Quelle place pour les défis LGBTQ2S+ dans la campagne électorale?

« Je suis un peu inquiète. Je sais que j’ai peu de chances de gagner mes élections, mais j’espère seulement que notre situation ne va pas empirer », affirme Anne-Gaëlle Habib. La femme, lesbienne et mère de deux enfants, estime que « le Canada est en avance » en matière de droits pour la communauté LGBTQ2S+, mais elle est consciente que ces avancées, obtenues au fil de décennies de luttes, sont fragiles. « Ça peut vite aller dans l’autre sens si on ne reste pas vigilants, dit-elle. On pourrait perdre des acquis. »
C’est la fin de la journée dans le quartier Hochelaga. Anne-Gaëlle Habib et Julie Antoine rentrent à la maison avec leurs deux filles, Alexie, trois ans, qui arrive de la garderie, et Maëlle, cinq ans, qui vient de commencer la maternelle. Les deux femmes sont militantes, politisées. Elles ont fait leur coming out. Mais la petite Maëlle, qui se cache derrière sa maman, n’est pas rendue là. « Ma propre fille a décidé de ne pas dire qu’elle avait deux mamans », dit Julie Antoine en soupirant. C’est triste, parce que moi, j’ai fait mes choix, mais ça oblige mes enfants à faire leur coming out elles aussi, à dire qu’elles sont différentes. »
Avoir des enfants, quand on est lesbienne, est encore un défi et « demande du courage », selon Julie Antoine, qui travaille comme directrice générale du Réseau des lesbiennes du Québec. Car, oui, les préjugés et la discrimination sont encore au rendez-vous, estime-t-elle.
Pourtant, la militante trouve peu d’écho aux idées qu’elle défend dans la campagne électorale. « Il y a cette fausse croyance que nous avons atteint l’égalité juridique et sociale. Mais ce n’est pas parce que nous avons acquis des droits que ceux-ci sont respectés », dit-elle.
Au bureau du Réseau des lesbiennes du Québec, rue Plessis dans le Village, ses collègues Kassandra Rivest, archiviste, et Nicole Lacelle, membre du conseil d’administration, abondent dans ce sens.
Les questions spécifiques aux membres du Réseau des lesbiennes du Québec sont « invisibilisées », note Mme Lacelle. « Le L, dans LGBT, est un peu négligé. Ça a toujours été le cas. »
Les membres du réseau sont « doublement discriminées » par leur statut de femmes et de lesbiennes, affirment les militantes qui revendiquent la reconnaissance de la « lesbophobie » au même titre que pour l’homophobie, la transphobie et la biphobie.
Ce n’est pas parce que nous avons acquis des droits que ceux-ci sont respectés
D’ailleurs, c’est la question que Julie Antoine aimerait poser aux candidats : « Savez-vous ce que veut dire le terme lesbophobie ? » Nicole Lacelle éclate de rire. « Dans le sens de la fameuse question sur le prix de la pinte de lait ! » lance-t-elle en regardant sa jeune collègue avec fierté.
Âgée de 74 ans, la militante lesbienne a mené bien des combats au fil des décennies et a profité des avancées en matière de droits. À l’époque, raconte-t-elle, elle craignait les policiers qui effectuaient des descentes dans les bars de lesbiennes. Aujourd’hui, elle trouve « merveilleux » de voir des femmes s’embrasser dans la rue, mais elle a toujours peur. « C’est un réflexe de grand-mère, avoue-t-elle. J’ai peur qu’elles se fassent attaquer dans la rue. Surtout depuis l’avènement de Trump, le niveau de haine a augmenté dans la société. Nous autres, on était plus prudentes. »
« Le strict minimum »
Il reste encore bien du chemin à parcourir en matière de droits pour les gens de la communauté, estime Ariane Marchand-Labelle, directrice générale du Conseil québécois LGBT. « Ce qui nous est offert dans les différentes plateformes des partis, c’est vraiment le strict minimum », dit-elle au bout du fil. Quand on parle d’interdire les thérapies de conversion, je n’en reviens juste pas qu’on ait encore cette discussion-là aujourd’hui. Quand on nous présente ça comme le grand “ cadeau” que les partis veulent faire à la communauté LGBT, bien honnêtement, je trouve ça très minimal. »

Le gouvernement sortant avait déposé un projet de loi pour interdire les thérapies de conversion — une pratique qui vise à modifier l’orientation sexuelle d’une personne pour la rendre hétérosexuelle ou à changer l’identité de genre d’une personne pour qu’elle corresponde au sexe qui lui a été attribué à la naissance —, mais celui-ci est mort au feuilleton avec le déclenchement de la campagne électorale. « L’ensemble des grands partis en position d’être au pouvoir disent qu’ils vont interdire les thérapies de conversion, constate Ariane Marchand-Labelle. Mais le diable se cache dans les détails ! »
Elle reproche notamment aux conservateurs de vouloir faire appliquer l’interdiction uniquement aux questions d’orientation sexuelle et non aux questions d’identité ou d’expression de genre. « Selon les conservateurs, empêcher quelqu’un d’être lesbienne, ce n’est pas acceptable, mais empêcher quelqu’un d’être trans, ça, ce l’est. »
Dans un débat organisé par des groupes militants avec des représentants de tous les partis politiques sur Zoom plus tôt cette semaine, la candidate conservatrice de la circonscription de Victoria, en Colombie-Britannique, Hannah Hodson, qui se définit comme une femme trans et queer, a soutenu d’entrée de jeu qu’elle « serait fière, comme députée, de voter pour bannir les thérapies de conversion », indiquant qu’il s’agissait d’une « pratique dégoûtante qui n’a pas sa place au Canada ».
Elle n’a pas précisé si un projet de loi conservateur inclurait l’identité ou l’expression de genre, mais elle a attaqué le gouvernement sortant, qui n’a pas fait adopter le projet de loi avant le déclenchement des élections. « Ce sont les conservateurs qui ont retardé l’adoption du projet de loi, a rétorqué le député libéral de Don Valley-Ouest, en Ontario, Rob Oliphant. En tout respect, Hannah, vous vous joignez à un club qui ne vous accueillera pas à bras ouverts », a-t-il affirmé à la candidate trans, faisant allusion aux positions du Parti conservateur en matière de droits LGBT.
Au Conseil québécois LGBT, on s’indigne également du fait que l’interdiction de don de sang pour les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes soit encore en vigueur, alors que le Parti libéral s’était engagé en 2015 à lever cette interdiction.
Le Conseil réclame enfin des assouplissements dans les critères d’admissibilité pour les demandeurs d’asile issus de la diversité sexuelle et de la pluralité des genres, qui doivent prouver leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, une requête jugée irréaliste dans la mesure où la plupart d’entre eux ont passé leur vie à se cacher pour survivre dans leur pays.
Une version précédente de ce texte indiquait dans la légende photo que Julie Antoine se trouvait à gauche et Anne-Gaëlle Habib, à droite. Il s'agit plutôt du contraire, cette dernière se trouvant à gauche sur la photo.
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