Erin O’Toole chassé par ses députés

Les multiples changements de cap d’Erin O’Toole, au fil des mois, auront eu raison de sa place à la tête du Parti conservateur du Canada (PCC). Le chef a été délogé par une majorité de ses députés mercredi. Et si la colère a d’abord émergé du côté de conservateurs de droite qui habitent dans les provinces de l’Ouest, le désaveu final est venu de tous bords, tous côtés. Ses élus ne se voyaient tout simplement pas briguer le pouvoir avec un chef ayant perdu la confiance de ses troupes et de l’électorat.

Au terme d’une réunion de caucus de quatre heures, près de 62 % des députés conservateurs ont voté pour limoger Erin O’Toole — 73 élus, contre 45 qui l’ont appuyé. En soirée, le caucus a choisi d’élire sa cheffe adjointe, Candice Bergen, comme cheffe intérimaire du parti. Neuf candidats s’étaient proposés, dont trois femmes.

Le tiers des députés avaient signé une lettre, en début de semaine, pour réclamer un vote de confiance du caucus à l’endroit d’Erin O’Toole. La pression ne cessait d’augmenter sur le chef. Vingt et un anciens députés avaient aussi réclamé son départ par écrit.

Visiblement ému, M. O’Toole — qui n’a pas participé à la période des questions et qui a choisi de réagir dans une vidéo sur Facebook — a dit « accepter le résultat du vote » et prévoir « humblement quitter » son poste de chef tout en restant député de Durham, une circonscription de la banlieue de Toronto.

Le chef, en selle depuis moins d’un an et demi, s’est accroché jusqu’au bout. « Notre pays a besoin d’un Parti conservateur qui est une force intellectuelle et une force pour gouverner. L’idéologie sans le pouvoir n’est que vanité. Chercher le pouvoir sans idéologie n’est qu’arrogance », a-t-il scandé en anglais, en semblant s’en prendre à ceux qui ont mené la salve contre lui.

En matinée, le chef avait fait un dernier plaidoyer à ses troupes. Il avait promis qu’il changerait, qu’il adapterait certaines politiques, en plus de « supplier » ses députés de lui donner encore une chance, selon le compte rendu d’une source conservatrice. « C’était une marque de faiblesse, plutôt qu’un leadership fort et rassembleur », rapporte ce conservateur. Un autre parle d’une « énergie du désespoir ».

Erin O’Toole se faisait justement reprocher d’avoir trop souvent changé de position : sur la tarification du carbone, sur l’interdiction des armes d’assaut, ou encore face au convoi de camionneurs, qui a été la goutte qui a fait déborder le vase pour plusieurs.

Le sort du chef était de toute façon déjà scellé, selon ces deux sources. Un gazouillis publié la veille du vote indiquait, sous forme de mise en garde, que le Parti conservateur avait deux choix : un « conservatisme en évolution », ou la « mésentente négative et extrême » prônée par des conservateurs comme Derek Sloan — cet ex-candidat à la chefferie que M. O’Toole a exclu du caucus. La « menace d’expulsion » à peine voilée et le « ton agressif » étaient inacceptables aux yeux de nombreux élus, qui ont alors choisi de voter pour destituer leur chef.

Un désaveu même québécois

 

Le Québécois Gérard Deltell a parlé d’un « jour triste ». Pierre Paul-Hus a pour sa part affirmé que le caucus était divisé et que « malheureusement, [M. O’Toole] ne pouvait pas continuer à diriger ».

La moitié ou presque des dix députés québécois auraient abandonné le chef et voté contre lui, selon nos informations. Notamment Richard Martel, qui avait été le seul à l’appuyer à la chefferie en 2020.

Au-delà de l’amitié que certains avaient pour leur chef ou de sa vision plus progressiste-conservatrice à laquelle ils souscrivaient, la majorité a jugé qu’elle ne pouvait pas briguer un prochain mandat avec un leader aux positions changeantes en qui l’électorat n’aurait plus confiance.

D’autres, comme l’Albertain Ron Liepert, auraient préféré que le vote revienne aux membres.

La majorité des conservateurs croisés sur la colline du Parlement mercredi ont répété que leur équipe était maintenant plus soudée. M. Liepert a plutôt laissé tomber que réconcilier le camp le plus à droite et le camp progressiste serait « affreusement difficile ».

Le Québécois Joël Godin a déclaré qu’il resterait au PCC « tant et aussi longtemps que ce parti-là sera progressiste-conservateur ». Une « mise en garde à ceux qui veulent prendre les commandes de respecter ce côté », a-t-il expliqué en entrevue.

Si le parti virait trop à « l’extrême droite » ou dans le camp de « la droite sociale » — qui a lancé le mouvement ayant poussé M. O’Toole vers la sortie —, M. Godin envisagerait toutes les options : démissionner, siéger comme indépendant, se joindre à un autre parti ou lancer sa propre formation.

Pas de scission droite-centre

 

Les conservateurs nient que leur parti soit de nouveau déchiré entre ses factions découlant de l’héritage du Parti réformiste et du Parti progressiste-conservateur.

« Les gens de gauche comme de droite pouvaient accepter ses positions politiques [celles du chef démis]. Le problème était dans sa façon d’exercer son leadership et de prendre des décisions », souligne un membre du caucus conservateur.

L’ex-stratège et chef de cabinet de l’ancien chef Andrew Scheer, Marc-André Leclerc, fait la même lecture. M. O’Toole aurait pu éviter de s’aliéner son caucus s’il l’avait averti de son recentrage et l’avait invité à participer au processus, selon lui.

Qui plus est, mathématiquement, le désaveu de 73 députés dépasse la simple faction de la frange sociale des conservateurs. « Je ne crois pas que ce soit seulement des vieilles guéguerres du Parti réformiste contre l’ancienne aile progressiste-conservatrice. Ces 73 députés ne viennent pas tous de la même aile du parti », observe M. Leclerc.

Je ne crois pas que ce soit seulement des vieilles guéguerres du Parti réformiste contre l’ancienne aile progressiste-conservatrice. Ces 73 députés ne viennent pas tous de la même aile du parti.

La députée albertaine Shannon Stubbs, qui a participé à la charge contre M. O’Toole, a soutenu que le caucus et le parti étaient maintenant « unis ». « C’est une bonne journée », a lancé la députée pro-vie.

Le groupe antiavortement RightNow s’est réjoui de la destitution d’Erin O’Toole. Il a déclaré que le prochain chef devrait tenir compte des nombreux conservateurs sociaux et a promis d’agir pour faire élire quelqu’un qui appuierait sa cause.

Bien qu’il ne voie pas de menace de fractionnement du parti à court terme, Marc-André Leclerc reconnaît que la fragile et jeune coalition conservatrice aura bientôt besoin d’une victoire électorale, après trois défaites consécutives, « pour que le Jell-O reste ensemble ».

De nombreux conservateurs ont dit souhaiter une course à la chefferie rapide, vu le contexte de gouvernement minoritaire.

Pour l’instant, le député de la région d’Ottawa Pierre Poilievre semble le favori, même si certains le trouvent un peu trop « polémiste ».

Les premiers ministres ontarien et albertain, Doug Ford et Jason Kenney, ont tous deux exclu de briguer la chefferie du parti fédéral. Le député Gérard Deltell aussi. Ses collègues Michelle Rempel Garner, de l’Alberta, ou Leslyn Lewis, qui a brigué la dernière course avant d’être élue députée en Ontario, pourraient faire le saut.

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