Sûreté du Québec (SQ) étaient en première ligne, en mi-journée, devant le Sénat canadien. Leur présence a suscité l’indignation parmi les nombreux manifestants sur place. « Vous n’avez même pas le droit d’être ici ! » a lancé en français une femme vêtue d’un drapeau au slogan injurieux envers le premier ministre. Autour d’elle, des protestataires québécois se sont mis à entonner la version française de l’hymne national canadien.

La SQ fait partie des sept corps policiers envoyés dans la capitale fédérale, paralysée depuis maintenant 22 jours, pour une opération rendue possible par les déclarations d’état d’urgence du gouvernement canadien, mais aussi du gouvernement ontarien et de la municipalité d’Ottawa. La démarche « prendra du temps », de l’aveu du nouveau chef intérimaire de la police d’Ottawa, Steve Bell.

En début de soirée, une centaine de manifestants avaient été arrêtés, et 21 véhicules avaient été remorqués, selon la police. Plusieurs autres chauffeurs de camion ou de camionnette avaient décidé de quitter les lieux de leur propre chef, alors que progressait lentement mais sûrement le contingent d’une centaine de policiers portant différents uniformes.

Photo: Adrian Wyld La Presse canadienne Un manifestant étendu au sol tente d'empêcher l'avancement des policiers.

Dans le bourdonnement des drones policiers, des agents à cheval ont avancé vers une foule par moments hostile afin de la faire reculer. Un manifestant a saisi l’occasion pour jeter son vélo sur les sabots d’un animal de service, et a rapidement été arrêté pour l’avoir blessé, selon un compte rendu des autorités.

La présence policière était accrue depuis deux jours dans les rues d’Ottawa. Plusieurs agents étaient vêtus d’équipement antiémeute ou munis de lances lacrymogènes. Quelques-uns étaient lourdement armés. Le parlement a même fermé ses portes vendredi, une première depuis la fusillade d’octobre 2014.

Une lente opération

 

« Nous maîtrisons la situation sur le terrain et nous continuons d’avancer pour dégager nos rues », a rapporté Steve Bell, qui dirige les opérations. « Ce plan méthodique et bien coordonné prendra du temps, et nous allons le mener à terme », a-t-il assuré en promettant que ses agents travailleront « 24 heures sur 24 ».

Les manifestants, installés au centre-ville depuis maintenant trois semaines, n’ont montré aucun signe de volonté de quitter les lieux, malgré les nombreux avertissements qu’ils ont reçus. Ils se sont massés par dizaines pour bloquer la route aux policiers, vendredi, alors que ceux-ci essayaient de dégager la rue menant au parlement. Policiers et manifestants sont ainsi demeurés face à face pendant des heures, la police progressant très tranquillement.

Photo: Robert Bumsted The Associated Press

Au fur et à mesure de leur avancée, les policiers arrêtaient des manifestants hostiles, un à un. Voyant l’étau se resserrer, et dans l’espoir de ralentir l’offensive policière, des agitateurs se tenant un peu plus à l’ouest se sont mis à ériger des murets de neige autour des camions du convoi. Au moment où ces lignes étaient écrites, seule une petite partie du territoire occupé avait été libéré, soit celle située à l’est du Monument commémoratif de guerre du Canada, qui comprend les rues Sussex et Rideau.

Les manifestants résistent

 

Sur la plupart des autres rues de la capitale occupées par des poids lourds, l’ambiance était calme, voire festive. Le château gonflable, érigé depuis quelques jours devant l’édifice de l’Est du parlement, était toujours bien en vue. En après-midi, il avait été dégonflé, tout comme le spa gonflable qui avait été installé.

Quelques camionneurs ont également été convaincus de quitter les lieux, vu la lente, mais implacable avancée des agents en leur direction. Des policiers prenaient bien soin de vérifier l’identité et le numéro de plaque d’immatriculation des contestataires qui s’éloignaient.

Parmi les manifestants, certains n’arrivaient toujours pas à croire que les policiers les épingleraient. « Moi, en prison ? Je lis la Bible depuis l’âge de 16 ans », a déclaré l’un d’eux.

« J’ai été arrêté plusieurs fois. Ne donnez que votre nom. Dans trois jours, vous allez être libéré, et on se retrouvera ici », a lancé un protestataire monté sur une palissade devant l’édifice des bureaux du premier ministre, face au parlement. « Amen, mon frère », a répondu un autre.

Photo: Justin Tang La Presse canadienne

La police d’Ottawa a rapporté que des manifestants avaient placé des enfants entre eux-mêmes et les agents de la paix. Le chef Bell s’est dit « choqué ». « Les enfants seront emmenés vers un lieu sûr », a indiqué la police sur Twitter, mais aucun d’entre eux n’avait, en après-midi, été retiré pour être confié aux services de protection de la jeunesse. Des manifestants auraient en outre agressé des agents et « tenté de leur retirer leurs armes ».

Les remorqueuses sont arrivées

 

Les premières remorqueuses lourdes ont fait leur apparition près d’un petit rassemblement de camions isolé, à l’est du centre-ville. Toutes avaient leur logo recouvert. Les opérateurs portaient une cagoule, peut-être parce que la température ressentie était de -23 °C, mais aussi pour demeurer anonymes, certains ayant reçu des menaces de la part de camionneurs qui ont participé aux manifestations des dernières semaines. La Loi sur les mesures d’urgence permet au fédéral de contraindre les remorqueurs à prêter main-forte aux policiers.

L’organisateur bien en vue du convoi de camionneurs, Patrick King, a filmé sa propre arrestation et l’a diffusée en direct sur Facebook, vendredi. Il a été accusé d’avoir conseillé à autrui de commettre l’infraction de méfait, d’avoir conseillé à autrui de commettre l’infraction d’entrave au travail d’un policier et d’avoir conseillé à autrui de ne pas respecter un ordre de la cour.

Jeudi soir, deux de ses coorganisateurs avaient aussi été appréhendés. Chris Barber ferait face aux mêmes trois chefs d’accusation. Tamara Lich a été accusée d’avoir conseillé à autrui de commettre l’infraction de méfait.

Le parlement fermé, le débat en suspens

L’opération policière visant à déloger les manifestants d’Ottawa a forcé la fermeture du parlement et surtout la suspension de l’étude de la Loi sur les mesures d’urgence. Le vote final pourrait ainsi être retardé. Appréhendant des affrontements entre policiers et manifestants, la Chambre des communes et le Sénat ont suspendu leurs travaux, avec l’accord de tous les partis, pour la journée de vendredi. Les édifices du parlement ont même été placés en confinement. Une première depuis la fusillade du 22 octobre 2014. Les députés et les sénateurs devaient cependant poursuivre l’étude de la motion gouvernementale invoquant la Loi sur les mesures d’urgence. L’appui des deux Chambres est nécessaire.

Le Sénat entamera maintenant cette étude lundi. Le vote aux Communes, qui devait se tenir lundi soir, pourrait être reporté à mardi. Les ministres de la Sécurité publique et de la Justice, Marco Mendicino et David Lametti, n’ont pas voulu préciser vendredi ce qu’il adviendrait du décret si la crise dans les rues d’Ottawa était résolue avant la tenue d’un vote. Le Nouveau Parti démocratique, le seul qui était prêt à appuyer la déclaration d’urgence aux Communes, a soudainement laissé entendre qu’il pourrait alors changer de position. Les néodémocrates pourraient retirer leur appui ou réclamer que le gouvernement modifie les pouvoirs prévus au décret, pour ne conserver que les mesures financières, par exemple.

 

Marie Vastel


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