Bravade contre les mesures d’urgence à Ottawa
Les participants du Convoi de la liberté retranchés au cœur de la capitale fédérale bravent l’ultimatum lancé par la police d’Ottawa au lendemain de l’entrée en vigueur de la Loi sur les mesures d’urgence.
« Les policiers viennent juste de nous donner une lettre pour nous dire de quitter le convoi », raconte Cody Malvin, tout en brandissant un avis du Service de police d’Ottawa sur lequel il était possible de lire les ordres de « quitter les lieux maintenant » et de « cesser immédiatement [ses] activités illégales ».
« Ce document, c’est de la vidange. Ce n’est pas un document légal, ce n’est pas signé… [Vous] gaspillez du papier, les gars, on ne s’en va nulle part ! » pestait-il tout en se réchauffant à bord de sa voiture, immobilisée parmi les poids lourds sur la rue Kent, dans le centre-ville d’Ottawa.
Comme de nombreux participants au Convoi de la liberté croisés par Le Devoir quelques heures après l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, Cody Malvin disait être prêt à risquer la prison plutôt qu’à lever les pattes.
« Oui, s’il faut que j’aille en prison, s’ils m’enlèvent tout. Je ne peux pas penser que mes enfants vont vivre dans le monde qu’ils sont en train de nous tricoter », ajoute Guillaume, un camionneur de la région de Magog.
Le père de deux jeunes enfants ne souhaitait pas révéler son nom de famille, par crainte de représailles des contre-manifestants, qui sont de plus en plus agressifs, selon lui. Son véhicule a fait l’objet de vandalisme : ses pneus crevés et son pare-brise barbouillé d’œufs, fait-il remarquer. « La cause est au-delà de moi. C’est une question de : “on veut-tu vivre dans un pays libre ou dans un pays semi-communiste ?” » insiste-t-il.
Mardi soir, la Loi fédérale sur les mesures d’urgence est officiellement entrée en vigueur pour la toute première fois depuis son adoption en 1988. Elle confère le droit à la police d’interdire toute assemblée publique près de « lieux protégés », comme celle de la colline Parlementaire, d’un monument de guerre ou des environs d’immeubles gouvernementaux, et de « saisir les véhicules » s’y trouvant. Il est interdit de se rendre à de tels rassemblements, ou d’y emmener des enfants ou des adolescents.
Les corps policiers municipaux, provinciaux et fédéraux n’avaient toujours pas utilisé leurs nouveaux pouvoirs pour déloger les camions, mercredi. Ils ont toutefois dressé « un plan clair et pratique pour une conclusion sûre et pacifique des manifestations illégales en cours au centre-ville d’Ottawa », ont-ils conjointement assuré à la presse en fin de journée. « Dans les heures et les jours à venir, le public entendra parler d’opérations policières et en sera témoin. »
Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, disait pendant la journée s’en remettre aux forces policières — et à leurs « nouveaux outils » — pour en finir avec l’occupation du centre-ville d’Ottawa, qui en est à sa troisième semaine. Il « espère » que les protestataires auront plié bagage d’ici la fin de la semaine. Si rien n’est fait, il appréhende de voir les habitants d’Ottawa excédés « prendre les choses en main » et tenter de couper court au tintamarre.
Critiques au Parlement
À l’intérieur du parlement, mercredi, les libéraux et néodémocrates ont défendu le recours à la Loi sur les mesures d’urgence tandis que les conservateurs et les bloquistes l’ont vertement critiqué.
Pour les conservateurs, les arguments avancés par le gouvernement libéral pour justifier l’imposition de mesures d’urgence, soit les risques de violences et de détérioration de l’économie, ne tiennent plus après la levée de tous les barrages à la frontière canado-américaine de Coutts, en Alberta, de Windsor, en Ontario, et d’Emerson, au Manitoba.
Le ministre Mendicino a indiqué que des participants au barrage de Coutts entretenaient des liens avec « des leaders d’une organisation d’extrême droite qui sont à Ottawa ». Quatre personnes ont été accusées de conspiration en vue de commettre le meurtre d’agents de police après une importante saisie d’armes effectuée à cet endroit.
Lors de la période de questions, la cheffe intérimaire du Parti conservateur, Candice Bergen, a dénoncé l’emploi de ce « marteau » dans le coffre à outils du gouvernement fédéral par un premier ministre qui cherche juste à « sauver sa carrière politique », selon elle.
Justin Trudeau a, lui, déploré les accointances entre les conservateurs et les camionneurs dressés derrière les « barricades illégales » à Ottawa. « Les membres du Parti conservateur peuvent se tenir avec des personnes brandissant des croix gammées, se tenir avec des personnes agitant le drapeau confédéré », a-t-il déclaré, suscitant des cris de protestation de l’opposition officielle.
Application volontaire au Québec
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a dit soupçonner lui aussi M. Trudeau de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence dans le cadre d’« une opération de camouflage de l’échec [de son] gouvernement » à mater la rébellion des camionneurs.
La députée bloquiste Kristina Michaud a demandé, en vain, au gouvernement de lui garantir qu’il n’appliquera pas la Loi sur les mesures d’urgence sur le territoire québécois, comme les membres de l’Assemblée nationale du Québec l’ont réclamé d’une seule voix mardi.
« [La Loi] donne aux polices de juridiction locale plus d’outils si elles en ont besoin. Si elles n’en ont pas besoin, elles n’auront pas à les utiliser », s’est contenté de dire le premier ministre, chahuté aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parlement. Le gouvernement peut compter sur l’appui du Nouveau Parti démocratique, ce qui lui assure une majorité d’élus aux Communes.