En vert et contre tous

Les affiches électorales du Parti vert du Canada (PVC) qui fleurissent sur les pelouses de la circonscription de Saanich–Gulf Islands depuis le coup d’envoi de la campagne électorale laissent une impression de déjà-vu. Pour cause, Elizabeth May a recyclé ses pancartes et son slogan de 2019 : « Votez pour le climat. Votez vert. »
L’anxiété climatique n’a pas épargné l’ex-cheffe du PVC au cours de l’été, qui a été marqué, en Colombie-Britannique, par les vagues de chaleur et les incendies. « C’est difficile de dire à quel point je suis terrifiée », lance-t-elle dans un échange avec Le Devoir en marge d’une activité de campagne à Victoria.
La femme de 67 ans sensibilise la population aux effets délétères des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le climat depuis plus de trois décennies, mais a été pour la première fois confrontée de près aux effets des changements climatiques dernièrement. Sa belle-fille Julia a été transportée à l’hôpital fin juin, après avoir roulé dans un véhicule dépourvu d’air climatisé sous le dôme de chaleur qui couvrait l’ouest du Canada, dont le village de Lytton où le mercure a atteint 49,6 degrés Celsius. « Elle a failli mourir », relate Mme May.
En 2019, le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le PVC se sont partagé les sept circonscriptions de l’île de Vancouver. Le NPD en a obtenu cinq, tandis que le PVC en a recueilli deux dans le Sud-Ouest : la première par Elizabeth May (Saanich–Gulf Islands) et la deuxième par Paul Manly (Nanaimo–Ladysmith). À une semaine du scrutin, seule la réélection d’Elizabeth May est « probable », selon les dernières projections électorales du modèle statistique de Philippe J. Fournier, 338Canada.
Des verts de toutes les couleurs
Ni l’anxiété climatique ni le remplacement d’un genou ne sont parvenus à paralyser Elizabeth May. L’ex-cheffe du PVC pousse son déambulateur à roulettes garni d’une sonnette et d’un autocollant jusqu’à l’une des entrées du centre commercial Hillside, dans la circonscription de Saanich–Gulf Islands, qu’elle représente à la Chambre des communes depuis dix ans. Elle salue avec le même enthousiasme tous les automobilistes, qu’ils soient au volant d’une voiture compacte électrique ou d’un véhicule utilitaire sport carburant au « pétrole sale ». Elle reçoit des coups de klaxon et des sourires tantôt francs, tantôt gênés en échange.
Sous un soleil de plomb, Elizabeth May met en garde les électeurs contre les plans de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) des autres formations politiques. Ce sont des mirages, avertit l’avocate. Le PVC est la seule formation politique à donner suite à l’appel à l’action du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) en proposant de réduire les émissions de GES de 434 mégatonnes (Mt) entre 2019 et 2030, plaide-t-elle. Pour leur part, le NPD cible 360 Mt, le Parti libéral du Canada (PLC) au plus 323 Mt et le Parti conservateur du Canada (PCC) 213 Mt de réduction. Le parti de Jagmeet Singh n’annulerait pas nécessairement le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain qui termine sa course sur les rives de la Colombie-Britannique, souligne la femme politique. « Nous sommes le seul parti doté des politiques nécessaires pour protéger notre avenir », répète-t-elle.
Nous n’avons pas plus que deux ou trois autres années pour effectuer un changement de cap. […] Je suis… presque certaine que ce n’est pas trop tard, mais pas absolument certaine.
Pourtant, l’ex-chef du Parti vert de la Colombie-Britannique Andrew Weaver a dit préférer le plan de lutte contre les changements climatiques du PLC de Justin Trudeau, le jugeant « à la fois audacieux et réfléchi ». L’« écologiste engagée, nerd politique et championne de l’océan » Nikki Macdonald, qui brigue les suffrages dans la circonscription de Victoria sous la bannière libérale, était aux anges. Les verts, eux, étaient ébaubis. « Andrew déteste les verts. C’est personnel », lâche Elizabeth May, reprochant à son « ami » d’être tombé dans le « ridicule ». Le plan libéral contribuera à « la fin de la civilisation », dit-elle simplement.
La figure de proue du mouvement écologiste prie pour que la « responsabilité » de la gouverne de l’État canadien incombe à un gouvernement de coalition auquel le PVC serait invité à participer. « Oui, c’est possible. » À ses yeux, les élections générales du 20 septembre prochain sont celles de la dernière chance pour le climat. « Nous n’avons pas plus que deux ou trois autres années pour effectuer un changement de cap. […] Je suis… presque certaine que ce n’est pas trop tard, mais pas absolument certaine », laisse-t-elle tomber.
Bataille à trois
Au Nord-Ouest, dans Nanaimo–Ladysmith, les électeurs sont déchirés entre les candidatures du député vert, Paul Manly, de la candidate néodémocrate Lisa Marie Barron et de la conservatrice Tamara Kronis.
Porté par des vents favorables, le chef du PCC, Erin O’Toole, a fait un saut à Nanaimo il y a moins de dix jours afin de promettre aux insulaires le financement du projet de traversier rapide entre la deuxième ville de l’île et Vancouver. Il a également promis de désamorcer les crises du logement, de l’inflation, de l’emploi, de la dette… Ce n’est qu’à la 11e minute d’un discours de 13 minutes 20 secondes qu’il a mentionné la nécessité de surmonter également la crise du climat.
L’île de Vancouver abrite une diversité d’arbres — du sapin de Douglas au thuya géant — mais également une variété d’environnementalistes, y compris au Parti populaire du Canada (PPC).
Stephen Welton a rejoint la formation politique fondée par Maxime Bernier même si celle-ci refuse de reconnaître les répercussions de l’activité humaine sur les changements climatiques et propose de tourner le dos à l’Accord de Paris sur le climat. Il se décrit tout de même comme un « environnementaliste ». « Les changements climatiques sont réels. Il y a une théorie voulant que l’homme influe sur les changements climatiques », dit-il à voix basse, avant d’ajouter : « Je crois que nous sommes probablement [en train d’influer sur le climat]. Et je crois que nous devrions faire tout ce que nous pouvons pour réduire notre impact. » L’homme qui n’a jamais un mot plus haut que l’autre est entouré de sympathisants dont la colère est parfaitement audible. En effet, la plupart des personnes qui l’ont rejoint dans un parc de bord de mer de Ladysmith n’en ont que pour le plan d’abolition des mesures sanitaires du PPC, a constaté Le Devoir.
« Nous croyons à la liberté de choix », affirme Sherry, avant de s’enorgueillir d’avoir fait partie des quelque 300 personnes opposées à la création d’un passeport vaccinal ayant manifesté devant l’hôpital général de Nanaimo le 1er septembre dernier. Des protestataires avaient profité de l’occasion pour invectiver des professionnels de la santé ou encore cracher en leur direction. « Ça, c’est une invention », soutient l’antivaccin ayant travaillé dans un centre d’hébergement de longue durée, puis un autre, au fil des dernières années. Face à la « privation de [ses] libertés fondamentales par l’État », Sherry soutiendra le PPC de Maxime Bernier le 20 septembre prochain — une première pour elle. Elle avait donné son appui au PVC en 2019 et au NPD en 2015. « Et Justin Trudeau finira en prison », prédit-elle, fixant l’eau cristalline du bras de mer Burleith.
Les verts ne sont pas immunisés contre la grogne des antivaccins. Une attachée politique du PVC s’est fait pousser sans avertissement lors d’une activité de campagne par un électeur opposé aux mesures visant à freiner la propagation de la COVID-19. Mues par une « force malveillante », les personnes opposées aux mesures sanitaires rendent la campagne « pénible » par moments, se désole Elizabeth May, arborant un macaron portant l’inscription « Je suis pleinement vaccinée ». Elle appelle la population à plutôt concentrer son énergie pour « éviter le pire des changements climatiques ». « C’est une question de survie », souligne-t-elle d’un ton grave.
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