Ottawa ne sera pas pris au dépourvu face à la crise ukrainienne, assure Anand

Le brouillard de la guerre s’épaissit le long de la frontière entre la Russie et l’Ukraine. Les Forces armées canadiennes ne s’y perdront pas, assure la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, dans un entretien avec Le Devoir.
Elle dit avoir en main « des plans pour toutes les éventualités », y compris pour celle où l’« agresseur » russe sonnerait la charge contre l’Ukraine. « Mais, je ne vais pas commenter les plans de contingence. Ce ne serait pas prudent de le faire. Comme ministre, je dois m’assurer que nos forces armées peuvent travailler en sécurité », dit-elle, tout en soulignant à gros traits que les 200 militaires canadiens actuellement dispersés sur le territoire ukrainien « sont seulement là pour donner de la formation ».
Pointant les « menaces actuelles de la Russie » et le « risque de conflit armé », le gouvernement canadien a demandé lundi à ses ressortissants présents en Ukraine de « partir en utilisant les options commerciales présentement disponibles ».
Ces mêmes « menaces actuelles de la Russie » la convainquent-elles d’expédier des armes et des munitions, voire des soldats en Ukraine, même si l’État d’Europe de l’Est n’est pas membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ? « Toutes les options restent sur la table », répond Anita Anand, réitérant l’appel du Canada à la Russie de privilégier « une solution diplomatique » à la crise ukrainienne plutôt que de maintenir 130 000 soldats à proximité.
La ministre canadienne dit vouloir discuter de « toutes les options » non seulement avec le Cabinet — qui est divisé sur la perspective d’envoyer des armes légères à l’armée ukrainienne, selon The Globe and Mail —, mais aussi avec le chef d’état-major, Wayne Eyre, et le sous-ministre de la Défense nationale, Bill Matthews. Anita Anand s’y était engagée notamment auprès de son homologue ukrainien, Oleksiy Reznikov, avec qui elle a eu une « longue discussion » il y a moins de 10 jours.
À ce jour, Ottawa a prolongé la mission d’instruction et de renforcement des capacités militaires ukrainiennes (opération Unifier) jusqu’en mars 2025, en plus d’avoir dépêché en Ukraine un aéronef C‑177 Globemaster chargé de matériel militaire non létal, à savoir de gilets pare-balles, d’outils de transport de charge, de jumelles, de télémètres laser, de détecteurs de métal et de lunettes d’observation.
Selon la ministre, la « formation » constitue « en ce moment » le « meilleur moyen pour le Canada d’aider » l’Ukraine et ses alliés. « Nous avons déjà entraîné plus de 30 000 soldats ukrainiens. Ça, c’est très important pour le Canada, pour l’Ukraine et pour l’OTAN », fait valoir Anita Anand, de retour d’une mission l’ayant menée en Ukraine, mais aussi en Lettonie — pays balte membre de l’OTAN où le Canada compte 500 soldats (opération Réassurance) — ainsi qu’au siège de l’OTAN, en Belgique. Mais le gouvernement libéral fait l’objet de pression, ici même au pays, d’observateurs qui lui demandent d’en faire plus, notamment le Congrès ukrainien canadien.
Anita Anand juge avant tout essentiel de défendre « l’ordre international fondé sur des règles » contre d’éventuels assauts de la Russie. « Cela peut sembler abstrait pour les gens, mais c’est vraiment important pour nous, pour que nos enfants n’aient pas à se battre et à mourir comme [des] générations [avant la leur]. Quand j’étais étudiante à la Queen’s University, j’ai étudié la science politique et j’ai compris qu’il y a quelque chose qui s’appelle l’ordre international fondé sur les règles. Maintenant, je peux travailler pour [le] protéger », explique la femme de 55 ans.
Démonstrations de force russes
La Russie pose également des gestes de provocation ailleurs qu’en Europe de l’Est. Elle a mené des opérations aériennes et maritimes sporadiques hors de ses frontières — « proche de l’Irlande, par exemple », note Anita Anand. En 2021, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord a, lui, repéré plus d’une fois des Tupolev dans la zone d’identification de défense aérienne de l’Alaska.
La ministre de la Défense nationale dit être aux aguets « chaque jour, pour protéger le Canada » contre des intrusions d’appareils qui volent à proximité de son espace aérien. « Pour moi, la souveraineté de l’Arctique, la protection de notre continent, c’est très important, pas seulement pour le Canada, mais aussi pour la sécurité mondiale », explique-t-elle au Devoir.
Pour renforcer la sécurité continentale, le premier ministre, Justin Trudeau, lui a demandé de notamment « déployer de nouvelles solutions technologiques pour améliorer la surveillance et le contrôle des approches nordiques et maritimes » et de « moderniser les systèmes de commandement et de contrôle […] afin de dissuader et de vaincre les menaces aérospatiales pour l’Amérique du Nord ».
Par ailleurs, le Centre canadien pour la cybersécurité signalait dans son ultime bulletin, publié le mois dernier, « des activités étrangères de cybermenace, notamment menées par des auteurs parrainés par la Russie », qui ciblent les « opérateurs des réseaux d’infrastructures critiques du Canada ».
Modèle d’efficacité
Après son saut en politique et son accession au Cabinet, en 2019, Anita Anand s’est illustrée par son efficacité à mettre la main sur des millions de doses de vaccin contre la COVID-19.
Après le scrutin de l’été dernier, l’ex-professeure d’université n’a pas attendu l’appel du premier ministre pour dresser « une liste des choses à faire » au ministère de la Défense nationale. « J’ai entendu des rumeurs dans les médias selon lesquelles je pourrais être nommée à ce poste. J’aime beaucoup planifier. Je ne fais rien sans avoir un plan. Donc, j’ai immédiatement commencé à écrire une liste des choses à faire au cas où », relate-t-elle au Devoir. « Le premier point était de travailler à bâtir une armée où chacun se sent en sécurité, protégé et respecté. »
Anita Anand a pris le commandement du ministère de la Défense nationale le 26 octobre dernier, alors qu’« une crise institutionnelle » secoue les Forces armées canadiennes. « Je veux travailler aussi dur que possible pour y remédier », assure-t-elle après avoir donné préséance aux autorités civiles pour la tenue des enquêtes sur les infractions de nature sexuelle dans l’armée (4 novembre 2021) et avoir présenté des excuses officielles aux membres « affectés par l’inconduite sexuelle et la discrimination » (13 décembre 2021).
D’ailleurs, elle a rencontré lundi l’organisme It’s Not Just 700, qui « offre un soutien et défend les personnes touchées par l’inconduite sexuelle et les traumatismes sexuels dans les Forces armées canadiennes ».
Malgré les crises, la ministre promet d’avancer vite sur ce front.